Chapitre 11

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Au début du printemps, l’état de Hope s’améliora considérablement. Ses nausées disparurent ; elle reprit des forces et recommença à sortir. Sa vie de couple se portait également mieux. Ils passaient beaucoup de temps les deux et elle se tenait éloignée des soirées mondaines. Ils vivaient leur vie à deux en autarcie restant loin de tout ce qui pouvait provoquer la moindre discorde.

Hope, sous le couvert de visites à son amie Mary Stanton, avait repris une partie de ses activités à l’hôpital. Sa condition l’obligeait à se tenir éloignée des malades, mais elle s’occupait avec le plus grand dévouement des blessés. Et ils étaient nombreux. Les accidents sur les plantations étaient quotidiens. Ses occupations lui permettaient de ne pas se laisser submerger par le chagrin que le décès de sa mère lui causait. Les Stanton étaient d’un grand soutien dans son processus de deuil. Mary l’aidait également à accepter sa grossesse et à voir les choses de manière positive. Grâce à elle, Hope envisageait son avenir de mère de façon plus sereine.

Ce jour-là, Hope décida qu’elle irait à l’hôpital à pied. Elle avait besoin d’exercice et de prendre l’air. Elle demanda à Patsy de lui apporter son ombrelle et l’informa qu’elles traverseraient par le parc. La jeune esclave tenta de l’en dissuader. Il faisait déjà chaud et elle craignait que sa maitresse ne fasse un malaise. Mais Hope fit la sourde oreille.

Les deux jeunes femmes se mirent en route. Hope était d’humeur joyeuse et taquine. Patsy se réjouissait de voir sa maitresse ainsi. La promenade était plaisante. Il y avait une petite brise agréable. Hope aimait les grands arbres qui maintenaient les promeneurs à l’abri du soleil et elle appréciait les routes pavées qui rendait la marche plus confortable. Elle bavardait gaiment lorsqu’elle s’interrompit net. Elle pâlit et chancela. Pasty, inquiète, se précipita pour la soutenir.

- Que se passe t’il, Madame ? s’alarma-t’elle.

- Madame Hamilton, quelle joie de vous rencontrer enfin !

Cette voix mielleuse fit à Hope l’effet d’un coup de fouet, elle se reprit immédiatement et repoussa sa domestique. En face d’elle, dans une délicieuse robe couleur jonquille avec une ombrelle assortie se trouvait la sublime Ashley Munroe Hollister.

- Madame Hollister. répondit-elle froidement en inclinant légèrement la tête.

Hope n’avait pas l’intention d’engager la conversation avec sa rivale et souhaitait poursuivre sa route. Mais Ashley en avait décidé autrement. Elle s’avança et lui barra le chemin.

- Nous n’avons pas encore eu l’occasion de faire connaissance et pourtant j’ai si souvent entendu parler de vous. Pourquoi ne ferions-nous pas quelques pas ensemble. proposa-t’elle.

Il était impossible à Hope de refuser et bien malgré elle, elle se retrouva à se promener avec cette femme dont l’ombre planait sur son mariage. Ashley chassa son esclave qui l’accompagnait et lui ordonna de l’attendre à sa calèche qui se situait à l’entrée nord du square.

D’un geste sec, elle fit signe à Patsy de s’éloigner et glissa son bras sous celui de Hope qui se raidit instantanément. La jeune domestique était désemparée et impuissante à aider sa maitresse.

Hope était figée comme une statue de glace, ne sachant comment s’échapper de cette situation inconfortable. Sa tête bourdonnait et elle était incapable d’entendre ce qu’Ashley lui racontait. Il lui semblait qu’il était question de félicitations pour un heureux évènement. Hope réalisa, alors, qu’elle la congratulait pour sa grossesse. Comment cette femme était-elle au courant ? Son corps n’avait pas changé et elle n’en avait parlé qu’à très peu de monde.

Hope désengagea son bras, fit face à la belle Sudiste et lui demanda sèchement :

- Comment êtes-vous au courant ? Et que me voulez-vous ?

Le visage d’Ashley s’illumina et elle lui répondit d’un air faussement candide, contredit par un éclair de triomphe dans le regard :

- Stuart m’en a parlé lors de sa dernière visite.

Hope encaissa le coup. Ainsi Stuart, malgré ses déclarations d’amour, continuait à entretenir des relations avec cette femme. Elle était blessée, mais elle refusait de le montrer et de se laisser impressionner.

- N’avez-vous pas assez d’un mari, pour que vous courriez après celui des autres ? Peut-être n’auriez-vous dû pas le choisir si vieux. lui rétorqua Hope d’un ton perfide.

Le visage de Ashley fut déformé, l’espace d’un instant, par un vilain rictus. Puis très vite, elle se reprit. Elle eut un sourire carnassier, tel un fauve, sur le point de dévorer sa proie.

- Très bien, je vois que malheureusement, nous n’allons pas pouvoir devenir amies, ma chère, dit-elle d’un ton désolé.

Puis, elle enchaina sans lui laisser le temps de répondre :

- Je souhaitais juste vous avertir que Stuart est à moi, il l’a toujours été et il le sera toujours. Vous n’êtes qu’une petite distraction. Et votre marmot n’y changera rien !

Je vous souhaite une belle journée. Prenez garde au soleil, il ne me parait pas approprié à votre teint d’anglaise. Je crains que notre monde puisse être bien inhospitalier pour vous.

Elle éclata d’un rire mauvais et laissa Hope derrière elle, blême de rage.

**********************

Après l’incident, Hope renvoya Patsy à la maison et poursuivit seule jusque chez les Stanton. La jeune esclave la suivit tristement du regard après avoir tenté en vain de la dissuader.

Patsy n’avait jamais vu sa maitresse dans un tel état de fureur. Elle avait eu pitié d’elle quand elle avait croisé son regard plein de détresse. Elle se sentait impuissante devant le désarroi de la jeune Madame Hamilton, mais sa mère lui avait toujours dit que pour survivre, il ne fallait jamais se mêler des affaires des blancs.

Tous les esclaves des environs savaient combien Ashley Munroe Hollister était mauvaise. La cousine de sa mère, Coco travaillait sur la plantation des Munroe, depuis de nombreuses années et racontait toujours des histoires effroyables sur la fille de ses propriétaires. Tous avaient été soulagés quand elle s’était mariée et avait quitté le domicile de ses parents. Son père lui avait offert une très belle dot, mais n’avait inclus aucun de ses esclaves.

Le souvenir de la petite Mina revint en mémoire à Patsy et son cœur se serra.
Cette fillette d’une douzaine d’années avait été offerte en cadeau de Noel à Ashley après que cette dernière ait fait battre à mort son esclave sous prétexte qu’elle lui avait volé de la dentelle. Dentelle qu’elle avait pourtant retrouvé après les faits. La jeune femme s’était gaussée de sa propre étourderie sans aucun remord pour la mort d’un être humain.

La petite Mina était une enfant chétive et silencieuse. Elle suivait sa maitresse comme une ombre et obéissait à ses moindres désirs.

Par une chaude journée d’été, Ashley et Mina étaient parties se promener au bord de la rivière qui bordait la propriété des Munroe. Soudain, un coup de vent avait emporté le nouveau chapeau de la jeune femme et l’avait délicatement déposé sur la berge opposée. Ashley ordonna à Mina de traverser la rivière pour le lui rapporter. L’enfant se mit à pleurer et bredouilla qu’elle ne savait pas nager. Ashley lui empoigna le bras et lui dit qu’elle la ferait fouetter au sang si elle ne lui ramenait pas son couvre-chef. La fillette s’avança de quelques mètres et fut emportée par le courant sous le regard ennuyé de sa maitresse.

Coco avait entendu Ashley raconter les faits à ses parents en déplorant la perte de son chapeau tout neuf. Le vieux Munroe avait tenté de faire comprendre à sa fille que la vie des esclaves avait également un prix, mais il avait été interrompu par sa femme qui avait consolé Ashley en lui promettant de faire venir un autre chapeau de Paris.

Patsy secoua la tête chassant ses tristes souvenirs et reprit le chemin de la maison. Elle était inquiète pour sa maitresse. Le retour de cette femme apparaissait comme un mauvais présage. Elle avait peur de l’ombre que cette dernière faisait planer sur le mariage de ses maitres. Elle connaissait le côté sombre de Stuart et craignait que la rivalité des deux femmes réveille le malin qui sommeillait en lui. Elle s’était profondément attachée à Hope et ne souhaitait pas qu’il lui arrive malheur. Instinctivement, elle sentait que leurs destins étaient, à présent, étroitement liés.

Patsy tressaillit, elle mit ses bras autour d’elle d’un geste rassurant et accéléra le pas.

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