Azur

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Je marche dans la cour de l'orphelinat, seule, comme d'habitude. Mes pas crissent sur les graviers de l'allée tandis que j'avance vers la fontaine qui trône au centre de la cour. Le vent se lève, agitant mes longs cheveux blonds. J'enroule mon corps de mes bras pour me protéger du froid. Il fait frais, ce matin, j'aurai dû mettre ma veste noire par-dessus ma robe grise.

Je tourne la tête vers le bâtiment qui se dresse derrière moi. L'aube touche à sa fin, les autres filles ne tarderont pas à se lever et je n'ai aucune envie de les croiser dans les couloirs. Je renonce donc à l'idée d'aller chercher ma veste et poursuis mon chemin jusqu'à la fontaine.

Lorsque j'y arrive, je tends mes mains et laisse l'eau claire et limpide se déverser dessus. Elle est froide, mais cette sensation ne m'est pas désagréable. Je suis du regard le flux du liquide qui coule de la bouche de la statue de la sainte pour tomber dans le bassin en pierre.

C'est alors que je remarque un drôle d'objet qui repose au fond du bassin. Je plonge mes mains dans l'eau froide pour le récupérer, avant de l'observer de plus près. Il s'agit d'une sphère ovale. On dirait un gros oeuf, mais ce qui m'intrigue le plus, c'est sa couleur : elle est d'un vert scintillant absolument magnifique ! Si sa surface lisse n'était pas tiède, j'aurai cru qu'il s'agissait d'une émeraude. Oui, il est de l'exact même vert que mes yeux, ce ne peut pas être une coïncidence.

Je regarde autour de moi, afin de m'assurer que personne ne me voit, mais la cour est déserte. Alors je glisse le mystérieux objet dans ma sacoche en cuir brun qui ne me quitte jamais et retourne en courant jusqu'à ma chambre.

Je pousse la porte en bois et pénètre dans l'étroite pièce où je suis logée. Autrefois, je dormais dans l'un des dortoirs, comme toutes les autres filles de l'établissement, mais comme elles ne parviennent pas à supporter ma présence, j'ai été transférée dans cette minuscule salle. Je pose ma sacoche sur la petite table en bois et en sors ma trouvaille. Je suis vraiment intriguée par cet objet. Je me demande de quoi il s'agit. Hélas, je n'ai aucun moyen d'y trouver une réponse. Ce n'est pas comme si je n'y étais pas habituée : toutes mes questions restent sans réponses.

Je soupire et m'assieds près de la petite cheminée où brûle un feu, faible, mais suffisant pour réchauffer l'endroit. Je contemple le crépitement des flammes qui consumment doucement le bois. Je reste ainsi de longues minutes, avant d'entendre la cloche qui sonne le début de la journée pour nous :

- Réveillez-vous, mesdemoiselles ! crie la soeur dans les couloirs de l'étage. Il est l'heure de se lever !

Je me lève en précipitation, ne voulant pas être sermonnée pour cause de retard, laissant l'oeuf vert près de la cheminée, et quitte la pièce en prenant soin de fermer la porte derrière moi.

Je traverse le long couloir et descend le large escalier pour rejoindre la salle à manger. Je suis contente de m'être levée plus tôt : cela me permet de me préparer en avance afin de ne pas devoir rencontrer mes camarades dans les couloirs dès le matin.

J'entre dans la vaste salle à manger et m'assieds sur l'un des bancs, au fond de la pièce.

Les autres filles ne tardent pas à arriver et, quelques minutes plus tard, la salle est pleine. C'est alors que la Mère supérieure et directrice de notre orphelinat entre, accompagnée d'une soeur, de sa démarche lente et élégante. C'est une vieille femme à la peau ridée. Comme elle porte toujours son voile devant nous, personne ne sait à quoi ressemblent ses cheveux, mais vu son âge, ils doivent être gris, voir même déjà blancs.

Elle rajuste ses petites lunettes devant ses yeux bleu clair et prend la parole :

- Bonjour, mes enfants.

- Bonjour, ma mère ! répondent toutes les filles en choeur, exceptée moi.

La mère supérieure semble avoir remarqué mon silence, car elle m'observe avec un air sévère pendant quelques secondes, avant de poursuivre :

- Bien, avant de prendre votre petit-déjeuner, il est l'heure de réciter la prière du matin. Miss Superbum, je suis sûre que vous n'avez pas répondu à mon salut parce que vous réservez votre salive pour réciter cette prière, n'est-ce pas ?

- . . .

Certaines filles gloussent et échangent des messes basses, tandis que les autres se contentent d'observer la scène sans un mot.

- Silence ! ordonne la mère supérieure. Alors ? Qu'attendez-vous, Miss Superbum ? Venez donc nous réciter cette prière.

Je me lève à contrecoeur et avance jusqu'à arriver à la hauteur de la directrice. Je comprends aux tapotements de son doigt sur l'un de ses bras croisés qu'elle s'impatiente, alors je commence :

- Notre Père qui êtes aux Cieux . . .

- Où tu n'iras jamais, Superbum, me murmure la fille la plus proche.

C'est une petite peste qui ne cesse de prendre plaisir à m'embêter ! Elle se croit toujours supérieure à tout le monde avec ses manières de princesse !

- Continuez, mon enfant, me dit la directrice d'un ton sévère.

Alors je poursuis la récitation de cette prière, mais à ma façon :

- Notre Père qui êtes aux Cieux, maudissez Carole pour son arrogance innomable et tout le mal qu'elle me fait ! Qu'elle aille brûler dans les flammes de l'Enfer avec le Diable dont elle partage le caractère ! dis-je d'un ton sec et calme.

Un cri scandalisé sort de la bouche de toutes celles présentes dans la salle. La mère supérieure et la soeur qui l'accompagne mettent leurs mains devant leurs bouches, tandis que les filles s'échangent des regards stupéfaits. Quant à Carole, elle se lève d'un bond et me crie :

- Comment oses-tu dire une chose pareille ? ! Espèce de sale . . .

- Cela suffit ! clame la directrice. Rasseyez-vous, Carole. Quant à vous, Miss Superbum, suivez-moi.

Elle quitte la salle et je suis contrainte de lui emboiter le pas. Nous traversons à nouveau le couloir et montons l'escalier jusqu'au deuxième étage, où se situe le bureau de la mère supérieure.

Elle en ouvre la porte et nous y entrons. Elle s'assied calmement derrière son grand bureau en bois sombre. Quant à moi, je reste debout, droite comme un piquet, en regardant cette femme âgée dans les yeux, d'un air impassible.

Après un long silence, elle annonce :

- Vous devrez être sévèrement punie pour votre impertinance ! Comment osez-vous détourner une prière sacrée à des fins mauvaises, en demandant au bon dieu d'envoyer votre amie en Enfer ?

- Carole n'est pas mon amie et ne le sera jamais ! En plus, tout ce que j'ai dit est parfaitement vrai !

- Taisez-vous ! Contrairement à vous, elle se montre respectueuse et sage.

- Oui, uniquement devant vous et les autres adultes.

- Je ne supporterai pas plus longtemps vos viles paroles ! Allez immédiatement en classe pendant que je réfléchis à la correction la plus adaptée pour vous !

- Vous ne me croyez jamais ! m'exclamé-je en hurlant, rouge de colère.

Au même moment, le vase qui trône sur son bureau explose soudainement, faisant bondir la directrice en arrière.

Je tourne les talons et quitte la pièce en silence, sans chercher à en savoir plus. Ce n'est pas comme si c'était la première fois que ce genre de choses arrivait. C'est pour cela que je suis rejetée par tous : à chaque fois que je suis effrayée ou en colère, quelque chose d'inexplicable se produit. Bien sûr, cela attise ma curiosité, mais je sais que personne ici n'a d'explication à ces phénomènes, donc j'ai renoncé à comprendre.

Je marche d'un pas précipité, sous l'effet de l'agacement, jusqu'à la salle de cours. La leçon a déjà commencé mais je m'en fiche. De toute façon, c'est encore du catéchisme et c'est la discipline qui m'intéresse le moins. J'ai beau avoir grandi dans un orphelinat géré par un couvent, je ne suis pas particulièrement pieuse. Je ne prie Dieu que parce qu'il est la seule chose à laquelle je peux me raccrocher pour l'instant.

Je ne retourne dans ma chambre qu'à la tombée de la nuit, après une longue et ennuyeuse journée identique à toutes les précédentes. Cette routine m'exaspère, mais que puis-je espérer d'autre ? Je n'ai nulle part où aller, ni aucune famille alors je ne peux pas quitter cet endroit, bien que je le déteste ! Mon seul espoir est qu'on m'adopte, mais qui voudrait d'une fille aussi bizarre que moi ? Je commence à me faire à l'idée de devoir passer ma vie ici et cela me donne envie de pleurer.

Je pousse donc la porte de ma chambre avec un air triste et m'affale sur le lit après avoir fermé la porte en bois derrière moi. Je ferme les yeux, espérant m'endormir dès maintenant pour ne plus avoir à penser à mon malheur, quand un petit bruit attire mon attention. J'ouvre les yeux et me redresse pour mieux entendre. Oui, on dirait un craquement . . .

Je tourne la tête vers l'origine du son et vois alors, avec des yeux stupéfaits, ma trouvaille de ce matin bouger ! Elle tremble et se fissure, comme si elle allait se briser !

Bientôt, une petite griffe en sort, puis une autre et après quelques secondes, une tête verte en émerge. C'est . . . C'est . . . Un dragon !

Un tout petit dragon d'un vert magnifique, identique à celui de mes yeux. Il fait quelques pas, mais ils sont maladroits et il tombe au sol. Je me précipite vers la petite créature et la prend délicatement dans mes mains. Son corps est doux et chaud, comme celui d'un bébé. Le petit animal se frotte le museau de ses petites griffes, avant d'ouvrir les yeux. Ils sont bleus, un magnifique bleu azur !

Je le contemple avec émerveillement ! Je n'ai jamais vu une créature aussi belle et adorable !

- Azur, murmuré-je.

En entendant ce mot, le petit dragon vert lève sa tête vers moi et me fixe de ses petits yeux bleus. Je lui souris tendrement :

- Je t'appellerai Azur. Désormais, je vais prendre soin de toi et te garder auprès de moi. Tu vas voir, on va être bien ensemble. On sera les meilleurs amis du monde !

Pour toute réponse, il se contente de produire un petit grognement satisfait, qui ressemble à un ronronnement. Je ris. Pour la première fois de ma vie, je me sens heureuse !

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