Retour en enfance

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L'ancienne maison de mes parents, minuscule demeure de souvenirs, reflétant passé et présent, est toujours sur pieds, au fin fond de ces collines. Les fenêtres, taillées dans la pierre et dans le bois, me renvoient, comme par magie, à ma vie de petite fille. Je me remémore l'enfant naive que j'étais, tellement insouciante et dynamique, née à l'époque de ces dirigeants dépravés. J'étais bien petite, insignifiante aux yeux des gens. Je devais obéir, me taire, toujours garder la tête baissée, de peur, qu'un jour, je ne puisse plus me relever. La terreur régnait en maître dans cette petite demeure, remplie de la joie et des rires des personnes libres d'autrefois.

La porte d'entrée en bois, finement gravée au couteau, m'ouvre la voie sur un petit espace laissé à l'abandon. Un grand canapé gris traine au milieu de la pièce qui faisait auparavant office de salon et chambre à coucher. Deux fauteuils vert écaille à pois noirs entourent une petite table basse sur laquelle est posée une radio aux allures antiques. Les souvenirs reviennent. Je me rappelle comment dans l'effroi d'être entendus, nous nous regroupions tous en silence pour écouter la radio de la Libération, interdite par ces temps. Je revois ma mère nous rappeler à moi et à mon frère de chuchoter tandis que les voix de la liberté appelaient le peuple à la rébellion.

De la cuisine je sens encore s'élever l'apétissante odeur de pain chaud préparé par ma mère et l'alléchante sensation de plaisir lorsqu'on arrivait à mettre la main sur un morceau de viande bien grasse. On allait, chaque lundi, au marché pour recevoir nos rations de beurre et nos trois rouleaux de papier-toilette. C'était la crise. La nourriture manquait. Les dirigeants volaient la moitié en toute impunité. Et le peuple restait affamé. Parfois, ma mère réussissait à chaparder quelques rations de plus grâce à son travail à la supérette. Mais, cela restait encore trop peu pour subvenir aux besoins de toute la famille.

Quand je regarde maintenant par la fenêtre, je repasse ces moments dans ma tête. On vivait dans la misère même si on ne le ressentait pas non plus énormèment. Je repense à ces horribles gens, obligés de balancer ceux qui ne respectaient pas les règles, qui parlaient en mal de notre dirigeant, qui l'insultaient publiquement. On avait peur que ça puisse nous arriver. Alors, on se taisait. On observait, c'est tout. On était spectateurs de notre propre malheur.

Je revoie ces instants de ma vie et c'est avec regrets que je quitte la maison de mon enfance. Ces années de mon enfance m'ont percuté en plein coeur et m'ont fait comprendre combien il est important de ne compter sur personne car on ignore qui se cache vraiment derrière les collines.

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