Chapitre 14

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- Mais Madame, vous ne pouvez pas sortir maintenant. protesta Patsy. Monsieur Stuart est attendu d’un moment à l’autre.

La jeune esclave trottinait derrière sa maitresse qui marchait d’un bon pas pour pouvoir la suivre. Les deux femmes traversèrent la cuisine sous le regard surpris de la cuisinière qui s’affairait aux fourneaux.
Hope avait décidé de partir se promener pour ne pas accueillir son mari. La jeune femme savait qu’elle n’avait que très peu de prise sur les évènements, mais elle profiterait de chaque petite occasion pour sortir du cadre qui lui était fixé.

Elle ne lui ferait pas l’honneur de l’attendre sur le perron. Il la verrait quand elle l’aurait décidé. Elle prit son ombrelle des mains de sa domestique et sortit par la porte de derrière la maison pour être sûre de ne croiser aucun membre de la famille Hamilton.

La jeune femme prit le chemin qui menait au quartier des esclaves. Elle avait envie de rendre visite à Mimba qu’elle n’avait pas encore vue depuis son arrivée. La mélancolie dans laquelle elle avait sombré depuis sa dispute avec Stuart l’avait condamnée à la solitude.

Hope se souvenait du chemin qui menait à la case de la vieille femme et n’eut aucune peine à la retrouver. Le quartier était désert, tous les esclaves étant au travail.

Mimba était assise sur le même banc que la dernière fois. Elle semblait attendre Hope. A ses pieds, il y avait un grand panier en osier qui bougeait. Hope s’approcha et découvrit un adorable bébé qui gigotait nu.

- C’est mon premier arrière-petit-fils. Il s’appelle Moses. lui présenta fièrement la vieille esclave. Sa mère est aux champs alors je veille sur lui. expliqua-t’elle.

- Puis-je le prendre ? demanda Hope

Mimba hocha la tête en signe d’assentiment. La jeune femme se pencha et le bébé agita ses petites mains vers elle. Attendrie, elle l’installa confortablement dans ses bras et prit place à côté de la grand-mère sur le banc.

Elles restèrent ainsi de longues minutes. Le bébé finit par s’endormir. Aucune d’elle ne ressentait le besoin de parler. Mimba fumait silencieusement sa pipe, les yeux clos. Tandis que Hope semblait fascinée par l’enfant. Elle réalisait que dans quelques mois ce serait le sien qu’elle bercerait. Cette pensée l’apaisait. Quoiqu’il arrive, elle aurait son petit.

- Vous allez devoir vous montrer très forte. dit Mimba rompant le silence. Il vous faudra surmonter beaucoup d’obstacles pour trouver le bonheur. Ce sera un long chemin.

Hope sursauta aux paroles de la vielle femme qui la sortirent brutalement de ses pensées. Elle ne sut que répondre.

Mimba reprit l’enfant des bras de Hope et le reposa dans le panier.

- Rentrez maintenant à la grande maison, ne provoquez pas le diable inutilement. Gardez vos forces pour d’autres batailles. Ajouta-t’elle en l’incitant d’un geste de la main à partir.

Hope se releva et partit la mort dans l’âme retrouver son époux.

*****************

Toute la famille était réunie au salon. Harry et Bettany étaient de retour et Stuart, arrivé directement depuis Charleston, était accompagné de sa sœur Juliette et de leur tante Harriet.

- Oh, Hope, vous voici enfin ! s’exprima Juliette quand sa belle-sœur les rejoignit en lui sautant au cou. Je suis si heureuse de vous revoir. J’ai été très déçue de ne pas être là quand j’ai su que vous veniez vivre chez nous.

Hope embrassa gentiment la jeune fille sur la joue et la repoussa légèrement. Elle avait un côté exubérant qui pouvait être un peu envahissant et Hope n’était pas habituée à ses grands élans d’affection.

Madame Hamilton avait une mine crispée. L’absence inopportune de Hope lui avait déplu.

- Ma chère, je vous présente ma belle-sœur Harriet Hamilton. dit-elle d’un ton sentencieux.

Hope esquissa une légère révérence pour saluer la nouvelle venue. Cette dernière lui lança un regard peu amène. La famille Hamilton n’aimait pas les Anglais et la tante Harriet ne faisait pas exception. Elle marmonna une vague formule de politesse et se détourna rapidement de la jeune femme.

Hope ne s’en offusqua pas, elle commençait à en avoir l’habitude et depuis qu’elle en connaissait la raison, elle en avait pris son parti. Son regard passa au-dessus de la vieille tante et se posa sur son époux. Stuart avait mauvaise mine ; il était mal rasé, avait des cernes et ses yeux paraissaient injectés de sang. Hope le suspecta de mener une vie dissolue depuis son départ. C’est son beau-père qui le fit remarquer devant tout l’assemblée :

- Eh bien mon garçon, l’absence de ton épouse ne te réussit pas. Tu as une mine de déterré.

Stuart rougit comme pris en faute, il se ressaisit et répondit sèchement qu’il avait beaucoup de travail. Les poings serrés, il semblait prêt à découdre avec son père.

Madame Hamilton, posa sa main d’un geste apaisant sur son bras et lança un long regard à son époux en guise d’avertissement. Puis, cherchant à détourner leur attention, elle invita l’ensemble des convives à monter se préparer pour le repas. Elle retint Stuart et lui demanda de lui accorder quelques instants en privé.

Hope, sans demander son reste, regagna sa chambre. Les dernières paroles de Mimba résonnaient dans sa tête. Elle n’avait cessé d’y penser depuis qu’elle l’avait laissée sur le banc. La vieille femme avait raison, elle devait choisir ses combats et elle ne tirerait aucun bénéfice d’une guerre ouverte avec Stuart. Au contraire, elle risquait d’être condamnée à passer le reste de sa vie, ici à Oak Shadow. Cette idée lui arracha une grimace. Elle devait convaincre Stuart que sa place était auprès de lui. Elle aurait plus d’opportunités à Savannah, bien qu’elle ne sache pas encore lesquelles.

Un bruit derrière elle la fit se retourner et elle se retrouva face à Stuart, seule, pour la première fois depuis leur terrible dispute. Il avait l’air contrit d’un petit garçon que sa mère avait réprimandé.

Il ferma la porte et s’approcha lentement d’elle sans un mot. Ses yeux accrochés aux siens. Il était incertain, inquiet de sa réaction. Doucement, il leva sa main et la caressa sur la joue. Hope se mordit l’intérieur de la joue au sang pour ne pas hurler, elle compta jusqu’à cinq pour se donner une contenance et posa sa main sur la sienne en signe de paix et de réconciliation. Stuart l’attira à lui et enfouit son visage dans sa nuque en lui murmurant des mots doux.

- Vous m’avez tant manqué, Hope. entendit-elle avant qu’il ne la renverse sur leur lit.

**********************

Le lendemain, Stuart était redevenu le compagnon tendre et charmant du début de leur mariage. Il lui avait proposé une balade pour qu’ils puissent se retrouver en toute intimité. Hope avait tout d’abord voulu refuser, peu intéressée par d’autres retrouvailles que celles de la veille, mais elle s’était laissée convaincre lorsqu’il lui avait lancé un regard langoureux qui avait involontairement fait manquer un battement à son cœur. Et l’air revêche de la Tante Harriet, assise seule dans le salon l’avait définitivement décidée.

La promenade était plaisante, l’air matinal était encore frais et les grands chênes apportaient une ombre agréable. Hope s’était autorisée à ne pas prendre son ombrelle et offrait son visage aux timides rayons du soleil. Le mois de mai avait fait fleurir les jardins et le paysage bucolique rappela à Hope que leur anniversaire de mariage était proche.

Du coin de l’œil, elle observait Stuart qui à renfort de grands gestes lui mimait une scène drôle à laquelle il avait assisté lors d’une soirée à Charleston. Après une année passée à ses côtés, Hope ne pouvait pas dire qui était Stuart ; comment cet homme gai et charmant pouvait-il se transformer en un menteur manipulateur et violent ? Quel pouvait être son avenir avec lui ? Hope avait conscience des sentiments qu’elle éprouvait encore pour lui, et se maudissait pour cela. Comment pouvait-elle ressentir de l’amour pour cet homme qui l’avait bafouée et violentée ? Il était malgré tout le père de son enfant. Cependant, elle savait que si l’opportunité de fuir ce mariage se présentait, elle la saisirait car elle n’avait plus aucune confiance en Stuart.

Hope refoula les larmes qui montèrent et se concentra sur l’histoire de Stuart qui contre toute attente la fit rire de bon cœur. Il lui sourit tendrement et elle revit le bel inconnu du soir de leur rencontre. Il saisit sa main, la porta à ses lèvres.

Stuart fut interrompu par un bruit de sabots qui le fit se retourner subitement. Son frère galopait dans leur direction à bride abattue.

- Stuart, il y a un problème à la scierie. Dépêche-toi, Père a besoin de nous. cria Harry à son frère.

Sans lui laisser le temps de répondre, il lui tendit la main et l’aida à monter derrière lui. Les deux hommes adressèrent un geste d’excuse à Hope et disparurent derrière un nuage de poussière.

Hope pressa le pas pour regagner la maison, elle avait hâte de savoir ce qui se passait.

*****************

Aucun des hommes ne revint cette nuit-là. Les femmes Hamilton se retrouvèrent au petit matin dans la salle à manger. L’atmosphère était tendue. Madame Hamilton avait les traits tirés et les yeux cernés. Elles prirent le petit déjeuner en silence.

Il n’y avait eu que peu de nouvelles de ce qui s’était passé. Hope avait réussi à glaner quelques informations auprès de Patsy qui lui avait brièvement expliqué qu’un groupe d’esclaves avait pris la fuite. La jeune fille avait rapidement botté en touche et Hope n’avait pas insisté. Elle sentait qu’elle en savait plus qu’elle ne voulait en dire.

Hope était plus curieuse qu’inquiète. Cette dernière année l’avait rendue fataliste. Néanmoins, elle avait plaqué un masque soucieux sur son visage par solidarité envers sa belle-mère et sa belle-sœur. Cette dernière avait grise mine et contenait difficilement ses larmes. Elle tentait de faire bonne figure devant sa fille qu’elle tenait sur ses genoux. La petite Helen en toute insouciance, gazouillait.

Des éclats de voix dans l’entrée mirent fin à leur attente et Madame Hamilton se leva précipitamment, suivie par le reste de la famille. Lorsqu’elles pénétrèrent dans le grand hall, Madame Hamilton ne put réprimer un cri, son mari, ensanglanté, était couché sur une civière de fortune. Mais son regard se porta alors plus loin, à l’extérieur de la maison et ce qu’elle vit lui arracha un hurlement de bête blessée et elle s’évanouit.

Hope voulut porter secours à sa belle-mère, mais son bras était fermement maintenu par la main de Bettany qui semblait tétanisée. Elle était d’une pâleur cadavérique et avait les yeux fixés sur la charrette qui se trouvait devant le perron. Il y avait un corps recouvert d’un drap souillé qui avait glissé, laissant entrevoir des cheveux blonds. Harry !

Instinctivement, Hope balaya l’assemblée à la recherche de Stuart. Se pouvait-il qu’il ait connu le même sort que son père et son frère ? il n’était nulle part. Hope n’eut pas le temps d’approfondir la question, elle devait s’occuper de Bettany , de Madame Hamilton et surtout de son pauvre beau-père qui gisait inconscient dans l’entrée. Elle se ressaisit et donna des ordres aux deux esclaves présentes pour qu’elles éloignent les deux femmes de la scène sordide qui se jouaient devant elles. Elle bloqua le passage à Juliette qui ne sortait de sa chambre qu’à l’instant précis et lui confia la petite Helen qu’elle avait retiré des bras de sa mère.

Elle s’approcha lentement de Monsieur Hamilton pour voir l’étendue de ses blessures. Les semaines passées avec le Dr Stanton lui permirent rapidement d’évaluer la gravité de la situation. Il faudrait un miracle pour qu’il puisse survivre. Elle demanda à Samuel de le déplacer jusqu’à son lit et elle glissa discrètement à l’oreille de Patsy :

- Va chercher Mimba et dis-lui d’amener ses plantes.

L’aide de la guérisseuse ne serait pas inutile, pensa t’elle.

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