Chapitre 6

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La température chuta subitement et le sol changea de consistance. La médium ne se trouvait plus dans son appartement à Manhattan. Le moelleux du matelas et la chaleur de son lit étaient désormais remplacés par un climat sec et rugueux. Ces changements brutaux d’environnement étaient plus que déroutants. Se mettant à genoux, la jeune femme retrouva peu à peu ses esprits. La clarté du croissant de lune lui permettait de scruter les environs dans cette noirceur. Sous ses doigts elle pouvait sentir la terre dure, l’herbe sèche et quelques brindilles. Une multitude d’arbres s’élevait dans le ciel, projetant leurs ombres sur la jeune femme, rendant le décor encore plus sinistre. Cassidy reconnut enfin ce lieu. Comment ne l'avait-elle pas reconnu plus tôt ? Il s’agissait toujours et inlassablement de la même forêt macabre qu'elle voyait dans ses rêves. Malgré un temps sec, une brise glaçante fouetta la médium, annonçant clairement la couleur de cette prémonition. Et cela ne promettait rien de bon. L’horrible sentiment d’être observé s’insinua en elle, l’obligeant à guetter les alentours. Un frisson d’effroi parcourut son corps dès l’instant où son regard croisa les pupilles marron de la créature. Une grande et mince silhouette sombre, telle une ombre, ne montrant que des yeux marron. On dit que les yeux sont les fenêtres de l’âme et dans cette situation, cela semblait être véridique. Cassidy se retrouvait face à un regard exprimant une haine démesurée et une âme suintant la malveillance. Le cœur de Cassidy, ou plutôt celui de cette femme mystère, rata un battement avant de repartir de plus belle semblant vouloir fuir à toute vitesse également. Écoutant son propre cœur, elle se releva hâtivement, s'emmêlant toutefois les pieds dans le jupon d'une longue robe, la faisant trébucher. Elle empoigna prestement le bas du vêtement et commença une folle course sous le clair de lune. La forêt paraissait immense et terrifiante dans cette pénombre. Elle semblait vouloir tout autant attraper la jeune fille que le voulait l’individu. Les branches agrippaient sa robe et lacéraient ses bras et son visage. Les racines tentaient de saisir ses pieds. L’une d’elles réussit sa machiavélique mise en œuvre faisant chuter lourdement la femme sur le sol. Prise de panique, Cassidy tenta de se relever, malheureusement la racine lui avait fait bien plus que de la faire tomber. Elle posa ses mains sur sa cheville endolorie, la douleur s'intensifia de plus en plus. Soudain, elle réalisa que seul le bruissement des feuilles soulevé par la brise se démarquait de ce silence inquiétant. La respiration saccadée, son cœur pulsait dans ses oreilles. Elle sonda les alentours à la recherche de cette silhouette, mais ne vit rien. L’ambiance était devenue oppressante et glaciale comme si la Mort, sa faux à la main, attendait patiemment et sagement son tour. Les pensées de la jeune fille se mêlaient à celles de Cassidy. Elle se laissa submerger par ses réflexions qui n'étaient pas les siennes.


Avait-elle réussi à semer celui ou celle qui la poursuivait ? Qu’avait-elle donc fait pour mériter que l’on veuille l’assassiner ?


La jeune fille ne put aller plus loin dans ses pensées, l’individu avait soudainement surgi à quelques pas devant elle. À l’exception de ce regard mauvais, le corps et le visage de ce personnage étaient composés uniquement du néant. C’était comme si, physiquement, il n’était qu’une masse noire ayant pris la forme d'un être humain. Pétrifiée par la peur, Cassidy n'arrivait pas à bouger. Son corps tremblait comme une feuille. La silhouette avançait lentement, se délectant de cette scène où chaque pas le rapprochait un peu plus vers la fin inévitable de sa victime. Il se mit à genoux devant elle et observa sa future victime avec allégresse. Il attrapa son cou, la plaquant brutalement au sol. La jeune femme réagit enfin lorsqu'elle sentit une main remonter le bas de sa robe. L'agresseur avait apparemment décidé de prendre beaucoup plus que sa vie. Cassidy se débattit et réussit à se dégager en donnant un coup de genou dans l’estomac de son assaillant. Avec sa blessure à la cheville, elle ne pouvait malheureusement pas aller bien loin, mais elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser la souiller sans rien faire. Elle tenta de s’échapper en boitant, mais elle ne fit que grappiller quelques minutes de vie supplémentaire. La femme trébucha de nouveau dans une racine, tombant à genoux. La peau de ses mains et de ses genoux était écorchée. Il était désormais trop tard pour fuir. Le sinistre malfaiteur se tenait derrière elle avec une espèce de fin cordage entre les mains. Sa fureur avait refait surface et elle était telle qu’il avait décidé d’en finir une bonne fois pour toutes. Il entoura le cou de sa proie avec la corde et serra de toutes ses forces. Cassidy percevait tout ce que la fille ressentait, s’entremêlant avec ses propres peurs. La frayeur et la panique prenaient le pas sur toutes les émotions. La force de l’agresseur était largement supérieure à la sienne. La cordelette entaillait la peau de son cou et bloquait ses voies respiratoires, l’air dans ses poumons se raréfiant à chaque seconde qui passait. La victime ne se laissait pas faire, se débattant, tentant d’attraper et de griffer le personnage comme elle le pouvait. Elle voulait se battre jusqu'à son dernier souffle. Ses pieds raclaient la terre et des larmes coulaient sur son visage apeuré tandis que l’être empli de noirceur ricanait du sort funeste qu'il réservait à sa jolie proie. Avant de sombrer dans l’inconscience, elle l’entendit lui chuchoter à l’oreille d’une voix grave, déformée, inhumaine, provenant des bas-fonds de l’Enfer.

« Tu ne pourras jamais me l’enlever ! Elle est à moi ! »

Cassidy se réveilla brutalement en suffoquant. Le retour à la réalité était horrible pour la médium. En panique elle posa une main tremblante sur son cou en revoyant par flash son rêve cauchemardesque. Jusqu'à ce jour, elle n'avait jamais vécu la mort d’un défunt lors d'une prémonition, c’était tout autre chose que de percevoir leur vie. Cassidy avait besoin de se remettre de ses émotions. Et pour ça elle avait un remède imparable : un bon chocolat chaud, il n’y avait, selon elle, rien de mieux pour trouver du réconfort. Lorsqu'elle posa ses pieds sur le sol une vive douleur frappa soudainement sa cheville gauche. La jeune femme tressaillit dès qu'elle s’aperçut qu'il s'agissait de la même cheville blessée que dans le rêve. S’asseyant de nouveau sur son lit, elle jeta un coup d’œil à l’articulation douloureuse. Celle-ci était légèrement enflée mais à priori, rien de grave. Par précaution, Cassidy préférait consulter un spécialiste. Elle claudiqua maladroitement jusqu’à la salle de bain, attrapant des vêtements sur son chemin. Une lumière blanchâtre illuminait la pièce exiguë décorée dans les tons bleu/vert. Son reflet dans le miroir avait fini par la dépiter à la vue de son teint terne et de ses poches sous les yeux. Tout à coup, une marque sur son cou attira son attention, une fine et longue marque rougeâtre. Troublée, elle posa une main sur sa peau meurtrie. Lorsque ses doigts effleurèrent la rougeur, Cassidy avait comme l’impression de pouvoir sentir à nouveau la corde frotter la chaire nue de son cou. Jamais depuis qu’elle avait son don, elle n’était revenue avec les blessures infligées dans l’autre monde. Et c’était aussi une première pour elle d’assister au moment précis de la fin d’un défunt.


Cassidy s’était rendu tant bien que mal toute seule jusqu’aux urgences pour faire soigner sa cheville. Avant de s’y rendre, elle avait pris soin de nouer un foulard autour de son cou. Heureusement que les chaleurs de l’été n'étaient pas encore arrivées. La jeune femme pouvait regarder patiemment ses élèves développer leur art durant des heures mais avait beaucoup de mal à contenir son calme dans une salle d’attente bruyante. Son attente fut longue et ardue mais put enfin ressortir en milieu d’après-midi avec une attelle et des béquilles. Ce début de vacances commençait sur des chapeaux de roues. Son estomac criant subitement famine lui rappela qu’elle n’avait rien avalé de toute la journée. Elle s’assit sur un banc dans un parc non loin de l’hôpital avec son repas de fortune. Elle croquait avidement dans un sandwich comme si cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas mangé. La jeune femme se remémora les paroles froides de l’individu de sa vision.

« Tu ne pourras jamais me l’enlever ! Elle est à moi ! »

Un avertissement tout aussi sombre et menaçant que l’était ce personnage. Tout était masqué dans ce rêve; le visage de cette femme mystère et l’identité de cette ténébreuse silhouette. D’autres montagnes de questions arrivaient en masse. Pour quelle raison cette personne en voulait-elle à cette femme mystère au point de vouloir l’éliminer ? Que voulait dire l’assassin par "Elle est à moi" ? De qui parlait-il ? Toutes ses interrogations avaient fini par lui couper l’appétit et un mal de tête commençait à pointer le bout de son nez. Prenant ses béquilles auxquelles elle se familiarisait un peu, la jeune femme se dirigeait vers la sortie du parc. Marcher avec se révélait être une tâche pénible, toutefois si l’on pouvait parler de marcher, éviter de se casser la gueule en chemin était sûrement plus approprié. Les choses semblaient aller de mal en pis. Il fallait que l’ascenseur tombe en panne durant le lapse de temps où elle n’était pas chez elle. Vivre au troisième étage ne s'était jamais révélé être aussi rude et sportif, c'était bien sa veine. Une surprise supplémentaire s'invita au menu. Un jeune homme sonnait à sa porte. Grand, brun, les cheveux remontaient en un chignon fait à la va-vite, une silhouette élancée, un jean bleu clair, de vieille Vans noire usée par le temps et un gilet à capuche vert. Cassidy aurait pu le reconnaître à des kilomètres tant ils avaient passé du temps ensemble. Son meilleur ami se retourna à l’entente des pas dans l’escalier. La surprise remplaça la joie à la vue des béquilles et de l’attelle. La jeune femme lui fit comprendre que ses explications seraient pour plus tard. C'était bien évidemment à Noah de s’expliquer en premier sur son absence et son silence prolongé.

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