Ambition. 

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Stéphanie - un an plus tôt - Novembre 2010 - ꪑﺃꪖꪑﺃ

Les odeurs de café et de viennoiseries chatouillent mes narines en ce matin d'automne. La rue, encore endormie, s'éveille lentement et les rideaux de fer des boutiques alentours s'élèvent les uns après les autres. Des promeneurs accompagnés de leur chien, au visage détendu, des jeunes gens hâtant le pas et d'autres venus s'installer à l'ombre d'une terrasse. Le soleil se déploie joliment sur une mer d'huile, éclaboussant de lumière la plage et la longue avenue.

Rempli de tranquille certitude, mon père boit une gorgée de café avant de tourner un regard interrogateur sur moi.

— Tente la Floride et la Californie, si tu en as envie ! Tu as la chance de trouver du boulot dans ton métier. Je te laisse faire même si je préférerai que tu restes sur Miami.

— L'ennui est que le prix des examens à passer est très coûteuse, papa. Je vais en premier chercher un emploi sur Miami, Los Angeles ou New York.

— Les trois ?

Son questionnement reste en suspend. Lui comme moi ne pouvons pas ignorer que cet emballement soudain pour la West Cost, ou la grosse pomme n'est nullement motivé par une technologie performante au sein des hôpitaux ou encore à une importante demande de soignants. Et d'ailleurs, s'il me pose la question c'est qu'il connaît la réponse. Inutile d'en dire davantage. Servir comme argument que je désire découvrir la Californie est audacieux mais pas suffisant. Lui dire que les hôpitaux de New York sont les plus performants, est une autre ânerie. Il sait que je vais fuir chaque endroit qui ne m'apporte pas son lot de bonheur. C'est cela qui rythme mes ambitions après le côté professionnel, bien entendu.

Le cerveau en ébullition, je tente une justification truffée d'arguments inattaquables; vanter la rapidité d'exécution des dossiers en Californie ou bien la facilité pour les expatriés à trouver un emploi. Ou encore soutenir que l'air frais de la Big apple ne m'effraie pas.

Avalant une gorgée de mon cappuccino vanille, je reste persuadée que seule une motivation à toutes épreuves et mon panache réussiront à le convaincre, tandis que les yeux marrons-verts de mon père restent braqués sur moi.

— Le dossier que je dois monter est très compliqué et l'attente d'une réponse sera de 5 ou 6 mois environs. Les démarches sont chères et en Californie on demande moins de choses : je dois passer le TOEFL, un examen en anglais et le N-CLEX, l'examen Infirmier final des États Unis. Je préfère tenter ma chance en Californie où je suis certaine de décrocher un poste et d'obtenir mon visa rapidement. La Floride est réputée pour avoir une attente d'au moins un an, enoncè-je avec conviction. L'Etat de New York recèle plus de possibilité mais reste à voir si mon dossier sera reçu.

— Et tu es pressée ? interroge mon père.

— Bah... j'ai envie d'exercer mon métier, Papa, et je ne peux pas envoyer mon dossier dans trois états différents. Ce serait trop cher. J'ai un an pour faire tout ça et me perfectionner en Anglais.

Un silence lourd de sens s'abat sur nous. Un malaise qui s'installe duquel il est difficile de sortir. Le visage fermé, mon père tourne un regard dur vers la rue mais ne relève aucune objection. J'essaie alors de relancer l'affaire, une nouvelle fois.

— Les infirmiers sont très demandés ! Tu ne vas pas galérer à trouver un travail. Alors qu'elle importance, lance mon père avec assurance.

— En tant qu'expatriée c'est beaucoup plus compliqué ! Sans contrat valide, on ne peut pas espérer faire une demande de visa H1B, argué-je.

— Et en allant à Los Angeles ou à New York tu as la garantie de trouver du boulot plus rapidement qu'ici ? Tu en es sûre ? objecte mon père, en proie au doute.

— J'ai envie d'essayer ! Ce sera le premier qui me répondra favorablement, réponds-je avec assurance.

— A Los Angeles ! Kate pourra te prêter son appartement. Mais je ne te cache pas que je n'aime pas ton idée.

— Je sais bien mais je réussis à exercer mon métier, ce serait tellement bien !

Mon père secoue la tête, comme s'il venait d'assimiler un élément déjà à sa portée. Le regard perdu dans le vague, il ne répond rien. Cette discussion, nous l'avons élimé trois ou quatre fois sans qu'elle aboutisse sur quoi que ce soit.

— Tu fais comme tu veux, lance-t-il d'un air faussement désinvolte, en haussant les épaules.

— Je voulais en parler avec toi et avoir ton avis.

— Tu fais comme bon te semble ! répond-il d'un ton désapprobateur, de toute façon tu as déjà pris ta décision.

Le visage fermé, il fuit mon regard, termine son café et n'ajoute rien. Ses paroles évasives, ponctuées de silences sont là pour me dissuader. Sûr de lui, il sait que je ne tenterai rien sans son entière approbation. Et la peur de commettre une erreur plane au-dessus de moi comme un avertissement.

— Ma chérie, je te laisse. Je te dis à tout à l'heure.

Les clefs en main, il se lève avec un sourire tendre empreint d'une inquiétude toute légitime. Disparaissant enfin parmi la foule qui se fait dense à cette heure de la matinée, il fait naître en moi une incertitude destinée à me pousser dans mes retranchements.

*****

~ 12 Octobre 2010 ~ Miami

Les deux soirées qui ont suivies, j'ai bossé au Memphis. Ce laps de temps a été nécessaire à Kate pour orienter les pensées de mon père et le conduire à accepter mon projet. Elle a su le rassurer en lui démontrant que rien n'est immuable et il a fini par accepter d'endosser un rôle moralisateur prévenant les embûches qui pourraient se présenter.

Face aux offres d'emploi et aux différentes possibilités qui se présentent à moi, il m'a fallu choisir entre New York et son côté cosmopolite, Los Angeles et ses plages immenses, et enfin Miami et sa coté jet set. J'ai préféré laisser la providence décider pour moi et il s'est trouvé que c'est le Southern California Hospital qui a répondu le premier, me proposant un entretien avec le cadre de service des urgences en début de mois prochain.

Mon père fut donc dans l'obligation d'accepter le choix qui s'est présenté. D'un autre côté, il sait que Kate possède un appartement sur Downtown à Los Angeles et que ce sera des démarches en moins pour moi. Enthousiaste, j'ai aussitôt envoyé un mail confirmant ma présence à cet entrevue.

En attendant de rencontrer le responsable du service des urgences au Southern California Hospital de Los Angeles, je débute mes nombreuses démarches : contacter la CGFNS, en prenant connaissance des formalités nécessaires pour l'Etat de Californie et effectuer une copie de mon dossier scolaire infirmier afin de l'envoyer au CGFNS ainsi qu'au BOARD of NURSING afin de juger de mon éligibilité. Pour se faire, Kate s'est attelée à la longue tâche de traduction ; une vingtaine de pages qui ont été envoyées aux deux organismes.

*****

~ 15 Novembre 2010 ~ Miami

Assise sur un ponton, dans le quartier de Coconut Grove, cela fait trois heures que je relis mes cours. Mon cerveau déborde d'informations et, au risque de tout mélanger, je m'accorde une pause en observant les méandres formés par les vagues. Plus loin, déployant leurs grandes voiles, les péniches glissent sur l'eau jusqu'au quai. Les rires des enfants qui jouent dans le sable, les cornes des bateaux et le piaillement des mouettes passant au-dessus de moi, distraient un instant mon esprit et retiennent mon attention.

Cela fait quinze jours que je prépare mon dossier avec l'aide de Katelyn ; une véritable course poursuite aux documents. Sa connaissance de l'Ambassade Française et des divers organismes contactés a été un gain de temps. Afin d'améliorer mon Anglais et me laisser toutes les chances de réussir le TOEFL, Kate m'a proposé un entraînement intensif : je ne devrais m'exprimer qu'en Anglais avec Kate, Ed et mes collègues de boulot. Mon père restera la seule exception, avec lequel je m'accorderai une pause.

Tout le monde me soutient dans mon projet.

Faisant abstraction du bruit environnant, je poursuis avec acharnement mes révisions jusqu'à ce que le soleil couchant m'ordonne de regagner mon domicile.

*****

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