Chapitre 24 : Tempête

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-Rubis m’en veut vraiment...

Loënia glissa sur la chaise à côté de Rashnoé et déposa le sel sur la table.

-C’est Matze qui l’a prévenu.

Rashnoé esquissa quelques gestes avec la fourchette qu’il tenait dans sa main.

-Ca me semble logique, je l’ai appelée dès que j’ai su ce qui t’était arrivé.

Loënia roula ses yeux dans leurs orbites. Qui d’autre était au courant de ce que lui avait fait subir Sajus ?

Raison, qui servait à tout le monde de généreuses parts de couscous, écoutait la discussion tout en ouvrant de grands yeux.

-Lili, tu en veux davantage ?

La réponse de Liséa fut si faible que Raison dût la faire répéter. La benjamine de la fratrie avait accepté par dépit de sortir de son antre à l’étage pour déjeuner avec ses sœurs, Amare et Rashnoé. Si elle n’avait pas mis le couvert, comme le lui avait demandé Amare parce que lui et Raison devaient se changer après avoir lavé de fond en comble l’étable de Bickie, elle avait réussi à garder son téléphone portable à table. Loënia avait bien remarqué que sa petite-sœur avait rompu tout contact avec elle. En effet, Liséa était terriblement affectée par la perte de sa mère. Elle savait qu’elle ne pouvait pas la voir davantage qu’une fois par semaine, par tranche d’une heure et avec une équipe qui écoutait et observait chacun de leurs mouvements. Liséa se sentait orpheline.

De l'autre côté de la table, Loënia remarquait que Rashnoé et Amare, qui s’étaient rencontrés dix minutes auparavant, s’entendaient à merveille. A présent, ils étaient beaux-frères. Ils échangeaient des anecdotes de fac tandis que Loënia espérait capter le regard de sa petite-soeur qui la dédaignait clairement. Loënia se sentait comme une intruse dans sa propre maison.

Rashnoé avait fait un BTS vente et l’avait obtenu haut-la-main l’année dernière tandis qu’Amare venait de terminer sa deuxième année de master en Sciences physiques. Lui, ainsi que Raison et Loënia attendaient tous trois les résultats finaux de leurs partiels. Raison allait continuer ses études en faisant un doctorat de biologie, Amare souhaitait poursuivre également, essentiellement pour pouvoir parler études avec sa petite-amie. Les résultats devaient tomber dans deux semaines.

A la fin du repas, Raison insista pour que Rashnoé et Loënia sortent dehors prendre l’air, comme le sorcier l’avait proposé au cours du dîner. Même la maison, qui craquait anormalement depuis hier soir, avait claqué d’un coup la porte derrière eux alors, ni une, ni deux, ils n’eurent d’autres choix que de s’échapper main dans la main entre les larges ruelles de Cryset.

Après avoir longé durant deux heures le bois près du palais d’Horod, ils se dirigèrent à Lent-sorceler où ils complétèrent certains rayons de pendentifs protecteurs, de pierres de lithothérapie ou encore de bijoux enchantés de toutes formes.

Loënia releva le menton pour observer Rashnoé et ses longs cheveux blonds attachés en chignon batailler, encore une fois, avec les bougies enchantées sur son comptoir. Aujourd’hui, elles n’avaient qu’une obsession : se consumer avant d’être vendues.

-Comment vont tes parents ?

La fée rangeait des fioles contenant des sortilèges bien pratiques sur une étagère hors de portée des enfants.

-Très bien, ils sont allés choisir la peinture pour la cuisine hier après-midi. Mon père m’a confié que ma mère l’a fait poireauter, lui et le vendeur, durant plus d’une heure pour qu’elle choisisse finalement du blanc cassé. Du blanc cassé, grommela-t-il, ce que c’est laid.

Il jura lorsqu’une bougie manqua de brûler ses cheveux en se glissant sur le comptoir. Loënia rit discrètement quand il lui lança un sortilège. Dans l’action, elle faillit faire tomber une fiole de sortilège du sommeil. Pour le coup, elle aurait préféré faire éclater un enchantement de quiétude.

Et pour cause, depuis qu’elle était sortie de chez elle, Loënia se sentait des plus étrange. Si elle n’avait pas réalisé d’enchantements élaborés depuis qu’elle avait recouvré la mémoire, elle avait l’impression de tout expérimenter pour la première fois. En effet, chaque plante qu’elle avait touché lui avait valu une petite décharge électrique, chaque minuscule enchantement avait échoué ou alors fonctionné mieux que la normale et chaque poils sur son corps se hérissait dès qu’elle approchait d’un objet ensorcelé. Elle se sentait mal, à Lent-sorceler où elle était entourée de magie, mais il était hors de question qu’elle se plaigne.

Une fois qu’elle eut fini son rangement de fioles, elle voleta jusqu’à Rashnoé et lui prit des mains l’une des bougies. Elle posa ses doigts au-dessus de la mèche et commença à murmurer quelques mots. Quand elle fut sûre d’elle-même, elle arrêta son incantation et reposa la bougie sur le bois lustré du comptoir. L'objet resta de marbre.

-Ça devrait les calmer pendant quelques jours.

Elle accompagna sa remarque d’un regard perçant vers les bougies qui, à défaut d’avoir des yeux, devaient ressentir les ondes agacées qui parvenaient du sorcier et de la fée.

-Au fait, reprit Rashnoé en se tourna entièrement vers la jeune femme. J’ai une question plutôt importante à te poser.

Le ton nonchalant et enjôleur de l’homme aux yeux vert fit sourire Loënia. Elle passa ses mains dans ses cheveux, feignant de ne pas comprendre.

-Ah oui ?

Il rongea les centimètres qui les séparaient et lui prit les mains. Loënia rejeta les épaules en arrière, le dos cambré d’un stress nouveau. Rashnoé n’avait qu’un côté du visage éclairé par la lumière naturelle de l’extérieur.

-Accepterais-tu de devenir ma petite-amie, Loënia Oppralin ?

Elle fit la moue, les lèvres pincées, puis arrêta soudainement de jouer la comédie. Elle sourit, d’un sourire plus franc et plus vrai que durant ces deux dernières semaines.

-Evidemment, Rashnoé Corasone, évidemment que j’accepte d’être ta petite-amie !

-Il y a de la fumée jusque dans ma chambre ! Qu’est-ce que vous avez encore fait cramer ?

Liséa descendit l’escalier, trois marches par trois marches, pour se rendre à la cuisine. Amare et Raison avaient pris l’habitude de cuisiner ensemble or, si l’aînée des Oppralin étaient une cheffe, le loup ne savait pas se servir de la plaque de cuisson… ou même d’une passoire.

-Ils voulaient faire des galettes.

Liséa passa devant Loënia, qui revenait du salon avec Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, sans même la regarder.

Raison et Amare étaient en train d’ouvrir toutes les fenêtres du rez-de-chaussé avant que l’alarme incendie, installée à l’étage supérieur, ne se déclenche. Loënia et Liséa fixaient Amare avec incrédulité. Lui, en deuxième année de master de physique, n’avait pas réussi à faire des galettes sans les brûler. Ce dernier adorait se lever à six heures trente dans le but d’aller courir tous les matins. Loënia se levait au moins deux heures plus tard et elle ne le croisait qu’après qu’il ait pris sa douche. Il était beaucoup plus réveillé qu’elle.

-Que s’est-il passé ? Surveiller des crêpes, il y a plus compliqué, tout de même !

Liséa se posta devant le bilig et fronça les sourcils en constatant le tas informe et noir qui fumait toujours dessus.

Raison lança un regard courroucé à Amare qui, malgré sa taille et son poids imposant, semblait effrayé par la fée.

-Je ne comprends pas, je suis resté devant le bilig, je t’assure !

-Ce n’est pas un drame… S’apprêtait à dire Loënia quand l’alarme à incendie se déclencha.

Raison leva aussitôt la main, fit danser ses doigts. Une fois son enchantement posé, l’alarme incendie s’arrêta de hurler.

Merci, souffla Loënia. Je peux m’occuper des galettes, si vous le souhaitez.

Liséa lança un regard mauvais à sa grande-sœur. Depuis qu’Ambatine, leur mère, était enfermée en prison, Liséa refusait toute nourriture préparée par Loënia. C’était très problématique car Loënia cuisinait au moins une fois par jour. En effet, elle ne sortait plus beaucoup, puisque les cours étaient terminés. Depuis son agression, elle essayait de réduire ses sorties au maximum. Elle faisait juste des efforts pour rencontrer Rashnoé ou Rubis.

-Je vais les faire, affirma Raison en grattant le bilig avec la spatule à crêpe. Chou, tu pourrais aller me chercher des œufs au magasin ? Nous n’en aurons pas assez pour le déjeuner.

Amare, tout penaud, s’en alla donc pour le super-marché local.

Liséa se détourna vers l’escalier, grogna et bouscula Loënia. Cette dernière feula en retour et saisit le bras de sa sœur pour la maintenir en place.

-Ce n’est pas ma faute si maman est en prison !

Les cheveux de Liséa se hérissèrent sur sa tête. Elle tentait de se défaire de l’emprise de sa sœur en lui griffant le visage.

-Lâche-moi, pouffiasse ! Ce n’est même pas ta mère !

-Parce que tu crois qu’elle est davantage la tienne ?

Liséa et Loënia reculèrent précipitamment, la première se cogna le dos au mur de la cuisine tandis que la seconde se prit les pieds dans une chaise. Dans un même mouvement de tête, elles se tournèrent avec stupéfaction vers Raison qui les toisait de toute sa hauteur.

-Qu’est-ce que tu fous ? Exulta Liséa.

-Arrête de parler comme si tu étais avec tes amis, la reprit Raison. Si vous voulez vous disputer, c’est dehors ! La maison va s’énerver sinon. De surcroît, ajouta-t-elle plus fort en voyant Liséa battre en retrait vers l’escalier, nous allons à quinze heures voir Horod alors vous avez intérêt à être présentables !

La grande-soeur tourna le dos vers la préparation de pâte à galette. Loënia et Liséa échangèrent un regard haineux.

-Dis-moi ce que tu me reproches.

Loënia croisa les bras sur sa maigre poitrine.

Liséa fulminait. Ses cheveux couleur jais si lisses étaient aussi désordonnés que le grenier de la famille. Elles quittèrent la cuisine pour le couloir. Elles étaient tout près de la porte d’entrée. Liséa se tourna, pas par pas, vers sa sœur.

-Tu n’es même plus une vraie fée.

Liséa et Loënia se regardèrent longuement, comme deux chiens de faïences reliés par un fil de plomb, comme si l’une était entrée sur le territoire de l’autre.

-Je suis toujours une fée. Je continue à pratiquer la magie de la même façon. Seul mon tatouage a changé de couleur.

Liséa souffla, comme si elle se retenait de prononcer quelques mots, comme si elle hésitait à enfoncer le clou, à laisser ses émotions s’écouler ou à se taire.

-Elle m’aime toujours. Quand je vais la voir, dans la cave qui lui sert de prison… Elle n’est qu’amour.

Une boule se forma dans la gorge de Loënia.

-Elle demande des nouvelles de vous. Même d’Amare et de Rashnoé. Putain, elle est bloquée dans une prison et… Je sais bien ce qu’elle a fait, OK ? À nos parents, je veux dire. Bien sûr que je suis au courant. Toutes les fées de France et d’Europe le savent, maintenant. Peut-être même celles qui vivent aux Etats-Unis aussi… Enfin, on s’en fout. Mais elle reste ma mère, qu’elle ait tué mes parents ou non.

Loënia hocha la tête. Elle comprenait sa sœur, au moins en partie. Loënia, au moins, connaissait le prénom de sa mère. Elle avait même retrouvé son arrière-arrière-grand-père et elle pouvait lui parler.

-Je sais que tu m’en veux d’avoir condamné notre mère à la prison et je crois que tu as raison ; elle t’aime. Elle nous aimait. Mais elle n’avait pas toujours le comportement le plus adapté pour nous le montrer.

Etrangement, c’est à ce moment-là qu’Amare franchit la porte d’entrée. Il resta un instant à considérer du regard les deux fées. Peut-être qu’il se demandait s’il pouvait passer entre elles sans se faire électrocuter. Loënia soupçonna que Raison, la nouvelle maman auto-proclamée de la demeure, avait éloigné son petit-ami pour qu’il évite d’entendre leur dispute.

-J’ai trouvé des oeufs. J’ai aussi acheté du chocolat.

Raison apparut si vite qu’elle fit sursauter Loënia.

-Formidable ! Aller, tout le monde dans la cuisine, les galettes seront bientôt prêtes !

Heyyyyyyyyyyy

J'adore écrire des scènes de groupes. Même en ayant réécrit la scène de dispute entre Loënia et Liséa, je trouve qu'elle manque de fluidité.

J'aime beaucoup Amare (d'ailleurs, en espagnol, son prénom signifie amour).

Bisous !

Jane Anne

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