Madame Yuen

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Le 4 juin 2018, Mathis ne pourrait jamais oublier cette date, ce jour merveilleux durant lequel la famille Yuen avait emménagée dans l'appartement en face du sien. Normalement, l'adolescent n'aurait jamais prêté attention à l'arrivée de nouveaux locataires dans son HLM miteux, car après tout, aucun voisin n'avait jamais jugé bon de lui demander d'où pouvait bien provenir les nombreux bleus, et griffures qu'il avait sur le visage, ni n'avait jugé bon de prévenir la police lorsque qu'il dormait dans l'escalier de l'immeuble, trop effrayer à l'idée de rentrer chez lui. Par conséquent, il ne se préoccupait pas non plus de leur vie.

Toutefois, le 4 juin fut différent. Mathis était resté sur le palier, ses parents avaient encore verrouillé la porte de l'appartement, il avait donc assisté à la venue de cette nouvelle famille qui faisait joyeusement plusieurs allers-retours entre le hall de l'immeuble et leur appartement pour y apporter tous leurs cartons. Elle se présentait comme la famille parfaite, papa, maman et leurs fils qui ne devait pas avoir plus de dix ans, il ne leur manquait plus que le chien. Mathis avait un haut-le-coeur en les regardant.

- Excuse-moi jeune homme, ça ne me regarde surement pas, mais j'ai remarqué que tu reste planté devant ta porte depuis un moment, il n'y a personne chez toi pour t'ouvrir ?

Mathis s'était figé, c'était la mère de famille qui venait de lui parler. Le coeur du garçon fit un bond, c'était la première fois que quelqu'un lui adressait la parole sur un ton aussi bienveillant. La femme devait avoir la trentaine, avait le plus beau sourire que l'adolescent ait pu voir de toute sa vie.

- Oh ne t'inquiète pas, mon fils c'est pareil, il oublie tout le temps ses clés à la maison. La prochaine fois que tu te retrouves dans cette situation, tu peux passer chez nous prendre un café, enfin j'imagine qu'à ton âge on boit surtout des boissons gazeuses. Au fait, je suis madame Yuen, enchanté.

À partir de ce jour, Mathis passait souvent rendre visite à madame Yuen qui l'accueillait toujours de bon coeur, il l'aidait même à porter ses courses quand son mari n'était pas là, et elle lui avait souvent demandé pourquoi il était constamment blessé au visage, mais l'adolescent ne répondait jamais à ses questions. Plusieurs mois étaient passés, et madame Yuen apparaissait dans l'esprit de Mathis comme sa seule source de bonheur dans la vie. Depuis qu'il passait du temps avec elle, Mathis avait recommencé à rire, et plus largement à être heureux. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre qu'il était tombé amoureux de cette femme, et cela l'avait beaucoup secoué au début. Il avait passé de nombreuses nuits à se caresser en pensant à elle, mais lorsqu'il réalisait l'horreur de ce qu'il faisait, Mathis courait dans sa salle de bain pour vomir.

Un jour, il prit conscience que cette situation ne pouvait plus durée. Il réalisa qu'il devait avouer ses sentiments à sa chère voisine de palier. Après tout, madame Yuen avait toujours été si gentille avec lui, l'avait toujours accueilli à bras ouverts chez elle, et elle lui souriait toujours, il n'était pas impossible dans son esprit, que cette femme ait aussi de la tendresse pour lui.

Mathis avait frappé à la porte de l'appartement de madame Yuen, mais personne ne lui ouvra. Il se contenta alors de l'attendre devant chez elle, un bouquet de roses rouges à la main. Au bout d'une demi-heure d'attente, celle qu'il aimait sortit de la cage d'escalier, un sac en pastique à la main duquel depassaient quelques conserves alimentaires. En voyant l'adolescent sur le pas de sa porte, madame Yuen ne put s'empêcher de le taquiner.

- Coucou Mathis, tu as encore oublié tes clés aujourd'hui ?

Mathis ne répondit pas, et lui tendit le bouquet d'une main tremblante. Madame Yuen prit le bouquet de sa main libre, et lui adressa un sourire que l'on adressait d'ordinaire à un enfant tout fière d'avoir trouvé un cadeau pour sa mère.

- Merci mon grand, mais ce n'était pas la peine, je ne t'ouvre pas ma porte dans l'espoir de recevoir des cadeaux.

- Je suis amoureux de toi.

C'était sorti tout seul. Mathis fut tout d'abord soulagé d'avoir enfin craché ses sentiments qui le dévorait depuis si longtemps, mais sa joie se disipa bien vite lorsqu'il vit le visage de madame Yuen qui ne souriait plus du tout.

- Mathis, je crois que tu n'as pas les idées très claires ce soir, alors je vais aller ranger mes courses, et tu repasseras demain après une bonne nuit de sommeil.

- Mes idées n'ont jamais été aussi claires. Je t'aime. Je sais que c'est toi la femme de ma vie, ne crois pas que ce que je ressens pour toi est un bête béguin d'adolescent.

- Mathis ça suffit ! Non mais tu te rends comptes de ce que tu dis ? Je suis marié, et tu es un mineur de seize ans. Je ne sais pas très bien ce que tu imaginais, mais ça ne se fera jamais, je suis désolé.

Madame Yuen voulue ouvrir la porte de son appartement, mais l'adolescent dans un accès de rage et de désespoir, l'a prit par les épaules afin de l'a plaqué brutalement contre le mur, ce qui lui fit lâcher ses courses ainsi que les fleurs. La mère de famille ressentit pour la première fois de la peur à l'encontre de Mathis, ce jeune garçon qu'elle avait si chaleureusement accueilli chez elle, pour qui elle s'était si souvent inquiété de l'état physique. À cet instant précis, elle ne vit qu'un fou face à elle.

- C'est quoi le problème ?! Tu me laisses venir chez toi et puis tu me rejettes ?! Si c'est ton mari le problème quitte-le, je suis sur qu'il te saute même plus, il est tout le temps à son boulot de merde ! Je peux très bien te rendre heureuse moi aussi ! Tu es la mère que j'ai toujours voulu avoir, alors laisse -t'aimer comme un amant je t'en prie !

Dans un réflexe engendrer par la peur et le désespoir, madame Yuen parvint à gifler le jeune garçon, ce dernier sous l'effet de la surprise lâcha son emprise. Madame Yuen profita de cette ouverture pour se précipiter à l'intérieur de son appartement, toujours choquée par le comportement du garçon. Mathis put entendre la porte être vérrouillée précipitamment. Il eut le temps de se calmer, et se sentit soudain honteux par ce qu'il venait de faire. Les boîtes de conserves, ainsi que les fleurs gisaient tristement sur le sol sale du palier. Il se doutait bien que madame Yuen regardait s'il était toujours là par judas, elle devait être apeurée. Mathis ne voulut pas l'effrayer davantage, et se décida à rentrer chez lui.

Le soir qui suivit cet évènement, Mathis ne put trouver le sommeil. Il ne s'était jamais senti aussi misérable de toute sa vie. Il n'aurait jamais dû réagir de cette façon. Il ne put que constater que jamais rien de bien n'arriverait dans sa vie, et surtout il réalisa qu'il était malade, que son comportement ne pouvait être pardonné. Mathis se leva de son lit, se dirigea dans la salle de bain, ses yeux fixaient la boîte à pharmacie dont la vitre était noire de crasse. Il savait comment mettre fin à son cauchemar.

Fin.

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