Le B1

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( Je tiens à préciser que les fautes d'orhographes que vous pourrez trouver ne sont pas à corriger, quelqu'un s'en occupe déjà. J'y ait passé du temps, donc j'espère que mon histoire vous plaira, bonne lecture ! )

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  C’était un de ces jours de début d’été, juste avant les grandes vacances tant attendues. Le soleil commençait à descendre dans le ciel bleu qu’aucun nuage ne venait cacher. Il devait être aux alentours des 14h00 quand elle était arrivée au niveau de l’arrêt de bus, et elle attendait depuis un moment déjà que le prochain passe. Cela faisait une dizaine de minutes ou peut-être même une quinzaine, qu’elle se trouvait-là, à poireauter.

  Elle était seule. Seule à l’arrêt de bus. Seule à des kilomètres à la ronde.

  La jeune fille habitait dans une petite campagne. Le genre de coin perdu, éloigné de tout. Le genre d’endroit pas sur la carte, que l’on trouve seulement dans le cœur de ceux qui y vivent. Ce genre d’endroit où tout le monde se connaît, s’apprécie, et s’appelle par des surnoms ridicules. Comme une sorte de grande famille.

  C’était quelque chose qui était plutôt agréable, ce sentiment de sécurité et fraternité permanent. Ou qui l’aurait été s’il y avait eu plus de personnes de son âge habitant ici. Elle était seule, et elle sentait seule devant l’arrêt de bus miteux.

  Ce n’était absolument pas comme ces grands arrêts de bus abrités toujours bondé de monde que l’on trouvait dans les grandes villes, non, on pouvait même dire que ça n’avait aucune ressemblance. Il n’y avait que les restes d’un banc meurtri par les années avec un panneau affichant les horaires. Les écritures étaient cependant illisibles depuis bien longtemps. La pluie, le vent et le soleil en avaient fait leur affaire en effaçant la quasi-totalité de l’encre.

  Heureusement qu’elle connaissait toutes les horaires par cœur depuis le temps, parce que dans les coins comme celui-là, il n’y avait pas de bus toutes les cinq minutes, mais seulement un toutes les heures, dans le meilleur des cas. En plus, ils étaient souvent en retard, mais jamais en avance.

  Cet arrêt en piteux état faisait cependant ressurgir des souvenirs bien plus anciens. Des évènements témoins de son passé qu’elle pensait avoir oubliés, ou plutôt qu’elle aurait souhaité oublier. Des souvenirs qui remontaient à quelques années déjà. Quand il ne faisait pas aussi chaud, que les vergers étaient remplis de fruits colorés, et qu’il y avait encore assez de voitures qui circulaient pour que les parents disent à leurs enfants d’être prudents.

  La jeune fille se souvenait parfaitement de son entrée en CP, la première fois qu’elle se rendait en cours. Il n’y avait pas d’établissement scolaire dans son petit village à l’écart de tout, les enfants prenaient donc l’autobus pour se rendre à l’école primaire. Ils étaient seuls. Les parents ne prenaient pas même le temps de les amener jusqu’à l’arrêt. Elle se souvient de la couleur jaune canari flambant neuf du véhicule, de l’inscription « B1 » qui était écrite en grosses lettres noires à l’avant.

  Elle avait parfois l’impression que les caprices de la météo n’avaient pas emporté seulement les si jolies couleurs du bus, mais aussi celles de ses souvenirs d’enfant.

  Cependant, jamais elle n’oublierait ce premier jour d’école. Elle se souvient parfaitement de la quinzaine d’élèves de tous les âges qui se tenaient sur le trottoir. Certains avaient le nez plongés dans leurs cours, des révisions des bases nécessaires pour bien débuter leur année, d’autres jouaient à des jeux enfantins sous le regard bienveillant des plus âgés. Elle se rappelle même avoir applaudi le véhicule à son arrivé, tout comme quelques autres enfants ayant environ son âge. C’était pour eux un objet magique qui les mènerait vers le savoir, vers la découverte d’un autre endroit que celui qu’ils connaissaient depuis leur naissance.

  Le village était en train de prospérer, mais personne ne pouvait deviner qu’il atteignait bientôt son apogée, et qu’il serait suivie d’une descente aux enfers. Avec le dérèglement climatique, l’agriculture, activité principale du village, ne donnait plus assez de rendement, et les familles déménageaient au fil des ans. Si bien qu’elle avait vu ses camarades partir un par un loin d’ici avec cette même promesse de ne pas perdre contact. Elle s’était finalement retrouvée seule à l’arrêt de bus, depuis six ans, avec pour seuls souvenirs de ses anciens compagnons de route des bouts de visages, des sourires et parfois des noms. Ils semblaient la hanter quand elle marchait dans les rues désertes du village, lui rappelant sans cesse qu’elle n’avait plus rien, plus personne. Village qui n’était désormais plus qu’un immense champ de ruines.

  Même son père, qui avait grandi ici, avait fini par déménager en ville au moment du divorce, mais pas sa mère. C’était d’ailleurs une des rares à continuer à vivre ici, même si la jeune fille ne comprenait pas vraiment son choix.

  Mais cela faisait maintenant plus de neuf ans qu’elle prenait ce même bus minable qui n’avait pas été changé, et elle doutait quant au fait qu’il ait passé une quelconque révision pourtant réglementaire. Il lui arrivait de se demander comment ce tas de ferraille pouvait encore rouler. Ce bus n’était pas équipé de clim’, de ports USB et ne fonctionnait pas non plus à l’électricité contrairement à ces nouveaux bus qui étaient selon la plupart « l’avenir ». Il n’y avait rien de tout cela. C’était juste un vieux bus rouillé, abîmé par les ans et les intempéries, dont des pneus menaçaient de crever à tout moment, où la température intérieure vous étouffait et qui participait activement au réchauffement climatique étant donné qu’il fonctionnait exclusivement à l’essence.

  Toutes les deux semaines, elle se retrouvait donc ici accompagnée de sa petite valise rose pour son rendez-vous bi-hebdomadaire avec le bus. Elle n’en avait jamais raté aucun, et lui non plus. Elle l’attendait. Elle avait appris à le connaître au fil des mois, et à présent elle le connaissait par cœur, chacune de ses habitudes, de ses retards. À cette heure-ci, il n’avait en général qu’un quart d’heure de retard. En jetant un coup d’œil à sa montre, elle se rendit compte qu’il arriverait dans un peu moins de dix minutes. Il la prendrait alors pour l’emmener vers un monde radicalement différent de celui dans lequel elle avait vécu jusqu’ici.

  Loin de cette campagne, mais pas de sa solitude qui, elle, la suivait partout où elle se rendait.

  Assise sur sa petite valise rose son regard se perdait dans le paysage bien vide à ses yeux. Elle regardait les vagues de chaleur qui émanaient du sol comme de petits êtres invisibles aux yeux de ceux qui ne prenaient pas le temps d’être attentifs à leur environnement.

  Comme toutes les deux semaines, ce bus allait la conduire chez son père. Elle arriverait après au minimum deux heures de route, dans le meilleur des cas. Au début, elle avait un peu de mal à s’y faire, passer deux heures dans un bus où la moindre secousse la faisait tomber de son siège, où l’odeur d’essence emplissait l’intérieur et où il faisait une chaleur étouffante n’était pas une partie de plaisir. C’était sûrement pour cette raison qu’elle était quasiment la seule à prendre cette ligne, mais elle n’avait pas le choix, c’était le seul bus qui allait jusqu’en ville. Parce que oui, son père habitait en ville. Il y travaillait comme agent immobilier, il passait beaucoup de temps à son travail, c’était sa nouvelle raison de vivre depuis l’incident qui avait brisé sa famille et sa vie au passage.

  Elle n’avait rien put faire d’autre que regarder son monde voler en éclats à ce moment-là.

  Quand elle était chez son père, elle passait le plus clair de son temps à suivre ses cours. Elle les suivait par correspondance pour que l’alternance ne lui demande pas d’être dans deux établissements à la fois, chose certainement impossible. Sa situation était déjà assez compliquée comme cela.

  Elle se sentait vide depuis ce jour, comme si on lui avait pris une part d’elle-même. Cette étincelle dans son regard, cette flamme dans son cœur, semblaient s’être éteintes en même-temps qu’elle, mais ses parents ne l’avaient pas remarqué puisqu’ils ne la regardaient plus. Elle les comprenait, elle la leur rappelait, mais c’était dur pour elle aussi et elle ne pouvait s’empêcher de les trouver égoïstes. Pas une seule fois, ils avaient essayé de la rassurer, pas un câlin, pas un regard ou un sourire.

  Elle commençait à en avoir plus que marre de cette vie remplit de solitude depuis son départ, comme si plus personne ne voulait d’elle désormais, pas même ses propres parents.

  La jeune fille fut subitement tirée de ses pensées quand le bruit lointain d’un moteur parvint à ses oreilles. Pour la plupart des gens, ce bruit se serait perdu dans le reste et n’aurait pas attiré leur attention, il était vrai que c’était un bruit ambiant des plus banals, mais pour la jeune fille il en était tout autre. Dans sa campagne perdue, rares étaient les voitures qui passaient, même sur la route principale au bord de laquelle elle se trouvait actuellement. Elle releva alors la tête presque immédiatement et vit arriver un bus, son bus. C’était un vieux bus rouillé dont les parois semblaient si fines qu’on se demandait comment il était possible qu’il n’ait pas déjà été réduis en poussière par le vent.

  Le bus arrivait vite. Il arrivait toujours vite. Toujours trop vite aux yeux de la plupart des gens. Certains, comme elle, l’attendait. D’autres, comme elle, étaient rattrapés.

  La jeune fille se leva alors pour se mettre au bord de la route, elle avait laissé sa valise au pied de l’arrêt de bus. Si on ne lui faisait pas signe de s’arrêter, le bus traçait souvent son chemin et vous étiez contraints d’attendre le prochain. Il était hors de question qu’elle le rate, que dirait son père si elle arrivait en retard, lui faisant perdre des heures de travail si précieuses ? Elle s’avançait vers le bord du trottoir en tendant sa main droit devant elle, son pouce en l’air, dans l’intention de faire s’arrêter le bus qu’elle voyait arriver au loin.

  La jeune fille s’était mise sur le rebord du trottoir, elle s’y tenait avec un équilibre fragile. Elle avait l’impression d’être sur un fil et de ne plus avoir le contrôle, comme si c’était seulement le vent qui déciderait de la suite en la faisant tomber d’un côté ou de l’autre. Ses yeux étaient plissés, elle ne vit donc pas le bus arriver, mais elle le sentit passer devant elle avec une allure folle. Le courant d’air crée par le passage du bus lui coupa le souffle. Désormais, elle sentait ses poumons qui se contractaient et se relâchaient à la recherche désespérée d’air, en vain, puisqu’elle ne respirait plus. La suite s’enchaîna si vite, mais si lentement à la fois, comme si la notion de temps n’était qu’un vieux souvenir. Elle sentit son cœur s’arrêter de battre dans sa cage thoracique, laissant place à un grand vide en elle. Le froid l’envahit, comme si la température avait chuté d’un coup, mais elle n’aurait su dire si ça venait d’elle ou de son environnement. La seule chose dont elle était sûre, c’était que c’était agréable.

  Puis, elle eut la sensation de tomber, pourtant, elle était toujours debout, un paysage flou s’offrant à ses yeux. Le temps semblait s’être arrêté. Le bus s’était stoppé net dans son élan, les feuillages des arbres ne bougeaient plus en rythme avec le vent et les oiseaux ne chantaient plus. Il n’y avait qu’elle. La jeune fille trouva la force de tourner la tête vers ce qu’il lui semblait être un corps, mais elle n’eut pas le temps de le voir plus en détails, ou de l’identifier, qu’elle sentit son cœur se remettre à battre, ses poumons inspirer et expirer à nouveau, mais toujours avec cette impression de froid. Cependant, elle avait la sensation de se relever, de renaître.

  Son cerveau avait beau chercher une explication à ce qu’il venait de se passer, il n’en trouvait aucune d’assez convaincante.

  Ses yeux scrutaient le paysage qui s’offrait à elle. Elle cligna plusieurs fois des yeux en essayant de savoir si ce n’était qu’une illusion ou si tout cela était réel, terriblement réel. En vain, puisqu’elle ne parvint pas à déterminer si ça tenait du réel ou de l’imagination. Elle voulait y croire, croire que c’était vrai, mais cela lui semblait tellement invraisemblable. La jeune fille laissa alors son regard parcourir les alentours qui lui semblaient si familier, mais si étrangers à la fois. C’était une sensation bizarre. Elle se sentait perdue, et seule. Toujours seule. La nuit était tombée, déposant son voile noir sur le monde, mais les étoiles n’éclairaient pas le ciel de leur douce lueur ce soir. Il fait noir, totalement noir. La seule lumière provenait du lampadaire qui éclairait faiblement l’arrêt de bus. Son regard parcouru les alentours. Les arbres qui étaient dépourvus de toutes feuilles ne semblaient n’être plus que l’ombre d’eux-mêmes. L’herbe qui avait disparu laissait place à une terre hostile et sèche. C’était silencieux, étrangement silencieux. Il n’y avait plus le bruit des oiseaux qui piaillaient du haut de leurs branches. Mais ce silence la réconfortait, il lui semblait assourdissant. Il faisait froid, mais cette froideur lui réchauffait le cœur, la réconfortait. C’était comme si ce silence et ce froid étaient tout ce qu’elle avait recherché depuis des années et que, maintenant qu’elle les avait trouvés, elle se sentait libre. Libéré d’un poids.

  Cependant, elle se rendit vite compte qu’elle se sentait toujours aussi seule, aussi vide. Elle était toujours tourmentée par ses démons alors qu’elle pensait avoir trouvé la paix, et si on lui avait menti durant toutes ses années ? Non. Elle ne voulait pas y croire, elle ne pouvait y croire. Peut-être n’est-ce finalement qu’une illusion, une illusion à laquelle elle se raccrochait pitoyablement.

  Son regard se posa alors sur le bus. Il n’était plus qu’une carcasse décharnée. On dirait qu’il avait été brûlé, mais qu’il parvenait encore à rouler grâce à on ne savait quel miracle. Elle se dirigea alors d’un pas hésitant vers celui-ci, ne sachant pas ce qu’elle trouverait à l’intérieur, laissant sa valise derrière elle.

  Là où elle allait, elle n’en aurait pas besoin.

  Les portes s’ouvrirent automatiquement dès qu’elle arriva devant celles-ci. Elle monta après avoir laisser passer quelques secondes, ce petit instant qui lui avait permis d’être sûre d’elle et de son choix, les marches lui permettant de monter dans le bus. Il était trop tard pour les regrets et les remords, trop tard pour demi-tour même si l’envie l’en prenait. La plupart des gens auraient été angoissés à l’idée d’y monter, ils auraient peut-être été incapables de le faire, paralysés par la peur, mais la jeune fille s’y engouffra dans le plus grand des calmes, tête haute. Parce qu’elle n’avait pas cherché à la fuir, mais été même allée la chercher, alors pourquoi en avoir peur ?

  Elle tomba nez à nez avec une silhouette familière, elle ressemblait trait pour trait à la petite fille qu’elle était il y a six ans de cela. Elle l’avait retrouvée, sa deuxième part d’elle-même, sa flamme, son étincelle. Sa jumelle partie il y a des années, emportée malgré elle.

  Le bus était remplis de silhouettes qui lui semblaient familières. Elles étaient étranges, mais elle n’eut pas le temps d’y porter plus d’attention que cela puisque son regard en croisa un autre. Une paire de yeux bleus grisâtres, identiques aux siens, qui la fixait. La jeune fille fit quelques pas lents vers la fillette qui se tenait devant elle, elle avait une dizaine d’années, tout au plus. Si elle marchait lentement c’était parce qu’elle avait peur que ce ne soit qu’une illusion qui s’envolerait au moindre geste brusque. Elle n’en croyait pas ses yeux. La jeune fille aux boucles d’ores ressemblait trait pour trait à la jeune fille qu’elle était il y a six années de cela. Rien n’avait changé chez la fillette qui était restée la même de son sourire jusqu’à sa posture. Le jour qu’elle avait tant attendue était arrivé, ça y est, elle l’avait retrouvée, elles étaient à nouveau réunies. Elle avait retrouvé sa deuxième part d’elle-même, sa flamme, son étincelle. Sa jumelle partie il y a des années, emportée malgré elle.

  Avait-elle eu peur ?

  Avait-elle tenté de fuir ce qu’on ne pouvait pas fuir ?

  Les deux jeunes filles restaient silencieuses. Un regard et deux sourire suffisaient pour qu’elles se disent tout ce qu’elles avaient à dire, pour rattraper le temps perdu. Elle l’avait rejoint, elles étaient enfin réunies après toutes ces années et cela lui suffisait amplement. Quand elle releva la tête, elle la vit enfin.

  Elle était majestueuse, vêtue de sa longue toge noire dont la capuche cachait son visage dans l’ombre, et ses mains tenant fermement l’arme que les gens passaient leur vie à redouter, mais pas cette jeune fille, elle était même venue pour cela. Cette ombre semblait l’inviter à venir avec elle, et si cela signifiait être aux côtés de sa sœur pour l’éternité alors elle ne voyait d’autre options que d’accepter. Sans même se laisser la possibilité de changer d’avis, elle attrapa la main que lui tendait la mort en hochant doucement la tête, sûre d’elle. Un sourire s’étendit sur ses lèvres quand elle entendit les portes se refermer derrière elle dans un bruit sourd. C’était le bruit des portes de la mort, celles qui, une fois fermées, ne s’ouvraient plus. Elle chercha pas à se retourner, à fuir, elle faisait juste face à la mort, à son avenir.

  « La mort n’est qu’un banal incident qui ne dure qu’un instant. Une affaire où l’on a plus de peur que de mal. », Samuel Butler

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