Entretien avec la mort

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Alison fixait son reflet dans le miroir, il lui restait peu de temps avant son interview de 18h, et donc par conséquent peu de temps pour calmer les tremblements de ses mains. Elle se répétait mentalement qu'il était de son devoir d'assurer, après tout, il lui avait fallu lourdement insister auprès de son supérieur pour avoir cette interview. La jeune journaliste voulait prouver que malgré son jeune âge, il lui était possible de gravir rapidement les échelons du métier, et pour cela rien de mieux que d'interviewer l'être qui posait le plus de problèmes à l'humanité depuis sa création. Aucun autre journaliste ne pouvait se vanter de posséder une telle opportunité. Lorsqu'elle réalisa ce fait, Alison souffla un grand coup, puis sorti des toilettes. La jeune femme marcha d'un pas assuré jusqu'à la salle préparer spécialement pour l'occasion, les caméras ainsi que le personnel étaient déjà en place. Alison prit place dans l'un des deux fauteuils gris, celui en face d'elle était vide pour le moment. On lui avait donné plusieurs fiches qui répertoriaient les questions qu'elle allait devoir poser à l'invité, mais elle savait qu'elle ne prendrait pas la peine de les lire, elle allait faire les choses à sa façon.

L'un des caméramans avait fait signe à la jeune femme qu'ils avaient commencé à filmer, il ne lui en fallu pas plus pour se mettre à déblatérer son speech habituel que l'on servait au spectateur lors d'un début de direct. Bien que l'invité n'était pas encore présent, Alison n'était pas inquiète car savait que ce dernier apparaissait souvent lorsque l'on s'y attendait le moins. Quelques secondes après la fin de son allocution, elle put sentir que la température avait soudainement baissé, et elle frissonnait dans son petit tailleur blanc. Malgré le désagrément causé par le froid, la jeune femme ne laissa rien paraître à la caméra, toutefois elle trembla légèrement lorsqu'elle vit une forme drapée et encapuchonnée qui se tenait derrière les caméramans, de l'autre côté de la pièce. La forme s'approcha doucement du plateau, sous les regards inquiets du personnel qui ne l'avait pas entendu arriver. Elle prit place dans le fauteuil face à Alison, sans dire un seul mot, attendant simplement que la journaliste dise quelque chose.

De cette étrange créature, Alison ne pouvait voir que le visage. Mais cette vue lui donnait la nausée, car elle était incapable de dire si ce visage avait des traits féminins ou masculins, et il ne montrait aucune émotion. À cet instant, Alison ignorait si elle devait se réjouir ou fuir en courant, mais elle prit une grande inspiration comme elle l'avait fait plus tôt et se mit à parler.

- Bienvenue à vous, et merci infiniment d'avoir accepter cette interview. Vous pouvez m'appeler Alison, et c'est moi qui vais vous poser quelques questions. Sachez que les questions qui serons posées ici sont celles que l'ensemble de l'humanité se pose à votre sujet, bien entendu vous n'êtes absolument pas obligé de répondre. Alors pour commencer, comment dois-je vous appeler ? Monsieur mort ? Madame mort ? Madame la mort peut-être ? Simple question pratique pour la suite de notre conversation.

- Nommez-moi comme vous le désirez, j'ai tellement d'appellations, ce n'est pas ça qui manque.

Sa voix aussi donnait des frisons à la jeune femme, il lui était également impossible de la décrire. Elle était caverneuse, et semblait lointaine comme un écho. Le visage de l'invité ne montrait toujours aucun semblant d'émotion. Mais Alison se ressaisit bien vite.

- Très bien, partons sur la mort dans ce cas. Pour commencer, nombreux sont ceux qui se demandent d'où vous pouvez bien venir. Vous semblez exister depuis la nuit des temps, à tous les siècles, et dans toutes les cultures. La question est donc simple : d'où venez-vous ?

- Je ne sais pas.

Après cette courte réponse, il y eut un long silence qui pesait sur l'ensemble du plateau. Alison sentait qu'elle se devait de désamorcer le malaise ambiant.

- Vous ne savez pas ? J'ai bien du mal à la croire, peut-être ne voulez-vous pas dévoiler au monde entier l'origine même de toute chose ? Peut-être avez-vous peur d'ébranler les croyances de chacun ? Mais lors d'une interview, un invité se doit de faire preuve d'honnêteté, alors faite un petit effort de coopération s'il vous plaît.

La mort eut un léger sourire, cette humaine l'intriguait. Tout dans sa manière de communiquer dévoilait un mépris pour sa personne, or d'ordinaire les gens ne lui témoignaient que de l'horreur.

- Vous faites fausse route mademoiselle, et sachez que je n'ai peur de rien ni personne. En vérité, j'ignore réellement le pourquoi du comment de mon existence. Je sais seulement qu'à un moment précis dans le cours du temps, mon frère s'est mis à exister, et mon existence a suivi la sienne peu de temps après. Mais cela c'est produit il y a fort longtemps, à cette époque-là les premiers êtres vivants étaient de simples prototypes de cellules.

- Attendez un instant, la mort à un frère ?

Cette fois, la mort se mit à rire. Le son qui en résultait paralysa légèrement le reste du personnel présent. Même Alison luttait pour ne pas flancher.

- À votre avis mademoiselle, comment se fait-il que vous existiez ? Mon frère c'est bien charger de vous engendrer, tout comme l'ensemble des êtres peuplant ce monde.

- Vous parlez de Dieu ?

Encore un rire glacial.

- Non. Je vous parle de celui que vous appelez tous la vie. Sachez que mon existence est liée à la sienne. S'il n'était pas là, je ne le serais pas non plus. Lorsque j'ai acquis une forme et une conscience, il est la toute première chose que j'ai vue. Il était là partout où je posais mon regard, il était si fier de me montrer son terrain de jeu ainsi que ses jouets.

- Ses jouets ?

- Les êtres vivants qu'il créait, je suis certain que vous auriez adoré voir les premiers prototypes de la vie, minuscule, invisible à l'oeil nu, très fragiles. À dire vrai, il s'en est désintéressé très vite, alors il s'est tourné vers la création d'être fait de plusieurs cellules. Autrefois nous étions souvent ensemble, mais aujourd'hui nous nous voyons très peu, cela arrive seulement lorsqu'un enfant est mort-né. Lorsque cela arrive nous nous retrouvons à nouveau, et lorsque je me présente pour emporter l'enfant, il est là devant moi, me souriant de joie malgré les pleurs des parents nouvellement endeuillés.

Les poings de la jeune femme étaient serrés, elle ne comprenait pas comment la mort pouvait parler de la disparition soudaine de nouveaux-nés comme s'il s'agissait d'une simple anecdote à peine suffisamment intéressante pour être mentionné. C'en était trop pour la journaliste, qui se mit à oublier où elle se trouvait et à qui elle parlait.

- Il vous arrive d'éprouver des remords pour ce que vous faites ? J'imagine que vous avez conscience d'être la chose la plus détester au monde, cela doit être dur. J'aimerais bien que vous nous disiez ce que vous ressentez après avoir pris la vie de quelqu'un. J'aimerais savoir si vous vous sentez mal, misérable après.

- J'admets que je culpabilise parfois, de ne pas voir de remords.

Cette phrase, couplée au sourire suffisant de la créature finit de faire exploser la colère d'Alison. La jeune femme n'en avait plus rien à faire des caméras, du personnel, ou même de sa carrière, elle sortit rapidement un morceau de papier glacé de la poche de son pantalon. Il s'agissait de la photo d'un jeune garçon, Alison la tendait tout proche du visage de la mort dont l'expression était toujours inchangée.

- Vous voyez cet enfant ? Il s'agissait de mon neveu, il s'appelait Scott, mort à 9 ans d'une leucémie l'année dernière. J'imagine que vous le connaissez puisque c'est vous que l'avez emporté. J'aimerais savoir pourquoi lui et pas un autre ? Comment vous pouvez prendre des enfants si jeunes ?!

La photo de l'enfant ne suscitait rien chez la mort, mais au moins maintenant l'origine du mépris de cette femme pour sa personne trouvait une explication.

- Vous savez combien d'enfant meurent chaque année dans ce monde ? Comment voulez-vous que je me souvienne de ce garçon ? Par ailleurs, il y a un point de j'aimerais éclaircir avec vous, mademoiselle.

Malgré son visage toujours aussi neutre, le ton de sa voix avait changé, il se faisait plus froid, autoritaire.

- Ce n'est pas moi qui ai condamné votre neveu, mais la maladie. Vous les humains confondez ce que je suis, avec les causes de ce qui vous détruit. Si je n'étais pas intervenu pour cet enfant, alors il serait encore entrain de souffrir inutilement à l'heure actuelle, son corps aurait commencé à pourrir et il aurait été conscient de sa propre décrépitude. Il en va de même pour les personnes âgées, si je ne venais pas à leur rencontre elles finiraient toutes par dépasser les 120 ans, elles auraient toutes besoins d'assistances pour la plus simples des tâches, et même si elles restaient en bonne santé la démence les gagnerait peu à peu. De plus, je ne suis pas à l'origine des guerres, des meurtres, ou des accidents que vous autres, les humains, causez. Si vous saviez le nombre de fois où j'ai été obliger de faucher un soldat dans la fleur de l'âge, afin qu'il ne se rende pas compte qu'il s'était pris une balle en pleine tête. Lorsque quelqu'un doit mourir, je le sens immédiatement peu importe où il se trouve.

- Fantastique ! Quel merveilleux samaritain nous avons là !

- Ne prenez pas ce ton avec moi mademoiselle. Ce n'est pas moi que vous devriez haïr, mais mon frère. Malgré tout l'amour que je lui porte, et la fascination que vous avez pour lui, il est bien plus cruel que je ne le suis. C'est lui qui vous a créé pour qu'un jour je me présente à votre chevet. Vous vous trompez tous en imaginant qu'il est bon et juste, il n'est fasciné que par le processus de création en lui-même, une fois que vous avez fini de vous développer, il se désintéresse bien vite de vous. En réalité, vous devriez tous me remercier, car je suis le seul de nous deux à penser à votre bien-être. Invitez le pour passer une interview lui aussi, vous verrez qu'il ne se donnera même pas la peine de se déplacer comme je l'ai fait. De plus, je vous ferai remarquer que je vous traite tous de façon égale, ce qui n'est pas le cas de la vie qui adore varier ses créations, vous créant parfois avec des anomalies génétiques dangereuses pour votre santé. Oui, mon frère est sadique mademoiselle.

Cela faisait trop de chose à traiter pour Alison, ses larmes coulaient maintenant doucement, elle savait que son supérieur ne lui laisserait plus jamais mener d'interview, elle avait montré à tous qu'elle n'était guère maîtresse de ses émotions. Alison fit alors signe aux caméramans que l'interview était terminée, on coupa alors le direct pour diffuser des annonces publicitaires. La mort se leva nonchalamment du fauteuil, mais une petite voix l'interpela une dernière fois.

- S'il vous plaît, je vous en prie, dites-moi au moins que mon neveu est dans un monde meilleur. Dites-moi qu'on ne retourne pas au néant, qu'il y a quelque chose après vous. Dites-moi qu'un jour je retrouverai tous ceux que j'aime, que vous n'êtes pas une fin.

La mort se mit à sourire de nouveau, mais Alison ne put dire s'il s'agissait d'un sourire de réconfort ou un sourire moqueur. Mais elle voulait obtenir une réponse, car la mort avait bien expliqué avant de se présenter sur le plateau, que cette interview sera la seule et unique qu'il donnerait. Mais la mort ne répondit pas à la jeune femme, restant insensible à sa détresse, lui tournant le dos.

- À la semaine prochaine mademoiselle.

Puis, la chose disparue aussi vite qu'elle était apparue.

Fin.

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