Chapitre 32 : Bloody-Mary

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-Je suis prise en master !

-Et moi aussi !

-On peut toutes les deux rester à la fac de Cryset !

Matze et Rashnoé furent submergés par l'enthousiasme de Rubis et de Loënia. Ces dernières venaient seulement, à la fin du mois de juin, d’obtenir les réponses à leurs vœux de scolarité. Les deux jeunes hommes n'avaient pas posé le pied sur le perron de la demeure des Oppralin que Loënia et Rubis sautèrent sur eux.

-C’est génial, bravo ! Les félicita Matze.

-Allez, entrez les garçons, fit Raison en s’interposant entre les deux étudiantes surexcitées. Sinon la canicule va venir avec vous.

Rubis voulut rétorquer que ce n’était pas une vraie canicule car il ne faisait que vingt-cinq degrés mais elle s’en abstint. Elle s’était déjà fait gronder au petit-déjeuner par Loënia car elle n’aimait pas le beurre salé.

Le groupe put pénétrer dans le couloir à la teinte miellé avant d’atteindre le salon. Braken et Amare étaient tous deux en grande discussion sur le canapé, tandis que Liséa sur le tapis, près de la cage du hérisson, jouait avec celui-ci.

-Rubis a passé la nuit ici, expliqua Loënia à son petit-ami. On voulait connaître nos affectations ensemble !

Loënia avait également dormi dans sa maison natale. Ce n’était absolument pas prévu, c'était Raison qui l’y avait invitée. Loënia avait accepté sans hésiter et s’était réjouie de pouvoir prendre une douche chaude.

-Je ne resterai pas très longtemps, j’ai cours de théâtre dans deux heures, murmura Rashnoé à l’oreille de Loënia.

Celle-ci hocha la tête et lui prit la main. Rashnoé, Rubis, Matze et Loënia s’assirent plus ou moins par terre ou sur le canapé.

-Et vous, demanda Matze à Amare et Raison, savez-vous où vous irez ?

-Oui, fit Raison, je continue en doctorat de biologie et Chou en doctorat de physique.

-Ca vous fera donc huit années d’études ? S’exclama le sorcier. J’en serais incapable.

-Moi non plus, intervint Loënia.

Cette dernière remarqua que sa petite-soeur se contorsionnait étrangement. Liséa se dirigea vers la cuisine et Loënia s’empressa de la suivre. Elle se doutait que sa sœur était en plein dans ses menstruations.

-Est-ce que tu veux une tisane ? Tu sais que j’en fais…

-Je n’en veux pas, rétorqua froidement Liséa.

Loënia voulut caresser José qui était niché sur l’épaule de sa sœur mais celle-ci eut un mouvement de recul.

-Ne le touche pas.

Loënia ne s’en serait pas formalisée si ce n’était pas la neuvième fois de la journée que celle-ci l’avait envoyé balader.

Rubis, qui était également entrée dans la cuisine, se tourna vers le groupe étendu dans le salon.

-J’ai faim, vous aussi ? Je tiens à vous dire que si je ne mange pas maintenant, je vous mords. D’ailleurs, j’ai fait des crêpes ce matin. Vous en voulez ? Je peux les faire chauffer, si vous le souhaitez.

Elle se tourna vers Loënia qui avait mis ses mains dans les poches de son short et lui sourit.

-Tu ramènes les garnitures ?

Liséa quitta la cuisine avec une plaquette de gélules et José sur l’épaule. Elle monta bruyamment l'escalier. Braken regarda sa cousine s’éloigner. Il eut la présence d'esprit de ne faire aucun commentaire. Loënia posa les confitures, le sucre et la pâte à tartiner sur la table basse avant de s’asseoir par terre à côté de son petit-ami.

-Des crêpes pour dîner ? Se questionna Matze.

-Eh bien, tu es breton, oui ou non ? Le rabroua Rubis en riant. Mais pas de galettes, on n'a plus d'oeuf.

Matze fit la moue mais prit tout de même une crêpe et la posa sur une petite assiette.

-Tu es sacrément philosophique pour un scientifique, dénota Braken à l’intention d’Amare.

-Eh oui, fit celui-ci en calant s’étirant.

-Qu’est-ce que tu as dit ? Lui demanda Raison qui vint se lover contre lui.

-Comment est-ce que je l’ai… Attends, c’était… Ce que tu fais à autant d’effet sur ta vie que ce que tu ne fais pas.

Loënia et Rashnoé hochèrent la tête, tout à fait d’accord. Ils se prirent chacun une crêpe. Au même moment, Braken tourna la tête tel une chouette vers Loënia qui se sentit aussitôt agressée.

-Comment est-ce que ça avance avec Adrien ?

Loënia prit un instant pour avaler une bouchée de crêpe au sucre.

-Il m’a envoyé balader comme Lichéa à l’inshtant. Cha va, che fais mon poshible. (Elle avala.) Il est très têtu.

Braken haussa les sourcils, peu impressionné.

-Donc ça n’a rien donné.

-Je n’ai pas dit…

-J’ai parlé à mon père de nos progrès, la coupa Braken, et il en est très content. Il va nous prêter un parc sur Cryset pour un rassemblement intercréatures.

-C’est super ! S’emballa Rubis. Mais qu’y fera-t-on ?

-C’est justement le sujet de cette après-midi, répondit Amare en étalant de la confiture de baies sur sa crêpe. Braken voulait se cantonner à réaliser quelques activités pour tous les âges mais je pense qu’il serait bien d’ouvrir le dialogue. On pourrait donner un thème et discuter ensemble, pour ceux qui le souhaitent, bien sûr.

-Ca me semble bien, confirma Matze. Il ne reste plus qu’à avoir assez de portée pour qu’il y ait du monde. Ensemble, nous connaissons beaucoup de sorciers et de fées, je pense, peut-être même assez de loups mais est-ce que les vampires accepteront de se plier au jeu ?

Tout le monde se tourna Loënia qui s’empressa d’avaler sa bouchée. Hors de question de parler la bouche pleine une fois de plus.

-Je ne suis pas leur porte-parole mais en semant mes petites graines, des vampires viendront. Peut-être pas Adrien mais certains, oui.

Elle songea aussitôt à Thaïs qui était toujours prêt à s’amuser ou à tenter de nouvelles expériences. Ce dernier s’entendait très bien avec Rashnoé, ce qui était un très bon point.

-Je ne savais pas que Matze avait trouvé un emploi.

Loënia errait dans la bibliothèque d’Adrien tout en étant au téléphone avec Rashnoé. Elle y traînait depuis une heure, la longeant de long en large, s'asseyant tantôt sur le parquet ancien ou sur un fauteuil antique. La pièce était immense et regorgeait de davantage de livres qu’une bibliothèque municipale.

Loënia s’était étonnée de ne pas voir les livres bouger, comme ceux dans sa maison natale. Cette dernière était dotée d’une âme qui lui donnait la capacité de remuer de temps en temps et -le plus souvent- pas aux meilleurs moments. Il y a plusieurs années, Raison avait invité une amie pour travailler un projet pour le lycée. Plusieurs livres s’étaient mis à tomber du haut d’une étagère. De plus, ils ne s’étaient pas contentés de chuter, ils s’étaient également ouverts sur des pages qui intéressaient les filles pour leurs devoirs. La maison voulait les aider. Son amie, humaine, avait trouvé ce hasard merveilleux sans se doûter que la magie existe un seul instant.

Le manoir d’Adrien n’était qu’un manoir. Rien ne bougeait, à part si l’un de ses nombreux occupants ne touchait un objet. La télécommande ne changeait pas les chaînes, les plats chauffaient à bonne température et pas plus longtemps que le minuteur ne l’indiquait, les volets ne s’ouvraient pas.. Mais il n’y avait pas d’eau chaude.

Loënia éloigna ses pensées prosaïques pour se concentrer sur la discussion téléphonique qu’elle avait Rashnoé.

-Il a eu dû mal à trouver du travail. Très honnêtement, je n’ai pas continué mes études car ça arrangeait mon père que je travaille dans sa boutique à Cryset et je le souhaitais aussi. Seulement, avec un BTS vente, il est vrai qu’il est parfois compliqué de trouver un emploi. Surtout ici.

-Entre Cryset et Brest, Matze a eu du mal à trouver un emploi ?

Elle imagina Rashnoé secouer la tête positivement.

-Il a vraiment fait tout son possible. Il a envoyé des tonnes de CV mais même la magie ne peut pas aider à trouver un emploi.

-Hélas.

-Il m’avait demandé de l’embaucher mais je n’ai pas assez de clients pour prendre un employé. C’est super qu’il ait enfin trouvé un poste et il s’entend bien avec l’équipe.

-Matze a l’air très sociable, il s’arrange partout.

-Il n’a pas du tout confiance en lui, infirma Rashnoé.

-Ah bon ? Je ne l’aurais pas cru !

Loënia parcourut du doigt une étagère de livres anciens. Montesquiou, Erasme, Flaubert, Proust, Gerard de Nerval, etc. Il y avait du choix.

-Matze et Rubis vont au cinéma ensemble aujourd’hui.

Loënia arrêta ses contemplations et se laissa tomber dans un fauteuil en cuir.

-Quoi ? Non, vraiment ? Oh, c’est donc pour ça qu’elle ne m’a pas donné de nouvelles aujourd’hui… Eh bien, on dirait qu’il y a anguille sous roche.

-Une grosse anguille, si tu veux mon avis, compléta le sorcier en riant. Qu’est-ce que tu fais ?

-J’ai préparé une potion de chance pour notre groupe et maintenant je cherche de quoi lire. Oui, j’ai déjà fini mon livre mais en même temps, nous sommes en pleine vacances d’été et je n’ai rien à faire. D’ailleurs, il faut que je demande à Malo s’il voudrait bien de moi dans son bar. Je suis sûre que c’est une bonne idée et puis je suis toujours souriante donc…

-Toi, toujours souriante, Loëne ?

Loënia plissa les yeux devant son téléphone portable.

-Evidemment.

-Fais attention à toi, OK ?

-Oui, Rash. Promis. C’est pour ça que je nous ai préparé une potion de chance. Braken est loin de s’imaginer où tout cela va nous mener. Je ne le sais pas non plus, remarque.

La fée sourit.

-Rubis et Matze profitent de leur dernière journée ensemble. C’est ça ?

-Rubis part demain par le train pour rentrer chez ses parents. Je vais la rejoindre à la gare pour un dernier au revoir. Je suis vraiment contente de l’avoir comme amie. Elle est tellement.. Bon, c’est vrai que parfois son dynamisme est épuisant, mais elle est vraiment très joyeuse.

Le sorcier riait doucement. Loënia contemplait les murs tapissés. Le marron dominait dans la demeure.

-Vous êtes vraiment un phénomène, ensemble.

-Eh bien toi et Matze aussi. Oh, je me rappelle quand il était en chat et que je n’avais pas compris que c’était un sorcier. Je l’avais vraiment pris pour un félin !

Rashnoé rit de nouveau.

-Loëne, je dois te laisser, j’ai des clients. On se rappelle plus tard ? On se voit après-demain soir, c’est bien ça ?

-Oui, au palais. Bisous.

-Je t’aime.

-Je t’aime, Rash.

Il raccrocha le premier. Elle ne put s’empêcher de regarder son téléphone quelques secondes de plus. Elle se sentait chanceuse.

Loënia sauta sur ses pieds puis s’étira. Sa potion de chance avait sûrement assez mariné. Elle quitta la pièce non sans un dernier regard pour la bibliothèque immobile. Elle reviendrait.

Elle trottina jusqu’à la cuisine. L’entrée de la pièce était un grand arche sans porte. Elle jugeait cela incroyablement moderne pour une maison de la moitié du XIXe siècle. Deux hommes sortaient de la cuisine en souriant. L'un d'eux était le vampire albinos qui avait guidé Loënia dans le manoir pour qu'elle retrouve Adrien. Elle n’aimait pas juger les gens qu’elle ne connaissait pas, mais comme il ne faisait aucun effort pour essayer de l’apprécier, elle avait décidé d’en faire autant.

Toutefois, il se tourna vers elle avec un air ravi :

-Ta boisson était délicieuse, chérie.

Elle eut envie de se frapper le visage. Evidemment, ils avaient bu la potion de chance destinée à ses amis.

-Ah.. Merci, répondit-elle bêtement.

Dès que les deux hommes furent assez éloignés, elle se précipita devant la plaque de cuisson. Elle n’avait pas pu faire sa préparation dans un chaudron car le manoir n’en possédait pas. Alors, elle avait mélangé tous ses ingrédients dans une casserole. Il ne restait plus qu’un indigent fond de potion. En plus de cela, les deux hommes s’étaient servis à boire avec la louche et non avec des verres.

Elle pesta. Elle avait envie de rappeler son petit-ami pour râler contre ses vampires, mais elle savait bien qu’il était occupé. Elle aurait pu aller parler à ses deux hommes mais elle se résolut à vider le reste de la préparation dans l’évier et de laver la casserole et la louche.

Elle espéra qu'il lui restait assez de poudre d’or pour réaliser l’enchantement. Ce dernier était d’une facilité déconcertante. Les enfants l’apprenaient jeunes car il pouvait être effectué à volonté. Les parents le pratiquaient souvent avant les contrôles de leurs progénitures. Au lycée, Raison en buvait presque tous les jours.

Loënia purifia la casserole propre avec de la feuille de sauge qu’elle faisait brûler. Elle versa ensuite le lait, le sucre et le chocolat en morceaux. Et oui, la potion n’avait pas bon goût autrement. Loënia avait acheté à Lent-sorceler tout un tas de feuilles, de fleurs et de fioles pour faire de la magie. Son petit-ami avait refusé de la faire payer mais, derrière son dos, elle avait fourré l’argent dans la caisse enregistreuse.

Une fois le chocolat chaud prêt, elle débouchonna une fiole de bonnes intentions et la versa dans le liquide chocolaté. Elle ajouta ensuite 47 grammes de poudre d’or et tourna six fois dans le centre contraire aux aiguilles d’une montre.

Cette fois-ci, elle attendrait devant la casserole pendant une heure. Mistigri l’occuperait.

Elle n’attendit pas que la potion soit prête pour trouver un tupperware. Elle se rappela des chaudrons qui trônaient fièrement autour de la cheminée de Lent-sorceler. Elle se jura d’en acheter un pour le manoir.

Une fois que la potion avait suffisamment mijoté, Loënia l’enferma dans le tupperware avec un enchantement que seule elle pouvait annuler. Elle le plaça ensuite tout au fond du réfrigérateur.

Rassérénée, elle sortit plus gaiement de la cuisine qu’elle n’en était entrée. Elle se dirigeait vers le jardin quand elle vit Malo. Le second du clan avait une barbe rousse et de nombreux tatouages sur ses bras qui ne manquaient jamais d’attirer le regard de Loënia. Il venait d’entrer dans la demeure.

– Hey, est-ce que tu aurais deux minutes à m’accorder ?

Il poussa la porte d’entrée pour la fermer et sourit à Loënia. Il portait un pantalon militaire, un t-shirt noir et un sourire pétillant de curiosité.

– Qui a-t-il ?

– Je me demandais si tu avais besoin d’une serveuse pour travailler cet été dans ton bar. Si c’est le cas, je suis là. J’ai un CV et je peux faire une lettre de motivation, assura-t-elle alors que Malo se mordillait la lèvre. Quoi ?

– Ma belle, j’adorerais te prendre dans mon bar mais c’est un bar à vampire.

– Je sais, affirma Loënia qui se tenait bien droite pour gagner en contenance.

Malo passa sa main dans ses cheveux tout en observant quelque chose ou quelqu’un derrière elle.

– Adrien n’acceptera pas. Et même s’il acceptait, c’est moi qui refuserait. (Il n’attendit pas que Loënia réponde pour continuer.) Tu n’es pas au courant mais je n’ai que du personnel vampirisé parce que, par le passé, j’ai employé des humains et ils se sont fait mordre. Ne me réponds pas que tu es une fée et que tu peux te défendre car tu es la descendante de mon meneur et je ne peux pas te faire prendre le moindre risque.

Loënia gémit en signe de protestation.

– S’il-te-pl…

– Non. En revanche, si cela te dit, je peux te préparer un bloody mary.

Il lui offrit son plus beau sourire. Loënia essaya de garder un air sérieux le plus longtemps possible mais elle craqua et finit par sourire à son tour.

– OK, pourquoi pas.

Ils allèrent tous les deux à la cuisine.

– Et une serveuse louve… Non ?

Malo partit dans un grand éclat de rire. Non, Loënia ne gagnerait pas cette partie.

Hey !

J'aime bien la fin de ce chapitre, c'est plus léger (C'est pour toi Najchou !).

Je suis en train d'écrire la fin de ce manuscrit et je bloque vraiment sur une scène. C'est frustrant.

Je vous souhaite une journée aussi délicieuse que le meilleur en-cas que vous avez un jour mangé,

Bises,

Jane Anne

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