Surfing to her mind

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Chris — Los Angeles — September 2011

Perdre mon temps à expliquer à Lenny ce qu'il sait déjà, c’est fait. Et comme il fait ça bien, cela se passe par téléphone tandis que j'insiste pour qu'il me laisse tranquille.

— Mec, j'ai compris, je ne révèle rien de notre organisation, je suis pas encore devenu débile !

— C'est juste de la prudence !

— Prudence ou pas, tu me gonfles...

Aussi sec, je raccroche et me dépêche de prendre une douche, d'enfiler un tee-shirt puis un jean et de regarder une dernière fois ma tête dans le miroir. Avec 3 heures de sommeil à mon actif, je vais sûrement lui faire peur avec mon teint livide, tout droit sorti d'une tombe. Alors je passe un peu d'eau sur mon visage, discipline mes cheveux, pour une fois dans ma vie, et observe le résultat dans la glace.

Ça passe.

En fouillant dans mon jeans d’hier soir, j'en sors mon téléphone et le briquet que j'ai confisqué à Lenny pour l'inciter à arrêter de fumer. N'ayant pas l'intention de lui rendre, je le jette à la poubelle et continue de fureter dans mes poches une ultime fois avant de me rendre compte que les clefs de la camionnette sont restées dans mon autre pantalon.

Et merde !

Direction la panière à linge, je soulève la fringue question dont je fouille les poches. Les clefs enfin en ma possession, je fonce dans ma chambre, ramasser les vêtements qui jonchent le sol, histoire qu'elle ne fasse pas une attaque si jamais elle accepte de boire un verre ce soir, et je quitte les lieux. Insérant mon téléphone dans la poche arrière, je glisse un pied dans une chaussure et cherche l'autre sous le lit. Un œil sur ma montre : il est déjà 12h45. Je sors dans le garage en enfilant ma deuxième chaussure. Mon talon se décolle légèrement de l'une des deux, mais je suis trop en retard pour resserrer mes lacets.

Et histoire d'en rajouter, la vieille rouquine garée dans mon garage décide de faire la grève. Le démarreur fatigué refuse de coopérer et me pousse à lui forcer la main. Voyant le moment où cette carcasse va m'abandonner, je commence à perdre patience lorsqu'elle montre enfin un signe de vie. Le moteur vrombit et, sans perdre plus de temps, je fonce jusqu'à Downtown. Mon élan est vite stoppé quelques rues plus loin, au milieu des bouchons. Impossible de sortir sans rester coincé au minimum une demi-heure dans sa caisse. C'est presque devenu un refrain. Les rues sont bondées de monde, et c'est quand tu es pressé que tu croises les gens les plus lents. Je veux bien prendre mon mal en patience, mais ce soir, je ne suis pas sûr de tolérer tout ça.

Et même la voix tranquille d'Otis Redding n'opère pas sur mon désordre mental. Juste le jour où je propose à Stéphanie de lui apprendre à surfer, Lenny me colle une putain de commande d'affiches pour la manif de San Francisco. Comme s'il n'avait pas le temps de le faire, lui qui évolue entre son réfrigérateur et sa chambre lorsqu’il est en repos.

Les minutes continuent de défiler, tortillant encore un peu plus mes nerfs en pelote. Alors, quitte à perdre son temps au milieu des pots d'échappements, autant le rendre utile en prévenant Stéphanie de mon retard. Si elle est compréhensive, je suis agacé de ne pas respecter mes engagements. Dans ce cas là, inutile de croire en la providence, surtout de la manière dont ont commencé les choses. Dans cette histoire, je suis seul face à moi-même.

Aux abords de la w.5th street, je patiente le temps de lui indiquer mon arrivée par un sms et la voilà. Les cheveux montés en queue de cheval et vêtue d'une simple petite robe bleu, elle se dirige vers moi. Son sourire irradie sur son visage tandis qu'elle monte dans la camionnette. Sans perdre de temps nous fonçons directement sur Malibu.

À mes côtés, j'oublierai presque sa présence tellement elle demeure silencieuse. Son regard semble toucher à tout, détaillant chaque aspect de l'habitacle. Peu de femmes se préoccupent de ma caisse de cette façon.

— Elle te plait ?

— La camionnette ? Elle est sublime ! C'est une Ford de quelle année ?

— 1967. J'aime les vieilles voitures et de manière générale tout ce qui est vintage.

— Elle est vraiment très belle. J'aime bien les voitures aussi, surtout lorsqu'elles ont une histoire.

— Celle-ci je l'ai acheté à un couple de personnes âgés. Ils ont un domaine immense où ils élèvent des tonnes d'animaux. Il faisait ses allers retours pour faire ses courses jusqu'au jour où il s'est aperçu qu'il ne pouvait plus conduire. Et je suis passé par là.

— Il en prit soin mais par contre tu dois le sentir passer quand je fais le plein de ton réservoir.

— J'ai modifié un peu le moteur et, à présent elle fonctionne au bio éthanol.

— Tu bricoles aussi ?

— A mes heures perdus, ouais. C'est encore une autre de mes passions.


Les échanges avec elle sont faciles et couvrent un panel assez large de sujets de discussion. Hormis June, c'est l'une des premières nana avec laquelle je parviens

à être à l'aise dès les premiers contacts. Même si je choisis de ne pas divulguer une partie de ma vie par nécessitée ou obligation.

Malibu, lieu mythique, dont la reputation s'est faite essentiellement grâce aux stars, mais aussi de part son cadre idyllique, est un des spots les plus intéressants après Newport Beach et Santa Barbara. Loin de rivaliser avec Maverick, il reste un site de surf très prisé des débutants comme des professionnels.

Sortant du véhicule, je prépare le matériel dans la benne tandis qu'elle vient me rejoindre. La planche que j'ai choisi pour elle, lui convient tout à fait. Un soleil de plomb commence à s'abattre sur nous et tout naturellement, je commence à me débarrasse de mon teeshirt et à retirer mes chaussures.

— On a du beau temps et de belles vagues, ça va être super, signalé-je, en me retournant vers Stéphanie.

La petite brune a disparu de mon champ de vision pour aller se planquer de l'autre de côté de la camionnette. Une attitude qui m'amuse puisque dans notre communauté de surfeurs, on ne prête pas attention à la nudité. On a tellement l'habitude de vivre en bande qu'il est arrivé qu'une fille m'ait vu complètement nu. Enfin prêt, je jette mes vêtements et mes chaussures sur le siège avant de la voiture et m'éloigne un peu plus loin. Face au rivage, je me noie dans la contemplation de l'horizon. La jolie brune me rejoint, armée de sa planche et du matériel. J'attrape mes affaires et nous avançons vers l'océan.

C'est en débutant son enseignement que je me rends compte qu'elle possède déjà des connaissances. Surpris, je suis impatient de la voir œuvrer parmi les vagues.

— Je pensais que tu savais pas surfer du tout ?

— C'est vrai que je t'ai pas précisé que j'ai eu un petit apprentissage sur Miami.

Au final, ce sera plus agréable.

Planches waxées et leash en place, on rejoint l'océan. L'eau est à la bonne température, le vent est en off-shore, les vagues sont glassy, toutes les conditions sont remplies. Il ne manque plus qu'à surfer.

Ayant l'eau au niveau de la taille, de petites vagues fouettent mon torse tandis que je me mets à plat ventre sur ma planche en direction du line-up, suivi par Stéphanie.

Arrivés près d'une nuée de surfeurs, je les salue puis jette quelques regards en direction de la belle brune qui m'accompagne. Le moment venu, je m'élance le premier, en direction de la vague qui se présente. Placé sur son pic, j'effectue un take off, surfe sur le déferlement un moment puis entame une descente dans le creux, en zigzaguant de haut en bas. Elle n'est pas énorme mais c'est toujours un plaisir. Continuant de glisser sur la droite, je termine ma course vers l'extérieur, jambes fléchis, puis me place à califourchon sur ma planche.

Me tournant vers elle, j'observe son style et sa descente. Il est clair qu'elle débute carrément en surf mais elle tient son équilibre. Ses mouvements sont encore hésitants et elle vient chuter en fin de parcours. La pratique lui fera prendre confiance en ses capacités. Elle se dirige enfin vers moi, à plat ventre sur sa planche.

— C'est pas trop mal, dis-je, moi qui pensais avoir une vrai débutante qui tombe toutes les 30 secondes, je suis plutôt impressionné.

— En étant sur Miami, j'ai pris quelques cours mais rien qui permettrait de me hisser à ton niveau.

— C'est des années de pratique mais si ça t'intéresse je peux te montrer ce que je sais faire. Et ce sera entre toi et moi, précisé-je.

— Volontiers ! Le surf peut être un bon compromis pour relâcher la pression exercée aux urgences.

En vue d'améliorer son style de glisse, elle récolte tous les conseils que je peux lui donner et se remets en piste dès qu'elle en a l'occasion. J'apprécie qu'elle se donne à fond malgré les difficultés qu'elle doit surmonter.

A nouveau près du line up, concentrée à mort, elle effectue un take-off plus convaincant que le premier et enchaine une descente sur la déferlante. Sur l'instant il est important qu'elle prenne confiance, la technique suivra ensuite. Son côté téméraire est un atout précieux. Elle n'abandonne pas face à ses erreurs et recommence sans se décourager.

Nous entamons une troisième descente, en alternance avec d'autres surfeurs. Beaucoup de gars que je connais ont surfé cet après midi. On s'est salué mais chacun a fait sa petit vie de son côté. Ils ne sont pas des amis à proprement parlés mais ils font parti de notre organisation écologique. J'ai pas eu toutes les plus belles vagues cet après midi, parce qu'il est normal d'en laisser aux autres. Le respect est important, en surf. C'est même une religion, pour qui fait parti du groupe, évidemment. Certains ont un rythme de fou, enchaînant plusieurs figures. Stéphanie a été bluffée par leur style. C'est là que j'ai ressenti un peu de jalousie parce que je sais faire autant de choses qu'eux mais je ne suis pas du genre vantard. Les débutants cassent carrément les vagues et même si j'ai mal au cœur de le voir fouttre en l'air une glisse terrible, je ne dis rien.

Ce que j'aime vraiment, c'est me mesurer aux meilleurs, juste pour tester mes limites, mais je ne suis clairement pas là pour ça, aujourd'hui. J'ai une jolie surfeuse téméraire avec moi qui nécessite une grande surveillance. Les heures s'égrènent si vite que je suis presque surpris par le coucher de soleil sur l'horizon. J'ai envie de poursuivre sans relâches mais je m'aperçois que la jolie brune a atteint ses limites. Un débutant ne peut pas enchaîner plusieurs descente comme elle le fait, au risque de s'épuiser et de se blesser. Et comme elle enfourche sa planche en direction du large, je la stoppe net.


— Je pense que c'est bon pour aujourd'hui. On devrait aller se réchauffer, ça te dit d'aller boire un café ? proposé-je.

— J'aurais bien aimé faire une dernière descente.

— Je t'assure que c'est suffisant. Tu risques de te crever davantage et je n'ai pas envie de t'amener aux urgences ce soir.

Elle hausse les épaules, se gaussant de mon côté paternaliste, puis finit par capituler et se diriger vers la camionnette. Sa détermination sans faille m'amuse et je la trouve attachante.

Les planches posées dans la benne, laissant les rayons du soleil s'abattre dessus, est un bon compromis. La wax s'éliminera plus facilement. La petite brune attrape son sac et disparaît de l'autre côté en m'adressant un doux sourire. Le genre d'ouverture qu'on peut interpréter comme on veut. Mais comme elle n'est carrément pas une dragueuse invétérée, je ne me formalise pas, mais mon cœur s'emballe tout seul. J'entame alors le processus de rhabillage. Mon regard ne peut s'empêcher de surveiller l'autre côté, non pas par voyeurisme mais plutôt pour croiser son regard à nouveau. J'enfile mon jean, puis jette un autre coup d'œil, juste comme ça. Elle s'est placée de sorte qu'on ne puisse pas la voir. Et de toutes façons, ce n'était pas mon intention. Juste croiser son regard. Encore.

Ma raison me rappelle à l'ordre alors j'enfile mon teeshirt, saisis mes converses et claque la porte de ma caisse. Je glisse mes pieds à l'intérieur sans perdre de temps avec les lacets et fonce m'assoir sur un banc.

Mes idées tourbillonnent à une vitesse que je dois cesser ça tout de suite ce manège. Jetant mes chaussures au sol, je pose mes coudes sur les genoux et contemple l'horizon. Histoire de me recentrer.

C'est pas le moment de capoter !

Elle est très attirante et captivante, mais ce n'est pas le moment. Perdu dans mes pensées, je ne m'aperçois pas qu'elle s'est assise à côté de moi. L'air étant plus frais en soirée, elle a troqué sa robe contre un jean troué et un teeshirt, enfile des converses et m'adresse à nouveau ce sourire qui me rend fou.

— Tu veux que je t'aide à nettoyer les planches ?

— Non, je vais le faire ! Tu vas voir c'est rapide quand la chaleur frappe dessus, réponds-je en souriant, la café tient toujours ?

— Oh oui, J'ai bien envie d'un remontant !

— OK, alors c'est parti.

Le cœur qui pulse comme un fou, je saute sur mes pieds. Tout ça m'a donné un regain d'énergie et je file retirer cette wax gluante. En un rien de temps, celle de Stéphanie est nettoyée. Cette dernière se précipite près de moi, écarquillant les yeux :

— Je te remercie, formule-t-elle avec entrain.

— Ce n'est rien, j'ai l'habitude avec les potes. Une planche de surf c'est comme un instrument de musique, elle fait partie de toi. On doit en prendre soin, lui dis-je avec un sourire.

— On aurait pu le faire plus tard.

— Il faut absolument le faire tout de suite sinon le produit sèche c'est carrément le bordel.

Alors que ses prunelles ambrées me fixent avec intérêt, je lui adresse un sourire charmeur auquel elle répond rapidement. Je m'interdis toute réflexion, poursuivant mon rangement. Une douce odeur sucrée remplie mes narines malgré l'interdiction que je viens d'opérer sur mes sens. Elle hausse alors les épaules et s'éloigne de quelques mètres, téléphone en main. Je ne peux réprimer un regard. J'aimerais l'inviter chez moi pour la soirée sans qu'elle ne pense forcément à atterrir dans mon pieu. C'est le gros dilemme avec les relations amicales ; s'imposer une limite et ne jamais la franchir. Sauf qu'avec ce que je commence à ressentir, c'est fouttu d'avance. Je ne veux pas qu'elle se trompe sur mes vraies intentions.

Promenant au cœur de Malibu, petite ville faisant partie intégrante de Los Angeles, je l'entraîne vers Cross Creeks Road, la rue regorgeant le plus de cafés et de restaurants. Je l'entraîne à l'endroit le plus prisé de Malibu, le Blue bottle coffee, tout en sachant qu'ils proposent des cappuccinos au lait de coco, une variante que je déteste pas. Un serveur se pointe et nous distribue deux menus avant de repartir comme il est venu. Au risque de dévier sur une conversation classique, je choisis d'en apprendre davantage sur elle.


— Cette semaine aux urgences s'est bien déroulée ?

— Ça va. J'ai un binôme adorable !

— Le même gars que l'autre fois ?

— Non, c'en est un autre. Le bout en train du groupe et le tombeur de ces dames. Les journées sont courtes avec lui, raconte-t-elle en riant, et toi ?

— Une journée classique avec son lot d'emmerdes, précisé-je

— Rien de grave, j'espère ?

— Non, rassure-toi. C'est la routine.

— Tu as de la famille par ici ?

— Oui, du côté de Pasadena.

J'omets volontairement l'épisode du paternel et des nombreux problèmes soulevés, désirant garder cette affaire pour plus tard. Alors qu'il parcourt la carte, son regard ambré me détaille une nouvelle fois me forçant à baisser les yeux, gêné. Je profite pour orienter la conversation vers autre chose.


— Voilà, tu connais l'un de mes endroits préférés. J'y suis régulièrement sauf les jours de boulot. Lors des compétitions de surf, j'essaye de dormir ici.

— Pas évident de dormir dans une camionnette non ?

— Ne critique pas les possibilités de ma caisse, s'il te plaît, plaisanté-je, elle pourrait se vexer et ne plus démarrer. Je m'en voudrais de te faire le coup de la panne.

C'était de l'humour et heureusement qu'elle ne le prend pas au sérieux, parce que c'est le genre de réflexion qu'une nana déjantée prendrait pour argent comptant.

— Elle est si susceptible que ça ? raille-t-elle

— T'as pas idée ! Quand elle ne veut pas démarrer, c'est jamais au bon moment !

— En même temps, elle n'est pas récente ! se moque-t-elle volontiers.

— Attention ... je te vois te moquer et c'est pas bon, m'exclamé-je sur le ton de la plaisanterie.


Elle éclate de rire volontiers et m'entraîne dans son sillage. Ça faisait un moment que je n'avais pris les choses à la dérision avec une fille qui me plaît. Sa spontanéité me séduit tellement, ainsi que cette légèreté qui s'émane à chacune de ses plaisanteries.

Sa compagnie apaise mes souffrances d'une manière qui m'est inconnue. Et comme elle ne se pose pas mille questions, du moins en apparence, ça rend les choses plus simples.

Soudain, elle devient plus sérieuse ;

— Avant le surf, quelles étaient tes premières motivations ?

— Là, je reconnais l'infirmière qui vibre en toi !

Elle pouffe de rire avant de plonger ses yeux ambrés dans les miens, m'implorant d'un air interrogateur. Et je ne résiste pas à soutenir son regard. Une sorte de dialogue se passe entre nous. Et ça non plus, je serais incapable de l'expliquer puisque je ne crois pas en l'irrationnel. Elle pouffe de rire et j'en fais autant.

Adossé à ma chaise, je bascule la tête en arrière, regardant le plafond, réfléchissant à une réponse claire et concise. Abaissant le regard sur elle, je formule une réponse qui tient à peu la route en matière d'excuses, entendu que je ne peux pas lui révéler la vérité.

— Je voulais être architecte, mais c'est assez difficile de se faire un nom dans ce type de métier alors je me suis orienté dans le design avec une option économie. Ça m'a permis de mener ma barque un moment mais le surf est devenu plus important que tout. L'idée d'acheter un local et d'ouvrir une boutique de surf est venue un peu plus tard. Je veux développer ma propre marque de matos....et pour œuvrer en ce sens, je dois économiser et bosser, dis-je en refermant la carte à mon tour.

— Ce sont de belles aspirations, assure-t-elle.

— Je me donne les moyens d'y parvenir.

J'ai sciemment fait l'impasse sur un pan de ma vie qu'elle n'a pas besoin de connaître. Elle semble s'intéresser à moi, à ma vie et je me sens vite perdu, ayant peur de la décevoir. Mon métier n'est pas intellectuel et je ne brasse pas des gros salaires tous les mois. Je lui offre donc un portait de moi assez morcelé mais proche de la réalité. Au final, je n'ai dévoilé que des morceaux choisis et, si nos liens se précisent, il faudra bien que je réévalue cette option, mais pour le moment rien n'est joué. Pourtant, j'adore suivre des yeux les courbes de son visage, essayant d'y déceler quelques secrets.

Interrompu dans mon examen, un serveur malhabile se pointe à notre table. Légèrement hésitant, il griffonne nos commandes sur son carnet et s'en retourne vers les cuisines. Son côté gauche et emprunté m'arrache un sourire. Basculant le regard vers la belle qui me fait face, je détaille à nouveau chaque traits de son minois tandis qu'elle se concentre sur la rue animée. Des rires et une musique entraînante s'en échappe. Mais moi, mes yeux restent braqués sur elle, sans ciller. Ce qui me perturbe c'est que je n'arrive pas à percer sa carapace. Elle doit se sentir observée puisqu'elle détourne ses yeux noisettes en ma direction, empreinte d'une douce timidité.

En attendant notre commande, la discussion s'enchaine sur son pays natal. Ses descriptions passionnées éveillent mon intérêt et son petit accent me charme infiniment. Et c'est d'autant plus vrai, lorsqu'elle tente de le camoufler. Je le trouve tellement sexy que, le menton appuyé contre la paume de ma main, je suis attentif à chacune de ses paroles. Son goût prononcé pour les voyages, la découverte et la diversité font échos en moi.

Au moment où nos échanges sont épris de passion, le timide serveur refait son apparition, en apportant notre commande, s'excusant presque de faire son travail. Échangeant un regard complice, nous pouffons de rire à son départ.

— Tu as vu ce curieux personnage ? demande-t-elle en se rapprochant de moi.

— Ouais... professionnalisme 5. Habileté - 5 et service 0.

Elle étouffe de rire, le regard vers la rue, et m'entraîne avec elle. Sa manière délicate de se gausser de ce garçon inexpérimenté m'amuse. C'est difficile de résister à un rire si charmant. Et mon regard scrute sa gestuelle à l'infini.

Le jeune homme revient, chargé de nos boissons et de son encombrante maladresse. Le tintement des verres annonce une catastrophe et accentue l'hilarité de celle qui me fait face. Son manque d'assurance eut raison de lui puisqu'il verse le contenu de mon mug sur lui.

Contrit et bouleversé, il se confond en excuses, pose son chargement, essuie les dégâts, renouvelle son absolution faisant des pas en avant et en arrière.

Orientant mon regard sur elle, Stéphanie ferme les yeux, réprimant un nouveau rire sous le regard décontenancé du jeune homme. Ce dernier hésite, s'excuse, s'empourpre puis repart, laissant derrière lui une palanquée de questions qui heurte mon esprit.

Comment est ce possible d'être aussi maladroit avec seulement deux mugs ?

J'adresse un tendre sourire à la jolie brune qui m'accompagne, me gorgeant de sa bonne humeur. Lorsqu'elle reprend son sérieux, elle glisse son verre vers moi, me proposant de partager. Mais un autre serveur rapporte le mien, disculpant son apprenti pour la gêne occasionné. Je ne lui en tiens pas rigueur. Il faut bien commencer un jour, mais en ce qui concerne le malheureux, ces essais sont peu probants.

— Ça va ? Tu n'es pas trempé ? s'inquiète-t-elle, en se penchant vers moi.

— Non rassure-toi, juste un peu ma chaussure mais rien de méchant. Ça séchera, ne t'en fais pas.

— On peut dire qu'il a fait fort, se moque-t-elle.

— Il a battu tous les records, ouais.


Je suis un agacé de voir ma converse blanche taché de café mais je passe l'éponge sur cette malencontreuse aventure.

— Tu veux dire "it will happen" plutôt non ?

— Oui, rhooo... t'es pas obligé de faire le prof d'Anglais non plus ! Tu m'as compris ! plaisante-t-elle.

— Ah oui mais je ne peux pas te laisser dire n'importe quoi !

Elle me tire la langue, puis dévie sa frimousse vers la rue, faussement offusquée. Je m'esclaffe devant tout ce stratagème orchestré uniquement pour me faire perdre la tête. Et elle est en train d'y parvenir. Appréciant sa charmante répartie lorsque je la corrige sur son anglais, je termine mon hilarité par un sourire.

Quelques heures plus tard, je règle l'addition à son insu, malgré ses protestations que je noie dans un sourire charmeur.

En descendant la rue animée de Cross creeks Road, un jeu de lumières multicolores attirent notre attention. Les bars et restaurants attenants regorgent de monde, les plages sont truffées de feux de camps et de la musique s'échappe par des haut-parleurs. Ce genre d'ambiance cool m'attire vraiment et elle ne s'oppose pas à l'idée de se mêler à un groupe d'amis surfeurs. Il n'est pas tard et les étoiles scintillent.

*****


*Leash : un lien accroché à la cheville, destiné à relier le surfeur à sa planche.

*Off-shore : vent qui vient de la terre , excellent pour le surf car il creuse les vagues en tube.

*Glassy : vagues régulières

*Line-up : Zone au large du spot où les surfeurs attendent la vague.

*Take off : le fait de passer de la position allongé à la position debout.

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