Chapitre 38 : Sushis

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– Tu es sûr que tu ne veux pas dire bonjour ? Adrien serait… content.

Rashnoé sourit ironiquement à Loënia. Une main sur le volant et l’autre sur le levier de vitesse, il n’avait aucune envie d’appuyer sur le bouton de sa ceinture pour aller saluer l’aïeul.

Le ciel était gris sur leur tête. Il n’y avait pas de vent, mais le ciel était noir à l'est et des fragments de bleu se dispersaient tristement à l'ouest.

– Merci de m’avoir déposé, en tout cas.

– Tu me dis ça à chaque fois, Loëne. Et à chaque fois, je te réponds que c’est normal.

– Un jour, j’aurai une voiture, ce sera plus simple. (Ils s’embrassèrent). Bonne chance pour la réunion de demain. J’espère que ce Clovis sera coopératif.

Loënia avait proposé à Rashnoé d'échanger sa place avec elle. Il avait refusé. Depuis que Loënia s'était fait poignarder par Sajus, le sorcier mettait un point d'honneur à garantir la sécurité de sa bien-aimée. Parer par Loënia, qui était d'un naturel têtu, il ne pouvait pas faire grand chose.

Rashnoé hocha la tête, l’air confiant. Il avait ramassé ses cheveux en un léger catogan qui remuait de gauche à droite dès qu’il bougeait. En bermudas et en t-shirt, il ressemblait à un vacancier.

– Bon, je vais y aller, alors, soupira tragiquement Loënia.

Rashnoé déposa un baiser sur le front de la fée.

– Donne mon bonjour à Thaïs.

Elle sourit avant de se rappeler le dîner d’hier soir.

– J’ai mangé avec Thaïs, justement. Je lui ai dit que j’aimerais préparer des sushis ou des onigiris. Tu n’imagines pas ce qu’il m’a répondu. Il n’aime pas les sushis. Non mais, vraiment. Ça existe, des gens qui n’aiment pas ça ? Pauvre de moi. Je pensais pouvoir le convaincre de m’en cuisiner.

Rashnoé rit.

– Les gens sont désespérants, ironisa-t-il.

Loënia attrapa son sac à main, ils s'embrassèrent. Les flammes vertes inondaient la fée d'amour. Elle se résolut à abandonner ses contemplations et à ouvrir la portière.

– Passe une bonne soirée, Rash. Et fais attention quand tu doubles !

Le sorcier hocha la tête, habitué aux conseils de sa petite-amie sur sa conduite. Elle le salua de la main et s’en alla tranquillement jusqu’au manoir.

La demeure était entourée d'arbres. Une seule et longue route bitumée en mauvais état menait au manoir. Personne n’aurait eu envie de s’aventurer là-bas, et les humains l'avaient compris. Bien que le lieu fût un endroit idéal pour promener son chien ou ses enfants, car très peu de voitures passaient par là, Loënia n’avait jamais vu aucun promeneur.

Loënia poussa la grande porte et la laissa se refermer derrière elle. Elle fut aussitôt happée par la fraîcheur et le réconfort des lieux.

Elle avançait dans le hall puis dans le salon. De la musique s’échappait de l’escalier qui menait à l’étage supérieur. Il était plus de vingt-deux heures et Loënia n’avait pas l’intention de dormir. Elle avait envie d’embêter quelqu’un. Joueuse, elle se rendit invisible et erra dans la demeure.

Se rendre invisible était complexe mais incroyablement pratique. Les autorités magiques avaient décrété que cet enchantement était interdit dans les lieux publics, pour la sécurité de tous. Des sorciers s’étaient fait renverser par des voitures parce qu’ils étaient transparents. D’autres avaient eu de graves ennuis avec la justice parce qu’ils avaient pénétré dans les vestiaires occupés de la piscine.

Loënia n’était pas sûre de réussir son enchantement. Être invisible était un simple jeu d’esprit. C’était se rendre invisible olfactivement, visuellement et audiblement. C’était ne plus être repérable. Elle n’avait jamais usé de ce sort devant des vampires et encore moins dans une maison avec autant de monde.

Elle savait où se trouvait Thaïs. Loënia, comme tous les magiciens, pouvaient facilement ressentir où se trouvait quelqu'un dans une maison.

Elle montait les marches de l’escalier lorsqu’elle le vit. Il sortait de sa chambre, les yeux rivés sur son téléphone portable, l’air paisible. Elle gravit les dernières marches et le suivit. Il s’arrêta brutalement quand un vampire l’arrêta. C’était l’homme qui avait bu de la potion de chance avec Andréas.

– Alors, Thaïs, comment vas-tu, aujourd’hui ?

– Laisse-moi passer.

– Tu rapportes toujours tout à Adrien ?

Loënia sentit une puissante haine l’envahir. Thaïs ne lui avait jamais dit qu’il se faisait harceler par des vampires plus âgés. Son ami était grand mais cet homme l’était encore davantage. La bonne nouvelle fut que personne n’avait remarqué Loënia.

Thaïs fit volte-face si vite que la fée dut s’écarter contre le mur du couloir. L’individu rattrapa Thaïs par l’épaule. Il le força à le regarder en le tenant par la mâchoire, Thaïs semblait faire tout son possible pour se dégager de l’emprise de cet homme. L'homme qui l'acculait devait être plus âgés que lui, donc plus puissant.

Le vampire se retrouva à genoux et Thaïs recula, surpris. Loënia annula son enchantement et se plaça devant son ami.

– Touche-le encore une fois et je te fais brûler au soleil, cracha-t-elle.

Le vampire la foudroya du regard avant d’essayer de se relever. Les os de ses genoux brisés mettraient quelques minutes avant de se ressouder.

Thaïs tapota l’épaule de Loënia et lui fit un geste du menton vers l’escalier. Ils filèrent, dévalant les marches comme deux fantômes. Ils se réfugièrent dans la cuisine.

Thaïs passa sa main entre ses tresses sombres.

– N’en dis rien à Adrien, OK ?

Loënia, le souffle court, le dévisagea.

– Pourquoi ? Quand Andréas m’a mordu, il l’a chassé sans hésiter. Je crois qu’il ferait de même avec cet homme. Comment s’appelle-t-il ?

Thaïs s’adossa au réfrigérateur avant d’aussitôt se redresser.

– Non. Tu ne diras rien. Ce n’est pas grave. Et il s’appelle Julien.

Loënia fut triste d’apprendre qu’une personne qui s’appelait Julien, un prénom qu’elle adorait, pouvait être si mauvaise. Elle se ressaisit. Elle avait le sentiment que quoi qu’elle fasse, Thaïs ne voulait pas être aidé. Avait-il peur que la situation devienne pire ?

– Comment te sens-tu ?

– Ça va, marmonna Thaïs.

– Depuis combien de temps ce Julien te fait-il du mal ?

Thaïs regardait le carrelage, les yeux dans le vague. Il releva la tête et sourit.

– Loënia, c’est bon, je vais bien. Je suis un vampire, ce qui te blesse ne me touche même pas.

Elle fronça les sourcils.

– Thaïs, je…

Il lui tapota l’épaule et sortit en coup de vent. Elle souffla d’agacement. Julien ne pouvait pas continuer à harceler Thaïs. Elle jura qu'elle l'empêcherait.

Dépourvue et déboussolée, Loënia gagna le salon totalement vide. Elle n’avait plus du tout envie de dormir.

– Je n’arrive pas à croire que ça se soit si bien passé, s’extasia Loënia tout en prenant les mains de Rashnoé. Ils viendront la semaine prochaine, c’est fou ! Je suis si contente ! Non, plus que contente, émerveillée !

Le sorcier, qui essayait de sortir de sa boutique, rit. La meute de loups que Rubis, Rashnoé et Braken avaient rencontrée se rendrait à Cryset pour le rassemblement interespèces qui était prévu la semaine prochaine.

– Les loups ont été charmants avec nous. J’avais peur qu’ils soient revanchards, surtout avec la présence de Braken. Ils ont été très collaboratifs.

– Ils seront à l’après-midi qu’on organise, c’est incroyable.

La veille, le groupe s’était appelé par Skype pour débriefer le déjeuner. Braken, Rashnoé et Rubis s’étaient disputés le temps de parole pendant deux heures, jusqu’à ce qu'Amare ne décrète qu’il devait aller faire des courses.

Le jeune couple s’éloigna tranquillement dans les ruelles chauffées de Cryset. Main dans la main, le mot “chance” dansait dans l’esprit de Loënia.

– Qu’as-tu envie de faire ? Lui demanda Rashnoé.

Ses cheveux tanguaient dans le vent.

Un bruit sortit de nul part et retentit tout autour d’eux. Ils se retournèrent et pensèrent tout de suite à un attentat. A Cryset, cela ne pouvait pas arriver ! De la fumée se dégageait derrière une maison de ville. Les jeunes gens sursautèrent.

– Lent-Sorceler, gémit Loënia.

– Ma boutique ! Ma boutique ! Hurla Rashnoé. Et le locataire du dessus !

Ils coururent en sens inverse. Une odeur de fumée se répandait partout. En moins d’une minute, ils étaient de retour à leur point de départ.

Les vitres étaient maintenant en mille morceaux sur le bitume. Des flammes sauvages s’agitaient comme des démentes. La minable devanture et sa poussière avait brûlé. Les plantes, les fioles, les chaudrons, les baguettes magiques, tout était en train de partir en fumée.

Rashnoé saisit son trousseau de clé et dut s’y prendre à plusieurs fois avant de réussir à ouvrir la porte. Loënia à sa suite, ils gravirent un escalier.

– J’appelle les pompiers, fit Loënia, son téléphone portable contre son oreille.

– Monsieur Durand ? Monsieur Durand ? Rashnoé appuya sur la sonnette cinq ou six fois avant de décléter la poignée avec un sortilège. Monsieur Durand ? C’est Rashnoé Corasone !

Ils pénétrèrent tous les deux dans l’appartement. La décoration était moderne. Les Corasone avaient repeint toutes les peintures il y a deux ans, avant que leur nouveau locataire n’emménage. Les jeunes gens se dispersèrent pour faire le tour du logement.

– Oui, allo ? Oui, bonjour ! Je suis dans la rue des sabotiers à Cryset. Une boutique à pris feu, est-ce que vous pourriez venir maintenant… Dans dix minutes ? Ok.. Ok, merci !

Rashnoé entra dans la chambre où Loënia se trouvait. De toute évidence, Monsieur Durand n’était pas là.

– Les pompiers arrivent dans moins de dix minutes. Ton locataire n’a pas un chat, par hasard ? Demanda Loënia.

– Non, il nous a assuré en être allergique. Il avait un lapin mais il est mort peu après son arrivée !

Rashnoé était en plein état de panique. Loënia prit sa main.

– Rash, il faut qu’on sorte, il n’est pas là et nous nous mettrons en danger si nous restons ici.

Le sorcier constata du regard l’appartement avant d’acquiescer. Il serra un peu plus fort la main de sa petite-amie. Ils redescendirent l’escalier.

Quand ils arrivèrent dans la ruelle, plusieurs personnes vinrent leur parler. Les voisins et quelques promeneurs venaient pour regarder la boutique partir en fumée.

– C’était votre boutique ? S’inquiéta une dame d’un âge avancé.

Rashnoé acquiesça, les larmes aux yeux.

– C’est bien triste. Je suis désolée pour vous.

Loënia remercia la vieille dame. Elle continua son chemin tout en se retournant de temps en temps vers la boutique. Bientôt, mais pas assez vite, les sirènes des pompiers hurlèrent dans la ville.

Ils firent reculer les curieux et noyèrent d’eau la boutique. Rashnoé appela son père qui arriva dans la minute.

Loënia envoya un SMS à Adrien pour lui résumer ce qui s’était produit et pour l’avertir qu’elle rentrerait tard ce soir. Elle ne voulait pas laisser Rashnoé seul avec ses pensées. Il travaillait si dur pour cette boutique et elle était partie en fumée. La police arriva dans la demi-heure.

Le ciel rouge semblait garder les flammes en mémoire pour les voisins. De la fumée grise s’échappait de la porte et de la devanture de la boutique. Des cendres mouillées jonchaient le sol de la boutique.

Un pompier interrogeait Rashnoé et Loënia.

– Aviez-vous quelque chose d’inflammable dans la boutique ? Gaz, briquet, source de chaleur, etc.

Loënia et Rashnoé répondirent que non, bien que ce n’était pas la réalité. Le pompier, humain, avait déjà son idée sur la nature de l’explosion : c’était un accident.

– Vous avez eu de la chance de ne pas être dans la boutique quand ça a explosé. Ce doit être une fuite de gaz.

Rashnoé et son père échangèrent un regard. Eux ne croyaient pas à un accident. La boutique était reliée au gaz mais ils ne payaient pas d’abonnement, donc ils n’en recevaient pas.

Loënia, sur le trottoir, tournait en rond quand quelqu’un attira son attention. Thaïs se tenait devant elle, l’air désolé. Elle vint se réfugier dans ses bras.

– Je suis désolé, lui dit-il.

– Ce n’est pas de ta faute…

Ils restèrent ainsi longtemps. Loënia réalisa qu’elle avait froid, dans les bras de son ami.

– Et si c’était un acte criminel, hésita-t-elle. Et si cela avait pour but de nous dissuader de continuer nos actions ? Notre groupe n’est pas très connu… Je ne comprends pas comment on peut faire ça.

– Il commence à l’être, surtout avec l’après-midi que vous prévoyez la semaine prochaine, Loënia.

La fée se détacha à contre-coeur de Thaïs.

– Je suis tellement triste pour lui. Son père et lui travaillent tellement ! Et maintenant, la moitié de leur gagne-pain est hors-service ! C’est injuste !

Thaïs acquiesça. Ils marchèrent jusqu’à Rashnoé et Audric.

Rashnoé avait les yeux gonflés.

– Ils nous conseillent de ne pas entrer jusqu’à deux jours après l’explosion, pour que tout soit bien froid.

– On viendra vous aider à tout laver et ranger, lui promit Thaïs.

Loënia acquiesça. Elle croisa les bras contre sa poitrine pour s’abriter de la fraîcheur de la soirée.

– Et tout le groupe aussi.

Rashnoé hocha faiblement la tête.

– Nous aurons de gros travaux à entreprendre, les avertit Audric. La réouverture ne sera pas avant deux ou trois semaines. Enfin... Il est tard. Nous nous occuperons de tout cela demain.

Lui également semblait épuisé et las. Les épaules avachies, il faisait de la peine à Loënia.

– Nous n’avons rien oublié de fermer ou rien fait brûler dans la boutique. J’espère que nous retrouverons ceux qui ont fait ça.

– Espérons, grommela Rashnoé, le regard à présent fou de rage.

– C’est très gentil d’être resté plus longtemps, les remercia Audric. Je pense que vous devriez rentrer. Nous allons faire de même, il n’y a plus rien à voir.

– Bon courage, fit Thaïs.

Loënia serra la main de Rashnoé avant de se détourner. Elle détestait le sentiment qu’elle ressentait : elle ne pouvait rien faire pour aider.

Heyyyyyyy

Quelle est votre théorie sur l'explosion de la boutique de Rashnoé ? (Audric est son père, je ne sais pas si je l'ai bien précisé)

Je vous embrasse,

Jane Anne

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