2. Piastre

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Même nuit...

          La croupe est posée sur un muret faisant face à la taverne principale d'Auch. La Blanche y est encore, se moquant sans doute de lui et de son humeur ronchon. Le visage du De Machaut est fermé, le regard noir sans une once de douceur. Il n'aime pas voir un autre tourner autour d'elle. Si ce n'était que cela il n'aurait pas fait de scandale. Sa jambe lui fait mal. Sans raison aucune, ce trou qui déforme sa cuisse le lancine comme si la blessure était fraîche. La peau lui brûle, le tissu glisse dessus comme s'il était à même la chair. Ce n'est que dans sa tête mais sa tête est tellement en bordel que ce soir là, il n'a su faire la part des choses. Il s'est lâché un peu, et a laissé son humeur rendre les réponses moins courtoises. Le voilà pourtant sur ce muret, à attendre malgré lui que la slave daigne sortir de l'endroit pour la héler et passer le reste de la nuit avec elle. Les échos de rires et d'une conversation animée lui provient de la taverne en face. Visiblement, elle va y rester un moment et lui autant de temps à s'emmerder profond sur son petit mur de pierre. C'est ridicule.

          Le corps se meut alors. Appuyé lourdement sur sa canne qui ce soir n'a rien d'un accessoire, la démarche lancinante ramène l'Éclopé jusqu'à la propriété de Yulhia. S'il ne peut l'attendre dans la rue, il l'attendra ici, peu importe l'heure à laquelle elle rentrera. Une fois la porte franchie, la canne est balancée dans le salon sans faire attention à ce qui la réceptionnera. Piastre n'en a cure. Après cette petite marche de la taverne à la maison, sa jambe n'a pas cessé de lui hurler sa douleur, lui vrillant les temps. Une épaisse sueur coule le long de son cou et dans son dos. Gagnant la chambre sans détour, il s'empare de la pipe à herbe qu'il partage avec la Blanche, la fourre grossièrement et l'allume pour en tirer une longue bouffée. Ce n'est pas une solution, à peine un apaisement passager, mais déjà l'effet se fait sentir et son esprit s’allège. Il regagne le salon, laisse tomber sa lourde carcasse dans le fauteuil et continue à tirer pour penser à autre chose, pour ne pas penser à elle et aux sentiments en lui. Lentement, tandis que ses pensées vagabondent entre douleur et répit, le sommeil le gagne sans que la Blanche n'ait pointé son museau.

Dans la journée suivante...

          Les genoux sont au sol, les bras ballants, encore trempés de l'eau du bain toujours chaude. Le regard est baissé et les larmes coulent sur ses joues. Dans l'eau, alors que les bulles éclatent en silence, Yulhia est là, nue, le corps meurtri, gravé d'une douleur insondable et marqué à l'encre bleue des coups d'un autre. Peut-on ressentir pareil sentiment d'inutilité, se sentir si désarmé. Le vieux en fait les frais. L'aveu dans la taverne lui a retourné le cœur et les tripes. Son sang s'est mis à bouillir dans ses veines, ses tempes palpiter. Les pensées les plus sombres se sont succédées après le vide de l'instant. Qui ? Où ? Pourquoi ? Le pourquoi n'importe pas tant, ni l'endroit. Savoir qui en revanche est primordial. Si aucune réponse n'est trouvée, le De Machaut n'aura pas d'autre choix. Toute la ville va bruler, toutes les tavernes, toutes les maisons, l'église, la mairie. Il ne laissera rien ni personne y réchapper, tant que l'affront commis, l'horreur perpétrée, ne soit réparée. Le sang appelle le sang. Dans cette salle d'eau, où ils ne sont que tous les deux, le silence demeure, interrompu seulement par les larmes de l'un ou de l'autre venant rejoindre la surface plane de l'eau. Une pensée ne cesse de revenir dans son esprit déjà si torturé. Il n'arrive pas à l'oublier. Au fond, il le sait. C'est sa faute. Il n'est pour rien dans cette histoire, il n'a pas voulu que Yulhia soit tirée jusqu'à cette bourgade pourrie. Il s'est empressé de venir la retrouver pour qu'elle ne soit pas seule, pour que dans cette aventure elle puisse compter sur lui. Il n'a pas non plus voulu qu'elle se fasse agressé dans une des rues mais s'il n'avait pas eu si mal, s'il n'avait pas été si méchant, s'il était resté sur ce murer la veille.. C'est sa faute si elle est dans cet état, son devoir de réparer ce qui peut l'être. Son devoir de châtier ce qui doit l'être. D'un revers de main, il essuie ses joues, pour poser son regard sur la Blanche.

          Le simple contact du savon sur sa peau la brûle, lui fait horreur. Alors qu'ils essayaient de la nettoyer, pour faire partir cette saleté, il n'a pas réussi et se retrouve honteusement incapable de l'aider en rien. Celui qui a osé le paiera de sa vie, mais sa mort ne sera pas rapide ni précise. Ce sera une boucherie, un véritable carnage. Aussi long et douloureux que ce qu'a enduré le slave. Il n'aura de cesse de remuer la ville jusqu'à ce que cet affront soit réparé. Quelques mots s'échappent alors d'entre ses lèvres contrites.

« Je vais le retrouver, dussé-je interroger chaque habitant. Je vais le retrouver et vous l’amènerais. Je vous garantis qu'il sera en vie mais ne peut vous promettre qu'il sera entier, je n'aurais pas autant de retenue. »

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