L'Unique

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Je peinais à reprendre ma respiration. Mes bourreaux ne m’en laissèrent guère le loisir. La crosse d’un revolver me fit heurter le sol, tandis que les deux autres s’acharnèrent à me rosser de coup de pied. Pourquoi cette violence inutile ? Pourquoi ne comprenaient-ils pas que je leur étais inutile ?

Un coup en plein visage me fit rouler sur le côté. Mes mains se crispèrent sur ma face meurtrie, geignant de désespoir.

« Tuez-moi, par pitié…» suppliais-je en silence.

Ils n’entendirent pas ma supplique. Même si cela avait été le cas, je doute que ces barbares m’auraient exaucé. Persuadé de ma culpabilité, j’étais destiné à me faire tabasser jusqu’à ce que mort s’en suive. Mon corps serait ensuite incinéré et ira rejoindre la liste des disparus.

Ils firent quelques pas en ma direction, en prenant leur temps. Ils espéraient certainement que la crainte de me faire frapper à nouveau me ferait parler.

Difficile lorsque l’on a aucune information à révéler…

Un son strident et continu retentit. Pris de panique Mes bourreaux se précipitèrent en dehors, me laissant seul dans cette pièce mal éclairée. Je repris lentement mon souffle et peina à me relever.

Bien que recouvert par l’alarme, j’entendais des hurlements dans le couloir. Quelque chose s’était produit. Quelque chose qui amenait un climat de peur parmi les adeptes de l’Unique.

L’alarme les avait pris de court. Personne n’était resté pour assurer ma surveillance. Qu’avaient-ils à craindre de moi de toute façon ? Un frêle journaliste roué de coup, cela ne risquait pas de vagabonder bien loin…

Si je devais tenter une fuite, c’était pourtant maintenant ou jamais. Dans peu de temps, l’un des soldats serait de retour. Mon arrêt de mort serait alors signé.

Je n’étais qu’un opposant qui n’avait rien à leur offrir. Fuir ou mourir. Tel était le choix que m’avait offert mes ‘‘sauveteurs’’. Mon esprit était embrumé. Ma vision, encore trouble, n’allait pas aider. Je tentai toutefois de me relever. Prenant appui de mes mains, je me mis difficilement à genoux. Mes membres tremblaient. La tâche était ardue, je devais marquer des pauses sous peine de chuter. Mes côtes me brûlaient… Je n’osais en estimer le nombre brisé.

Une fois à genoux, j’eus bien des peines à m’établir sur mes deux jambes. Au prix d’un effort qui faillit me faire perdre connaissance une bonne dizaine de fois.

Je ne devais pas quitter mon objectif de vue. Seule ma volonté me maintenait conscient. La moindre défaillance me serait fatale. Peu après mon entrée dans la pièce, j’avais remarqué une fenêtre qui semblait donner sur une sortie de secours. J’avais cru y apercevoir un escalier. Ma décision fut rapide. Il s’agissait de mon unique espoir… Péniblement, je parvins à me diriger vers la faible clarté qui se dégageait de la fenêtre.

Mon sésame, ma bouée de sauvetage. Je parvins finalement à l’atteindre. Elle ne s’ouvrait que par coulissement de bas en haut. Vieux bâtiment, fenêtre de merde. C’était logique…

Je plaquai mes mains contre son bois et poussa de toutes mes forces. Mon cœur se mit à battre de plus en plus fort contre ma poitrine, me martelant douloureusement. Mes nerfs étaient à vif, mes sens aux aguets. Un garde pouvait rappliquer à tout instant..

Après un temps qui me parut infini, la vitre finit par s’élever. J’en inspirai une grande bouffée d’air et me sentit revivre. J’enjambai le rebord, prenant garde à ne pas chuter. Mon corps était lourd, chaque mouvement me demandait un effort surhumain.

Mon intuition avait été la bonne. Je me trouvais sur la passerelle d’un escalier de secours en colimaçon qui semblait donner sur chaque étage. Il me fallait descendre. Prenant appui sur le rebord de l’escalier, je m’exécutai maladroitement marche après marche. Aussi rapidement que possible malgré mon pitoyable état.

Lorsque mon pied toucha le trottoir, je cru m’évanouir de soulagement. La raison me rappela que je n’étais pas encore tiré de cet Enfer. Je venais de déboucher sur une rue que je ne connaissais pas. A mon enlèvement, nous venions d’arriver dans une ville qui nous était jusque-là inconnue. Nous n’avions pas eu le temps de nous livrer à notre repérage, un rituel instauré durant de longues années de fuite. Apparemment, je me trouvais à l’arrière d’une sorte d’entrepôt.

J’entendis l’écho d’une fusillade non loin. Je devais quitter les lieux au plus vite, ma fuite ne tarderait pas à être remarquée. Je me mis à courir, malgré la brûlure que m’infligeaient mes côtes blessées. Ma vue était trouble, j’étais encore étourdi par le passage à tabac que m’avait infligé les représentants d’un pays qui n’était définitivement plus le mien.

Un crissement de pneu derrière moi. Mon sang se figea. Déjà repéré ?

Je stoppai ma course et me retourna lentement, craignant de recevoir une balle à tout instant. Une solide poigne m’agrippa le bras et me força à le suivre. Cela commençait à devenir une désagréable habitude. Le véhicule était une camionnette. Mon nouveau ravisseur, cagoulé, m’intima à monter à l’arrière. Je m’exécutais, étonné de ne pas avoir été abattu à vue.

Un homme me fit signe de m’asseoir. A côté de lui. Mon sang se figea. J’avais déjà rencontré ce type. Et j’avais prié pour que cette rencontre soit la dernière…

— Asseyez-vous, s’il vous plaît, me pria-t-il en me désignant une place à côté de lui.

Inutile de me le répéter. J’avais la sensation que mes jambes allaient se dérober sous mon poids. Je m’affalai brutalement, grimaçant sous la douleur toujours aussi vive. A présent sous une relative sécurité, mes nerfs se relâchaient, ravivant les flammes de mes blessures. La camionnette démarra brusquement.

— Nous vous menons en un lieu sûr, m’informa-t-il. Nos médecins vont s’occuper de vous.

Durant le silence qui suivit, une foule de questions m’assaillait. Je me sentais trop las pour les formuler.

-Depuis notre précédente rencontre, nous vous avons gardé à l’œil, monologua-t-il, éludant l’une de mes interrogations. Nous craignions pour votre sécurité. Je suis navré de constater que nos craintes étaient fondées.

Je ne répondis pas et jetai un bref regard dans sa direction. Physiquement, il n’avait que peu changé. Grand, cheveux rasés, regard froid. L’archétype du militaire qui avait subi une vie de guerrier. Son psychisme semblait s’être davantage assombri. Lors de notre précédente conversation, son regard et sa voix trahissaient un optimisme flamboyant. Aujourd’hui, la flamme semblait s’être éteinte.

— La Fraternité a besoin de vous.

Un ricanement nerveux s’échappa de ma gorge.

— Pour tuer ?

Je n’étais pas surpris par cette déclaration. Notre précédente conversation avait eu pour sujet cette même proposition de recrutement. L’idéologie de la Fraternité était pourtant noble. Rétablir la Démocratie, en voilà un beau combat.

Incapable de porter efficacement leur discours de liberté, ils se livraient depuis plusieurs années à des attaques directes contre le Gouvernement. Générant mort et destruction. Porteur d’un message d’espoir, la Fraternité, impuissante, était devenue un vulgaire mouvement terroriste. Ce ‘‘leader’’ m’avait proposé de devenir leur porte-parole. J’avais décliné la proposition. Le massacre d’innocents ne justifiait pas la lutte. Je refusais de couvrir mes mains de leur sang…

— Vous n’avez pas besoin de moi pour cela, murmurai-je avec froideur.

— Vos messages sont l’espoir du peuple, affirma le général. Nous ne sommes que le corps. Soyez notre esprit.

— Foutez-moi la paix…

Le froid que je venais de jeter dura trop peu de temps à mon goût et fut interrompu par une question des plus désagréable.

— Tenez-vous à votre famille ?

Nouveau silence. Je voyais clair en sa manœuvre. Et je n’étais pas du genre naïf…

— Sans notre soutien, vous n’avez aucune chance de les retrouver.

— Ils sont déjà morts.

— Qu’en savez-vous ? Vous êtes en vie, non ? Et plus vous le resterez, plus il y a de chance pour qu’ils soient épargnés. Vous connaissez leur façon de procéder tout autant que moi.

J’étais piégé. Sur un front comme de l’autre.

— Nous pouvons-nous aider mutuellement. Nous avons besoin de votre aide. Je vous en prie, aidez-nous à libérer notre patrie Et nous vous aiderons à sauver votre famille.

Etait-ce possible ? La Fraternité s’était montrée aussi violente que l’Unique… jusqu’à présent. Pouvait-elle devenir une armée de Paix ? Je ne pouvais m’empêcher d’en douter.

Le général me mit une arme entre les mains.

— Le choix vous appartient.

Les pensées se bousculaient en mon esprit. Tout était confus. Si je déclinais, je perdais mon dernier espoir de retrouver ma famille. Si j’acceptais, je prenais le risque d’aider à la mort d’innocents. Tant d’âmes qui n’avaient rien demandé d’autre que de vivre en paix. Mais pouvaient-on encore les considérer comme des innocents ? Eux qui avaient amené l’Unique au pouvoir ?

Mes côtes me faisaient souffrir. Des larmes me montèrent aux yeux. De douleur ou de tristesse ? Je n’aurais su le dire. Etait-ce à cela que devait me conduire mes efforts, mon travail ?

Je ne pouvais plus quitter l’arme des yeux. Quel était le bon choix ?

— Nous sommes Légion.

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