Lentement, notre convoi se forma. Il courait sur plusieurs dizaines de mètres et, petit à petit, les « vaillants » se regroupaient devant alors que les « faibles » se rassemblaient derrière. Ils seraient les premiers à mourir et le savaient. En aucun cas, ils ne ralentiraient le convoi sous peine de nous voir tous décimer. Nombreux ne tiendraient pas le rythme imposé par Bras-de-fer et en supporteraient les funestes conséquences.

Moi, je portais désormais ma petite sœur sur mes épaules et je tirais mon frère par le bras. Le pauvre, il devait courir pour suivre mon rythme. Cela n’allait pas pouvoir durée encore bien longtemps.

Autour de moi, les visages étaient tirés. Chacun mesurait sa fatigue et le temps qu’il lui restait avant de véritablement souffrir. Cette marche forcée allait les trier et seuls les plus résistants survivraient.

Sur ma gauche, il y avait Bjerk, mon meilleur ami. Son sac semblait outrageusement rempli. En me rapprochant de lui, je lui criais :

- Vide ton sac, pauvre fou !

- C’est ma mère qui l’a rempli… Je ne dois rien perdre ! répondit-il, le visage en sueur.

Pourtant, nous le savions tous. Les survivants arrivaient sans sac et même, certaine fois, sans armes à la haute fortification. Tenter de sauver quoi que ce soit n’avait pas de sens durant l’exode.

Sur ma droite, un peu devant moi, marchait Laia. Je m’étais rapproché d’elle, ces derniers temps et la voir marcher en tirant une petite brouette où était installé son petit frère d’un an, me brisait le cœur.

Ma mère se rapprocha alors de nous et d’un geste rapide attrapa on frère pour le placer sur ses épaules. Tout en regardant droit devant elle, elle me rappela les consignes :

- Tu dois survivre ! Tes frères et sœurs, c’est MA responsabilité ! Lorsque la colonne se scindera en deux, tu marcheras parmi les « vaillants » et tu me laisseras la charge de ma famille ! Tu as bien compris ?

- Mais maman, je suis en pleine forme, je peux porter Flora jusqu’au bout du monde, s’il le faut.

- Jure-le-moi ! Ne quitte jamais le groupe des vaillants ! JURE !

Et j’ai juré… en toute naïveté, sûre de ma force et de mon endurance. Je ne savais pas, comment aurai-je pu savoir ?, qu’une fois attente, nos limites deviennent indépassables et que la tragédie d’une promesse peut être si douloureuse.

Atour de nous, des guerriers remontèrent notre colonne en courant. Ils étaient blessés et pour certains, sérieusement. Ma mère reposa mon frère et se rapprocha du groupe qui s’était formé autour de notre chef.

Je ne pouvais saisir toute la discussion, mais les quelques mots que je perçus me firent froid dans le dos. « Nous n’avançons pas assez vite ! Les « autres » sont plus rapides que prévu ! Il faut accélérer ! »

Les guerriers et guerrières repartirent et Bars-de-fer brandit son lourd marteau vers le ciel. De sa voie sourde et pénétrante, il commença à réciter :

Malstrom est à l’origine de toute chose. À travers l’infini, il poursuit sa course et cela depuis la nuit des temps. En perpétuel mouvement, il avance dans le vide stellaire, laissant sur son passage s’écouler de son être même, la matière brute dont toute chose est issue.

Au hasard de ses déplacements, il finit par croiser son propre sillage et découvre alors d’innombrables galaxies anarchiques où s’entremêlaient des milliards de mondes. Pour la première fois depuis le début de son existence, Malstrom fut troublé.

Néant prit naissance de cette sensation. Ce fut la première entité à s’extraire de Malstrom.

Tout en déclamant, il accéléra le pas. Mais suivre ces enjambées signifiait pour bon nombre, commencer à trottiner !

Désemparé, je saisissais mon frère par la taille et me mit à courir. Combien de temps pourrais-je encore suivre cette marche ainsi lestée ?