Chapitre 3

8 minutes de lecture

Pour Cassidy, la rencontre avec Ruby Long fut plus que fructueuse. Le lendemain matin, cette dernière avait repris contact avec l’artiste pour lui faire part de sa proposition, celle de devenir la tête d’affiche de sa prochaine exposition. Toutefois, avec l’unique condition d’avoir des œuvres tout aussi envoûtantes et énigmatiques que la veille. Cassidy avait accepté sans une once d’hésitation. Plus tard dans la journée, après mûre réflexion, elle pensa aux conséquences que cela allait engendrer. Ses tableaux allaient forcément créer des questions. Tout le monde voudra savoir qui était sa muse, qui était cette femme à la chevelure flamboyante. Malheureusement, Cassidy n’avait pas encore la réponse.


Deux mois passèrent durant lesquels la professeure jongla entre ses cours d’art, ses visions et la création de sa collection de tableaux pour l’exposition. À l’annonce de la nouvelle, Noah avait sauté de joie, plus qu’heureux pour sa meilleure amie, il avait toujours su qu’elle y arriverait un jour. Malgré tout, depuis plus d’un mois, ce dernier se faisait plus distant. Il avait annulé plusieurs de leurs rendez-vous quotidiens et semblait éviter la jeune femme. Même lorsque les jeunes adultes arrivaient à se voir, Noah semblait être ailleurs. Elle l’avait interrogé à maintes reprises, celui-ci prétextant seulement que ce n’était rien de grave, qu’il était très occupé et que c’était juste passager. Toutefois, Noah se trahissait lui-même, son corps le trahissait. Dès qu’elle lui posait la question, ce dernier se figeait, son regard se mettait à fuir le sien, et lorsqu’il ne se massait pas nerveusement la nuque, ses mains s’enfonçaient dans les poches de son jean. Noah était une personne gentille, serviable et toujours à l’écoute. Mais ces dernières semaines, il était devenu distrait et secret. Cassidy était peinée de voir le comportement de son ami changé à ce point sans que ce dernier ne lui laisse la chance de lui venir en aide.


Malgré tout, Cassidy devait se concentrer sur les préparatifs du vernissage. Le grand jour était enfin arrivé, il restait désormais moins de vingt-quatre heures. Durant la nuit, la jeune femme tourna sans cesse dans son lit, le stress étant à son paroxysme. Le ciel bleu nuit était exceptionnellement dégagé en cette nuit d’insomnie. Enroulé dans un plaid Stitch, Cassidy s’était rendu sur le toit de son immeuble. Celui-ci avait été aménagé par les différents locataires avec l’accord du propriétaire. Elle s’assit sur l’un des transats et admira ces petites choses brillantes. Ces scintillements qui représentaient, pour certains, les âmes bienveillantes de ceux partis trop tôt. Mais qui, pour les plus terre à terre comme les scientifiques, représentaient des objets célestes émettant de la lumière de façon autonome, semblable à une énorme boule de plasma comme le Soleil. Cassidy avait toujours été fascinée par ces choses tout en étant mitigée, elle ne savait pas trop quoi en penser. Mais depuis quelques années, depuis le décès de ses parents pour être exacte, la jeune femme espérait les entrevoir à travers l'infinie grandeur qu'était cet immense espace brillant de mille feux. La femme forte et audacieuse qu’elle était se sentit subitement vulnérable et pathétique. Elle se demandait si cette exposition n'était pas une erreur. Elle avait l'impression d'être une imposture. Sans son don de médiumnité, elle ne serait même pas capable de faire les œuvres transcendantes qu'elle réalisait grâce à ses visions. Ses idées noires l'engloutirent la faisant sombrer dans les méandres de ses rêves cauchemardesques.


Cassidy sentit un brusque changement d’environnement. La fraîcheur de la nuit fut remplacée par une véritable fournaise. Elle ouvrit les yeux et se retrouva subitement à l’arrière d’une voiture inconnue. L’air dans cette cage en métal était intenable. Sous l’effet de la chaleur, les cuisses dénudées de la jeune fille collaient au cuir noir des sièges. Un homme brun et une femme rousse, tous deux âgés d’une cinquantaine d’années, se tenaient devant elle, tournés dans sa direction. Leurs lèvres bougeaient mais aucun son n’en sortait, Cassidy était comme sourde. Elle les regarda sortir et se rendre dans une supérette. Elle sortit à son tour de ce sauna ambulant et fit un tour sur elle-même, examinant en détail les alentours. La nuit était tombée. Le ciel couvert laissait à peine entrevoir le croissant de la lune. La jeune femme balaya du regard le parking pratiquement désert du petit magasin. À l’exception de la Chevrolet rouge dans laquelle elle était tantôt, une Toyota noire attendait à l’opposé, le moteur ronronnant toujours. L’obscurité de la nuit empêcha la médium de voir clairement le personnage assis à l’avant, côté conducteur, et les deux autres sur la banquette arrière. Une lumière jaunâtre attira son attention. Le panneau lumineux du bâtiment éclairait faiblement le parking. Le B et le Y de l’enseigne Braddy’s avaient rendu l’âme. À travers la vitrine, Cassy pouvait vaguement apercevoir l’homme et la femme sillonner les différents rayons. Une affiche en noir et blanc éveilla sa curiosité, ses pieds l’emmenèrent plus proche de la grande vitre. Il s’agissait de la Une du journal local, le “Los Angeles Times”. Regardant plus attentivement, son regard finit par trouver ce qu’elle cherchait : la date. Sa vision la situait le Mardi 25 Juillet 2017 dans la ville de Los Angeles. Cassidy était perplexe, jamais ses visions n’avaient été aussi précises sur un lieu et une date. Elle garda ses informations pour plus tard et retourna auprès de la voiture rouge. Tout semblait si calme et pourtant, la jeune femme sentit l’angoisse monter en elle peu à peu et une profonde tristesse prendre ses tripes. Cassy savait que ce n’était pas ses propres émotions, elle avait appris à faire la différence depuis le temps. Tout à coup, des voix éclatèrent du second véhicule, déchirant le silence de la nuit. Étant beaucoup trop loin pour distinguer ne serait-ce qu’un seul mot de la conversation qui semblait animée, la jeune femme chercha à se rapprocher. Elle fit à peine trois pas lorsqu’elle se heurta violemment à un mur invisible. Une force inconnue l’empêchait de s’approcher, d’en savoir davantage. La médium n’était pas habituée à ce qu’elle soit bloquée de cette manière dans ses visions. À l’aide de ses mains et de ses pieds, elle frappa de toutes ses forces, elle se projeta même sur ce rempart invisible, mais rien à faire, la jeune femme était comme emprisonnée dans une cage. Elle cessa de s’acharner pour se laisser glisser contre la voiture. Les jambes ramenaient contre sa poitrine, ses bras les entourant, elle y enfouit son visage contrarié. Subitement, la portière arrière de la Toyota s’ouvrit avec fracas, faisant sursauter la jeune femme. L’un des passagers en fut éjecté de force par un second passager. L’individu se releva difficilement et épousseta ses vêtements. À en déduire par la taille et la stature de la personne, il s’agissait d’un adolescent. Il tenta un pas vers le véhicule, mais un homme faisant le double de sa taille autant en largeur qu’en hauteur, l’en dissuada vivement d’un regard à faire froid dans le dos. Ce dernier lui remit un objet entre ses frêles petits doigts. Tout dans l’attitude et la gestuelle de l’enfant laissait à penser qu’on le contraignait. Les mains tremblantes, il avait attrapé l’objet et avait entamé sa marche vers l’entrée du magasin, une démarche lente et pesante, se tournant à plusieurs reprises. Malgré cela, il continua son chemin tel un automate, poussant la porte et faisant retentir la petite clochette. Ce fut à cet instant précis que Cassidy la vit. Elle comprit la raison de cette angoisse et imagina très bien celle de cette tristesse. Elle devina le déroulement de la suite des événements. Elle vit l’arme dans la main droite de l’adolescent. Cette même arme pointée sur le couple puis sur le vendeur. Le jeune hispanique gueulait férocement, réclamant le fric de la caisse. Le vieil homme, tremblant de peur, mit l’argent dans un sachet en papier kraft et le tendit au jeune malfaiteur. L’homme brun profita de l’inattention du jeune pour sortir à son tour un pistolet du holster caché sous sa chemise. Le reste se passa à vitesse grand V. En revanche, du point de vue de Cassidy, toute la scène se déroula au ralenti. La médium souhaitait ardemment réagir et empêcher cette fin tragique, mais elle n’était malheureusement qu’une simple spectatrice. Les larmes dévalant sur son beau visage d’ange, elle regarda l’enfant prendre peur. Mais fatalité malheureuse, cette peur lui fit presser la détente à deux reprises. Criant et pleurant toutes les larmes de son corps, elle l'aperçut prendre ses jambes à son cou et rejoindre en toute hâte les malfaiteurs pour prendre la fuite. Tout à coup, comme par magie, le temps s’arrêta net. Cassidy ressentit le changement, elle remarqua également que cette force invisible avait relâché sa prise sur elle. La gorge nouée, le cœur battant à s’en décrocher de la poitrine, les jambes flageolantes, la jeune femme se releva, avança d’un pas lourd jusqu’à l’entrée du bâtiment et poussa à son tour la porte de chez Braddy’s.


Allongé sur le transat, Cassidy se réveilla brutalement en suffoquant. Elle était de retour sur le toit de son immeuble mais la jeune femme était complètement paniquée et désorientée. La sueur perlant sur son front contrastait avec la froideur de ce début de printemps. La main sur la poitrine, elle essaya de prendre une grande inspiration mais en vint. C’était comme si l’air refusait d’atteindre ses poumons. Son affolement ne cessa de s’accroître. Elle se hasarda à se lever sur ses jambes mais un vertige la frappa de plein fouet faisant tournoyer tout autour d’elle. L’artiste tituba jusqu’à la table de jardin en plastique vert, puis, tout en continuant son avancement, elle percuta un grand barbecue en acier noir et finit piteusement par trébucher sur un transat non loin. Elle s'écroula à terre, le dos contre le sol, la respiration saccadée et le cœur palpitant. La femme à la chevelure bleutée tenta de se concentrer sur sa respiration, toutefois, rien n’y faisait, elle continuait à suffoquer. Étalée sur le sol en béton, Cassidy avait littéralement la sensation qu’elle allait mourir. Malgré cela, la jeune femme savait pertinemment que ce n’était pas le cas. Ce n’était qu’une crise de panique, une parmi tant d’autres, il fallait seulement qu’elle réussisse à se calmer. Subitement, un léger miaulement sortit de nulle part. Une petite minouchette blanche accourut vers l’humaine, ressentant sa détresse à des kilomètres à la ronde. Litchie, la jeune chatte des locataires du quatrième étage, vint frotter son petit nez rose dans le cou de la jeune femme et se mit à ronronner. Cassidy reporta son attention sur ce son, calquant sa respiration sur celle du chat. Un ronronnement, une respiration. Elle continua ainsi plusieurs minutes en espaçant la cadence au fur et à mesure. Sa panique disparut, son cœur s'apaisa et ses poumons se gonflèrent pleinement et normalement. La jeune femme resta ainsi quelques instants encore, profitant de ce moment de tranquillité. Comme rassurée, Litchie se mit à frotter sa petite frimousse contre le visage de la femme. Un sourire de bien-être et de soulagement se forma sur les lèvres de Cassidy. Elle adorait cette petite chose sur pattes. Elle caressa délicatement la chatte aux yeux verts perçants et déposa d'innombrables baisers sur la tête de l’animal afin de la remercier pour son aide si précieuse. Enfin remise sur pied, Cassidy réalisa qu’il faisait jour, le ciel bleu annonçait une belle journée en vue. Elle récupéra son plaid ainsi que son smartphone et descendit du toit pour retrouver son appartement. La journée était déjà bien avancée pour la prochaine grande artiste. L’immense horloge sur le mur de son salon indiquait 8h37. Le compte à rebours avait entamé sa course folle vers le commencement du vernissage. Il restait désormais moins d’une dizaine d’heures à Cassidy pour se préparer et déstresser. Ce soir, Cassidy Bosley allait se jeter dans l’inconnu.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Plume23 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0