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Il était debout près de la voiture et attendait ma réponse.

Je fis un pas hésitant ; j'avais peur de ne pas avoir bien compris son geste.

Il me sourit et m'ouvrit la portière passager tout en faisant le tour de la voiture pour s'installer au volant : Gentleman mais pas complétement. Sans même regarder ma sœur et Andreas, je m'assis à ses côtés et claquai la porte de la voiture.

Il me regardait m'installer et me fit un grand sourire, l'air espiègle. J'eus l'impression que nous étions deux adolescents qui se retrouvaient enfin seuls. Je ne pus retenir un éclat de rire. Il bascula sa tête en arrière et rit longuement également ; il évacuait enfin tout le stress de la journée. La voiture se mit à bouger soudainement, ce qui le fit sursauter et agripper le volant. Ce qui nous valut un autre fou rire.

Il alluma ses phares et ses feux de détresse. Il guidait attentivement la voiture, mais cela ne l’empêchait pas de me regarder. Ce silence entrecoupé de petits sourires dura quelques instants comme si on avait besoin d'un peu d'élan pour se lancer.

- Je ne connais même pas ton prénom, dit-il d'une voix rauque. Il se racla la gorge et reprit. J'espérais que l'un des deux t’interpelle pour avoir discrètement ton prénom mais jamais ils ne l'ont fait.

- Je m'appelle Olivia, répondis-je presque dans un souffle. De quoi avais-je peur? Qu'il n'aime pas mon prénom? Cela devenait ridicule. Reprends-toi, ma belle, comporte-toi en femme intelligente, posée, digne.

- Olivia ... répéta-t-il en regardant la route un léger sourire sur son visage. Olivia ...

Je baissai les yeux sur mes mains. Jamais je n'avais aimé ce prénom. Il m'avait toujours semblé ne pas m'appartenir. Mes parents voulaient un garçon et avaient tout prévu : la chambre, les habits, le prénom, tout était destiné à un garçon. Olivier était le prénom qu'il désirait. Déçus, à ma naissance, on me nomma Olivia sans même chercher à trouver un autre prénom. Je n'ai jamais réussi à m'y identifier, mais pour la première fois de ma vie l'entendre résonner dans sa bouche lui donnait une toute autre dimension.

- Quelle journée hein ? sourit-il.

- Oui une sacrée journée ..., lui répondis-je.

- Je te remercie encore pour ce que tu as fait ... commença-t-il mais il s'interrompit comme s'il hésitait à dire quelque chose.

Un silence gênant s'installa. Il fallait continuer à parler. Je ne voulais pas de ces moments embarrassant où le silence envahit une relation. N'avait-on vraiment rien à se dire? J'enchainai :

- Avec cette panne, tu ne seras pas sur le plateau de tournage demain matin.

- Je n'ai pas très envie de retourner sur le plateau, me répondit-il las. Les conditions ne sont pas si horribles que ça. On a des caravanes de luxe, une cantine délicieuse et une ambiance excellente. Mais j'en ai marre de ce film. J'en ai marre de passer des heures au maquillage, des heures dehors dans la nuit. Des heures d'attente, de réglages, de prises de vue. Le réalisateur est un génie mais il est maniaque, chaque prise doit être parfaite, quitte à la retourner des centaines de fois. C'est épuisant...

- Mais maintenant tu es mieux payé, sortis-je en riant.

Il esquissa un sourire triste.

- On est arrivé, dit-il en manœuvrant sur la pente qui menait à la maison. Ça va être difficile.... Je ne sais pas si la voiture d'Andreas est assez puissante...

- Bah, il trouvera quand même une solution, sortis-je en regardant le chemin.

- C'est vrai ça! Quel homme cet Andreas, plaisanta-t-il avec une pointe d'admiration.


Comme prévu la voiture patina et dérapa sur le coté. Prise d'une petite frayeur, j'agrippai son bras. Il rit.

- Tu es prête à sauver un homme à quelques centimètres du vide mais tu paniques pour un petit dérapage.

- Et tu ne m'as pas vue en avion... une vraie froussarde ...

La voiture d’Andreas s’arrêta. Il sortit de la voiture et se dirigea vers le coté conducteur. Jimmy baissa sa vitre.

- Écoute, on va te garer ici. Ma voiture n'arrive pas à te tracter sur cette pente. La maison est juste au dessus à quelques mètres de toute manière. Ça ne gênera personne ici, dit-il en montrant un petit terrain gravillonné sur le coté de la route.

Jimmy hocha la tête. On entreprit de pousser la voiture sur ce petit espace. Quelques fous rires plus tard, la voiture était garée entre deux bosquets perpendiculaire à la route, le nez de la voiture face à la mer.

Andreas et Fanny reprirent leur voiture, quant à nous, nous montâmes à pied le reste du chemin. Côte à côte, ce sentiment de gêne était toujours présent et pesant. Sentiment d'inachevé, de frustration et d'envie. Tout se mélangeait en moi. J'avais envie de lui prendre la main, mais je n'osais entreprendre quoique ce soit. Et si ça gâchait tout? Et si je me faisais des illusions? Envie et retenue.

Son index frôla le dos de ma main et d'un réflexe bête, je joignis mes mains et les gardai liées sur mon bassin. Il mit les siennes aussitôt dans ses poches et on avança sans un mot. Jusqu'à l'entrée de la maison, je m'insultai intérieurement: "Mais quelle conne! C'était un signe évident!! Qu'est-ce qui t'a pris de retirer ta main! Idiote!"

Andreas et Fanny étaient déjà affairés dans la cuisine. Fanny se retourna comme dans une publicité d'après-shampooing et, avec son plus beau sourire, dit : "Ce soir c'est spaghetti bolo !"

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