19.Libres

3 minutes de lecture

Le mercredi de la reprise. 19 heures 15. Elsa était très en retard. Je ne le supportai pas. J'angoissais depuis le réveil, je fumais cigarette sur cigarette et j'ingurgitais des litres de café. Viendrait-elle à notre cours hebdomadaire ? Je n'en savais rien. J'avais l'impression que des siècles s'étaient écoulés depuis "Les Instants de Noël ", depuis sa confession publique, depuis que nous avions fait l'amour...


J'étais au piano. Je jouais le thème musical du film « Le Professionnel », composé par Ennio Morricone, lorsqu'Elsa entra sans frapper. La moue boudeuse, elle paraissait négligée, fade, terriblement adolescente, beaucoup moins femme que dans mes souvenirs avec ses longs cheveux roux rassemblés en une queue de cheval hâtive, maintenue par un élastique basique, son pull à col roulé, son jean informe, ses baskets sans lacets et son anorak d'un autre âge. Pas l'ombre d'un léger maquillage pour habiller son visage subitement juvénile et masquer la lassitude qui se lisait dans ses yeux. Elle n'était plus la séductrice que j'aimais. Néanmoins, je m'interrompis au piano et vins poser un baiser sur sa joue pour lui souhaiter une bonne année. Elle s'écarta, indifférente, et jeta ses affaires sur le canapé Chesterfield.

  • Ca ne va pas ? m'aventurai-je. Tu n'as pas passé d'agréables vacances ?
  • Moins agréables que les tiennes apparemment, puisque tu n'as pas trouvé le temps de m'appeler.
  • C'est pour ça que tu fais la gueule ?
  • Je ne fais pas la gueule, je constate simplement que les vieux adages ne mentent pas : " loin des yeux, loin du coeur"...
  • Tu n'y es pas du tout, mon amour ! Mes vacances ont été très agitées. Mais nous sommes enfin libres. J'ai quitté Valériane et mes filles. 

C'était un mensonge. Un de plus. J'étais un lâche. Valériane me l'avait dit. Anna aussi. Cependant, Elsa devait savoir, devait même comprendre que plus rien ne s'opposait à notre idylle.

  • Tant mieux pour toi, me répondit-elle sèchement. On commence la leçon ? 

Je ne comprenais plus rien. Je lui annonçai ce qu'elle désirait depuis longtemps et elle s'en fichait.

  • A quoi joues-tu, Elsa ? Tu arrives avec un retard inacceptable et tu exiges que l'on commence la leçon alors qu'auparavant, tu te foutais éperdument de la musique et n'aspirais qu'à te faire baiser ! C'est moi ton prof de piano, c'est à moi d'avoir des exigences, et la ponctualité en fait partie, Mademoiselle Deniset ! 

Ma voix s'était faite plus autoritaire que je ne l'avais voulu. Cela ne la fit pas tressaillir d'un cheveu.

  • Qu'est-ce qui me prouves que tu les as réellement quittées ?
  • Voilà le double des clés de mon nouvel appartement. 

Alors que mon aplomb lui cloua le bec, je joignis le geste à la parole en envoyant avec désinvolture le précieux objet sur le piano.

  • Nous pourrons nous y retrouver à notre guise, poursuivis-je. Nous ne sommes plus obligés d'échafauder des stratagèmes pour nous voir. Le secret n'est plus de mise, si tu veux bien continuer notre histoire bien-sûr...

Je redoutai sa réaction, sa réponse à ma question qui n'en était pas vraiment une. Elle saisit fugacement le trousseau avant de venir m'embrasser fougueusement, à pleine bouche. Cependant, à ce moment précis, je ne la désirai pas, je n'avais pas envie d'elle. Je me laissai pourtant entraîner dans sa course quand elle me proposa de l'emmener visiter sur le champ mon meublé afin d'étrenner ensemble toutes les pièces. Cette idée me plaisait assez. Lui faire l'amour dans un nouvel endroit, loin de nos habitudes. Nous dévalâmes quatre à quatre les marches de l'escalier de l'école de musique, occasionnant ainsi un boucan d'enfer perturbant le cours de chant que donnait Anna. Nous passâmes en trombe devant la porte de sa salle entrouverte. Elle nous vit nous engouffrer avec hâte dans ma Xsara Picasso et démarrer sur les chapeaux de roues. L'expression de son visage reflétait la jalousie et la gêne à l'idée de ce que nous allions faire Elsa et moi. Son élève interrompit ses vocalises. Anna ne le remarqua pas. Elle fantasmait sur moi.


Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0