1 - Une symphonie mathématique

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Les gouttes d’eau tombaient au sol, 383, 384. Ces petites gouttelettes ruisselaient dans un bruit si particulier aux oreilles de la jeune fille qui les écoutait. Elles s'écrasaient sur le plancher dans un rythme effréné, 534, 535. Elle ne put s'empêcher de les compter, c'était la seule chose qui avait de l’importance à ce moment. La fille aux longs cheveux noirs les regardait avec insistance et rien n’aurait pu la déconcentrer du but qu’elle s'était fixé. Elle ferma ensuite les yeux, se remémorant son enfance et les cours de piano qu’elle avait suivis. Les petites perles d’eau lui rappelaient une musique qu’elle avait tant aimé apprendre : Sonate au clair de lune. Elle commença à bouger la tête de gauche à droite, les yeux toujours fermés, s’emportant dans une symphonie enivrante, solitaire et mélancolique. Ses doigts se mirent à balancer sur un piano invisible, une mélodie provenant d’un souvenir lointain presque inatteignable mais immarcescible. La musicienne se mit à sourire, heureuse mais triste à la fois, un sentiment incompréhensible et complexe. Une relique quasi amère, dont elle aurait préféré ne pas se rappeler finalement, mais elle continua.

Calie remuait son corps enchaîné. La douce lumière de la Lune provenant de l’unique fenêtre vint éclairer son corps blanc, autrefois légerement mat. C'était une danse macabre, irréelle et morbide. Pendant quelques instants elle se sentit libre, son esprit transporté dans une prairie, assise devant un piano. Elle n’avait plus cette longue chevelure de trois mètres qui la gênait ou même ces horribles cicatrices qu’elle avait sur l'entièreté du corps et ses os n'étaient plus apparents. Elle était entourée d’herbes et de fleurs aux multiples couleurs. Tout était paisible et d’une beauté ineffable. Les yeux de la fille avaient repris vie et leurs couleurs inhabituelles étaient d’autant plus belles. Son iris droit était d’un bleu céruléen semblable à une mer déchaînée, tandis que le gauche était d’un vert émeraude rappelant une forêt d’été baignée par la lumière du soleil.

Autour d’elle, vingt-sept mille trois cent dix oiseaux voletaient. Une tornade de volatiles se créa, montant à plus de vingt mètres du sol. Calie pouvait retrouver les quatres espèces d'oiseaux qu’elle avait aperçu par la minuscule fenêtre de sa petite cellule durant ses quatorze années. Corbi, un corbeau et son ami le plus fidèle, vint se poser délicatement sur le piano profitant de la musique. Aucune parole, aucun son ne sortit de la bouche de la musicienne mais les deux êtres pouvaient se comprendre, comme à chaque fois qu’il venait lui rendre visite.

Il lui arrivait assez souvent d’avoir des hallucinations visuelles, auditives ou sensorielles. C'était d’ailleurs ce qui était en train de se produire, pendant qu’elle jouait de son instrument virtuel. Elle en était rendue au troisième mouvement quand un autre bruit vint la déranger dans sa folie silencieuse, faisant fuir les oiseaux qui l'entouraient. Elle fronça les sourcils mais continua toujours plus rapidement dans ce combat contre l’inconnu, ou bien était-ce contre elle-même ? Les portes de sa geôle s'ouvrirent pour laisser entrer un homme interloqué mais non surpris par le comportement de la belle.

Sonate pour piano no 14 - 3ème mouvement. finit-elle par dire, continuant à jouer.

L’homme attendait admiratif la fin de la musique inaudible. Les mouvements de Calie étaient amples et beaux, emplis d’un sentiment de légèreté mais aussi violents, signe d’une rage enfouie et profonde. Son environnement avait changé, les oiseaux n’étaient plus là mais des lucioles venaient éclairer les environs malgré les grosses rafales de vent qui entouraient la pianiste. Ses cheveux bougeaient violemment dans tous les sens, venant frapper son magnifique visage, puis vint la pluie qui les plaqua contre sa peau. La femme allait entamer ses dernières notes et le spectateur en avait conscience. De la sueur perlait sur son front et elle était essoufflée mais elle ne lâcha pas jusqu’à la dernière note. Une fois fini, 15 secondes s'écoulèrent sans qu’aucun bruit à part la respiration rapide de la musicienne et les perles de sueur ne retentisse.

2357 gouttes.

Elle rouvrit les yeux, un sourire se dessina sur ses lèvres. L'homme, lui, ouvrit la bouche de surprise. Pendant quelques instants la jeune femme avait retrouvé une lueur enfantine dans le regard mais celle-ci disparut aussi vite qu’elle était arrivée. L'illusion était terminée… Elle n'était plus libre. La réalité étouffante lui fit perdre ses moyens et elle s’effondra sur le sol glacé. Des larmes salées coulèrent sur les joues de la prisonnière. Elle essaya de parler mais rien ne pouvait sortir. L’homme posa un regard triste sur la jeune fille et s’approcha d'elle, l'enlaçant tendrement dans ses bras peu musclés.

Je vais te sortir de là.

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