Douleur

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Cela faisait plus d’une semaine que Gabrielle avait découvert ma sex-tape. Mais pourquoi j’avais eu cette idée de merde à la base ! Je suis vraiment trop conne ! Et puis à quoi je pensais, franchement ! Rien ne s’était passé comme prévu. J’étais censée coucher avec Lou, oui, mais pas de cette façon. Je n’aurais jamais dû lui raconter mon aventure avec Gabrielle et encore moins ressentir ce que j’avais ressenti quand elle m’avait écoutée. Si douce, si belle… Merde ! Je ne peux pas être amoureuse de deux femmes ! Lou est un électron libre et elle a Marko, elle ne parle que de Marko, Marko, Marko !

Je jetai le verre que je tenai à la main contre le mur. L’objet explosa en une averse tranchante et je me remis à pleurer. Mon chat se refugia dans sa cabane. Même Mougli ne m’aime plus… je sortis un énorme pot du frigo, spécialement acheté pour l’occasion et fourrai dans ma bouche un mélange de glace vanille et morve, m’étouffant presque. Une fois sur le canapé, j'allumai la télé. Le film policier était médiocre mais il occuperait le vide de ma soirée. De plus, étant intolérante au lactose, cette extra dose de crème devrait me garantir un arrêt maladie.

Deux semaines avaient passés, et je végétai dans mon lit. Je tentais d’extraire l’odeur de Gabrielle des draps sales. Les larmes s’étaient taries mais la douleur était toujours là, comme une vieille tante increvable aux fêtes de famille. Je n’avais plus la motivation d’aller bosser et j’avais pris au moins cinq kilos. Je regardai mon reflet dans le miroir, incapable d’y trouver la moindre trace de sex-appeal. Mon pyjama en pilou-pilou délavé laissait entrevoir mon genou par un trou que j’avais eu la flemme de recoudre et mes cheveux en bataille graissaient de jour en jour.

L’interphone sonna et j’ouvris la porte au livreur de pizza. Ce n’était pas Karim. Heureusement, parce que je pense qu’il commençait à s’inquiéter de me livrer la même commande tous les jours depuis deux semaines. Je me goinfrai de la délicieuse mal bouffe, me barbouillait le visage de sauce tomate au passage. Je faisais peine à voir et je m’en fichai.

L’interphone sonna de nouveau quelques minutes plus tard. Surprise, je me dis que j’avais dû faire une double commande, ou alors que Karim venait checker si j’étais toujours vivante. Un brave type ce Karim !

- Oui, c’est pour quoi ?

- Sacha ? C’est Lou… Je suis avec Marko, on peut monter ?

Je me figeai. Lou ? Marko ? Chez moi ? Maintenant ? La panique prit possession de chaque cellule encore fonctionnelle de mon cerveau et sans réfléchir, j’appuyai sur le bouton pour déverrouiller la porte. Je tentai de mettre un peu d’ordre mais m’arrêtai à la vue de l’impossibilité de la tâche. Autant assumer maintenant. La sonnette résonna et le son strident couvrit la voix du présentateur télé qui annonçait la météo. Trainant les pieds, j’ouvris la porte à mes visiteurs.

- Wow. Ah oui ! On a bien fait de venir…

Marko rit de bon cœur à la remarque de Lou et je m'efaçais pour les laisser entrer.

- Alors première chose, on va aérer. Après, on te met à la douche et ensuite on s’occupe du ménage.

Lou ouvrit l’intégralité des fenêtres de mon appartement, me poussa vers la salle de bain et ferma la porte derrière moi. Le temps de me déshabiller, j’entendais déjà la fine équipe faire des remarques désobligeantes sur mon hygiène de vie. Sans plus attendre, je sautai sous le jet d’eau brûlante et y trouva un peu de réconfort. Le savon et le shampoing nettoyèrent la crasse mais pas la tristesse qui imprégnait chacune des parties de mon corps. Ne voulant pas perdre la face devant Marko et Lou, je sortis de la cabine, enfilai un peignoir propre (une rareté !), et rejoignis mes amis dans le salon. Soit j’avais pris un temps fou, soit ils avaient été particulièrement efficaces. Mon appartement était méconnaissable et même Mougli paraissait intimidé par cette propreté presque suspecte.

- Ecoute, Sacha… On n’a pas vraiment pu parler de ce qu’il s’était passé entre nous.

Mes yeux s’écarquillèrent d’horreur. Le traumatisme était encore trop récent et Marko se trouvait dans la même pièce que nous !

- Ne t’inquiète pas, Marko est au courant. A vrai dire… C’est à cause de lui qu’on   ensemble. A cause, ou grâce… Peu importe. J’avais envie de tester de nouvelles choses et j’ai eu un crush pour toi. Il m’a dit de vivre mes expériences et de revenir vers lui quand j’aurais les idées plus claires. Je voulais te connaître plus intimement alors j'ai inventé cette histoire de shooting photos. Quand tu m’as demandé de me déshabiller, j'ai su que je n'avais pas imaginer notre attraction.

La jeune photographe fit une pause et Marko posa une main affectueuse dans le creux de ses reins avant qu'elle ne reprenne.

- Je te voulais. Même après que tu m'aies dévoilé ton histoire avec Gabrielle, tes doutes, tes peurs, je te voulais, pour moi et moi seule. Je me fichais de tes sentiments pour elle. J'ai été égoïste et le moment qu’on a partagé ensemble était merveilleux, hors du temps. Tu t'es offerte et je t'ai pris sans penser aux conséquences. Si je suis partie juste après, sans un mot ce n'est pas de ta faute et je te présente mes excuses.

De nouveau, Lou arrêta ses aveux et regarda timidement son amant, puis continua.

- J’ai aimé tes caresses, Sacha... J'ai sentie cette connexion entre nous et ça m’a fait peur. Ça m’a fait peur car je ressentais la même chose pour Marko et tu venais de m'avouer ressentir la même chose pour Gabrielle. J’étais perdue, paniquée. Je ne savais pas comment te le dire et j'ai pris la fuite, persuadée que cette magie n’était qu’éphémère alors que Marko se révélait de jour en jour l’élément le plus stable de ma vie. J'avais besoin de temps pour réfléchir et...

Sa voix se brisa et un voile assombrit son regard vert-bleu. 

- Je voulais t’en parler plus tôt et t'expliquer mon comportement, mais j’ai appris. J’ai appris pour ce que tu avais fait, la vidéo, Gabrielle, tout.

Un silence pesant emplit soudain la pièce, aussi consistant que l'air lourd d'humidité avant un orage d'été, sauf que les éclairs sortaient des yeux de mon amie.

- Sacha, quand on n’a mal, ça sert à rien de faire mal aux autres.

Le reproche me gifla de vérité car c’était exactement ce que je m’étais déjà dit mille fois.

- Je t’aime, mais ce que tu as fait, c’est juste dégueulasse… Heureusement la vidéo a été supprimée et le scandale a été évité de justesse, mais mon dieu, tu m’as fait mal. Tu m’as planté un couteau dans le cœur, m’entrainant dans tes manigances, et dans quel but ? Faire souffrir Gabrielle ? A quel moment pensais-tu me le dire ? Peut-être t’espérais que j'allais jamais le découvrir ? Je me suis sentie conne d'avoir ne serait-ce qu'imaginé construire quelque chose avec toi, assez stupide pour avoir cru en ta candeur quand tu m'as ouvert ton coeur ce soir là. Moi aussi j’ai eu envie de te voir souffrir, de te faire payer cette humiliation, mais j’y ai renoncé. Pourquoi ? Parce que je vaux mieux que ça, Sacha, et toi aussi. Si Marko n’avait pas été là pour moi, jamais je n’aurais pu sortir ces idées noires de ma tête. Ce cercle vicieux qui te donne envie de faire souffrir ceux qui t'ont humilié. Jamais je ne serais venu te parler. Tu dois voir Gabrielle. Je t’aime Sacha et je ne veux pas te voir dans cet état. Elle ne veut peut-être plus de toi mais au moins il faut que tu répares le mal que tu as fait. 

Tout au long de ce monologue, mes yeux s’étaient remplis de larmes face à la force de caractère et l’infinie gentillesse de Lou. Marko se tenait toujours discrètement à ses côtés et le contact de sa paume calmait sa compagne, à fleur de peau. Puis, j’éclatais en sanglot bruyamment et le couple me serra dans ses bras.

- Mais elle ne veut plus me parler… Comment je vais faire ?

Ma voix sonna enfantine, pathétique.

- Il faut que tu lui montres que tu es sincère et que tu souffres aussi. Je l’ai vue, Sacha, elle ne va pas bien non plus, et je ne parle pas d’un simple ego blessé. Tu l’aimes, non ?

- Oui

La simplicité de ma réponse n'étonna personne.

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