Chapitre 22 : Coagulé

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Elle ne pouvait plus respirer, plus bouger, plus parler, plus voir. Elle se sentait défaillir et se perdre dans les méandres des sinueuses voix qui l’entouraient. Elle ne parvenait plus à identifier les odeurs qui l’entouraient, à ressentir les cailloux de la cour sous sa nuque, ni le vent froid qui frappait ses joues à chaque sortie dans le jardin. Qui était en train de s’agiter et de parler autour d’elle ? Pourquoi ne pouvaient-ils pas la laisser partir en paix ?

Loënia tenta une énième fois de remuer et -Ô ! Miracle !- elle réussit à dégager sa main de ce qui l’entravait. Elle voulut gémir mais sa gorge était comme bloquée par quelque emprise maléfique. Elle aurait aimé jeter un enchantement mais elle n’en avait ni l’envie, ni la force, ni les capacités mentales et ce ne serait-ce pour aligner deux pensées cohérentes.

La peur, l’incompréhension et ses pires cauchemars empêchaient chacun de ses mouvements, chacune de ses pensées et toute once d’espoir. Alors, dans un bref élan de lassitude et d’abandon, elle se laissa aller, et se rendormit encore une fois.

***

Raison s’efforçait de réchauffer le corps de sa sœur grâce à ses pouvoirs magiques.

L’aînée, Adrien de Val et Loënia étaient dans la chambre de cette dernière. Après le procès d’Ambatine Oppralin qui la jugeait coupable des meurtres des parents biologiques de ses enfants adoptifs, Raison et Liséa étaient immédiatement rentrées chez elle. Seule Loënia était restée dehors pour réfléchir. L'aînée n’aurait jamais pu songer que sa petite-soeur se ferait agresser et blesser par une arme blanche.

Les murs orangés et les draps roses mettaient en exergue le teint exsangue de la blessée. Adrien, penché sur elle, lui faisait boire son sang depuis son poignet. Raison, de l’autre côté du lit, avait placé ses mains sur un des bras de sa sœur et récitait toutes les minutes voire plus, le même enchantement, les mêmes paroles, pour donner envie à Loënia d’ouvrir les yeux.

C’étaient des hurlements que Liséa, la première, avait entendus. Des appels à l’aide répétés, désespérés, dépourvus d’espoir. Les deux fées avaient alors accouru à la porte d’entrée, leurs doigts enchantés prêts à riposter contre un ennemi potentiel.

Elles avaient dû plisser les yeux pour percevoir l’amas de corps et de sang sur les graviers de la cour. Raison avait alors dévalé les marches du perron tandis que Liséa, choquée plus qu’il ne l’était nécessaire dans une vie, battait en retraite à l’étage. Raison, une fois à son niveau, lâcha un hurlement. Elle était aussi choquée par le sang que par la présence d’Adrien de Val près de sa petite-soeur.

Le visage, les mains, le ventre de Loënia étaient baignés de sang. Un couteau taché de pourpre reflétait la lumière artificielle des lampadaires de la rue. La robe qu’elle portait était déchirée de ses seins à ses cuisses.

Quand Raison s’était accroupie près de sa cadette et qu’elle avait éloignée les mèches de cheveux de son visage, le froid de sa peau l'avait frappé. Loënia devait être en hypothermie.

-Je devais venir ici après le jugement pour discuter avec elle… De l’autre bout de la rue, où j’ai garé ma voiture, j’ai senti l’odeur de son sang. Je l’ai tout de suite reconnue, elle a la même odeur que son père mais…

Raison ne l’écoutait plus. Elle regardait le vampire verser son propre sang sur la plaie au ventre de Loënia. Cette dernière ne réagissait pas. Ne réagissait pas. Ne réagissait pas.

-Il faut l’amener à l’intérieur. On peut la bouger ?

Adrien osa un regard vers l’étudiante en biologie.

-Il le faudra bien, il doit faire zéro degré et je ne sais pas depuis combien de temps elle est là. Je peux la porter tout seul, lui assura-t-il.

-Sa chambre est à l’étage.

A cause du froid qui avait saisi ses membres, Raison se releva difficilement. Elle se dévissa le cou pour observer son jardin. Elle remerciait la commune d’avoir mis des lampadaires dans cette ruelle de Cryset, ils éclairaient tout le jardin.

Tout en regardant les sapins, elle se demandait si le meurtrier était encore dans le coin. Cela aurait été idiot de sa part, Adrien aurait pu l’entendre, le repérer et peut-être le maîtriser. Raison remit aussitôt cette hypothèse en question. Adrien semblait perturbé. Doux euphémisme.

Elle ne l’avait rencontré officiellement qu’au jugement d’Ambatine -jugement qui promettait de rester dans les annales et dans les discussions pendant un certain temps. Raison avait entendu parler d'Adrien, des meurtres de fées, de sorciers et d’humains qu’il commanditait grâce à son clan de vampires. Elle se posa encore la même question, comment Loënia avait-elle pu dormir chez lui ?

Adrien plaça lentement son bras sous le dos de Loënia et le second sous ses genoux. Il la souleva comme on soulève un chiot. Il fixa Raison. Elle se ressaisit assez pour courir jusqu’au pérron et ouvrir la porte d’entrée, avant que son esprit ne parte à vau-l'eau.

Ils furent englobés par la chaleur du hall doré. Raison posa un instant son regard sur le radiateur en fonte à la peinture irrégulière avant de marcher à pas pressé jusqu’à l’étage. Elle ouvrit la porte de la chambre de Loënia, alluma la lumière dans la volée et tira les draps roses. Adrien déposa aussitôt Loënia tel un oiseau dans son nid. Raison courra à l’autre bout du lit et s’y assit.

-J’ai répandu mon sang sur sa blessure, indiqua le vampire, mais elle cicatrise trop lentement.

-Ce qui veut dire ?

-Je vais lui faire boire de mon sang. Son cœur bat trop lentement, j’ai peur qu’elle…

Aucun mot n’était nécessaire.

Maintenant à la lumière, Raison voyait les lèvres bleutées de sa sœur et l’hémoglobine comme elle n’en avait jamais observé. Elle n’avait jamais vraiment apprécié les films d’horreur, elle se rappelait maintenant pourquoi. Au moins, la cadette ne saignait plus.

Alors faîtes, ordonna Raison, je vais la réchauffer avec un sortilège. On s’occupera après de tout ce sang.

Raison essayait tout de même de ne pas trop le regarder.

-Loënia, lui enjoignit Adrien, Loënia.

Le vampire lui tapotait la joue. Par manque de réponse et de patience, il se résolut à laisser tomber. Il s’assit également sur le lit, posa la tête de sa nièce sur sa cuisse, fendit son poignet d’un coup de canines et entreprit de lui faire boire son sang. Le sang, pour la plupart, glissait sur le menton de la fée sans qu’elle ne l’avale. Raison eut un haut-le-cœur. Elle respira un coup puis reprit ses incantations.

C’est ainsi que Raison se retrouva, près de deux heures après, à veiller sur sa sœur toujours inconsciente. Elle était allée chercher un gant de toilette pour lui laver le visage et les mains, mais elle n’avait réussi qu’à étaler le sang. Loënia n’aurait qu’à prendre une douche après son réveil, ce qu’elle ne manquerait pas de faire, comme chaque matin. L’aînée - après s’être assurée que Liséa se portait bien ou, du moins, supportait la situation - avait commencé à caresser les cheveux de sa sœur. Elle aurait aimé marcher dans la pièce, au moins pour se dégourdir les jambes, mais Adrien longeait la chambre toutes les demi-secondes. Dès qu’il avait jugé l’état de Loënia stable, il avait téléphoné à son bras-droit, un certain Malo, pour qu’il encercle la maison de ses gardes. Raison se rappelait exactement quels mots il avait employés pour définir la situation “une tentative de meurtre”. Elle avait également saisi le rétrécissement de ses yeux d’homme en ceux d’un lynx, comme elle avait senti sa mâchoire se contracter et l’atmosphère s’électriser.

Raison s’interrogeait sur le nombre de vampires et vampiresses qui entouraient la demeure. Combien d’hommes comptait le clan d’Adrien de Val ? Cependant, Raison n’eut pas plus le temps de se poser la question que Loënia remua et se jeta sur son flanc.

Rien d’inhabituel, Loënia bougeait beaucoup en dormant. Les trois sœurs se disputaient à ce sujet, particulièrement lorsqu’elles partaient en vacances, quand il fallait partager le lit. Nombre de fois, Raison ou Liséa avait reçu un coup de bras sur le nez, ou pire, elles s’étaient faites écraser pendant leur sommeil.

Adrien s’était tout de suite tourné vers la fée encore endormie sur son lit. Il n’y aura pas d’oraison de prononcée cette semaine.

Loënia, les bras sous son coussin, gémit avant d’ouvrir les yeux. La première chose qu’elle vit fut sa grande-soeur et ses lunettes rondes. Elle se releva sur son coude, l’air perplexe, avant de comprendre ce qu’il s’était produit. Elle ressentait le couteau enfoncé en elle et elle percevait le regard sans pitié de son voisin, un homme qui avait toujours vécu près d’elle, qui l’avait vu grandir.

Loënia avait presque souri à sa sœur avant de comprendre, de voir son sang sur ses mains, sur ses draps, sur sa robe en lambeaux. Elle hurla et recula précipitamment mais Adrien, vif comme un lièvre, avait posé une main réconfortante contre son dos autant pour l’arrêter que pour l’empêcher de tomber du matelas. La fée effarouchée sursauta et se cogna le coude au châlit de métal.

-Tout va bien, Loënia.

Adrien s’était exprimé calmement, d’une voix pleine de chaleur que Raison n'avait jamais entendue jusque-là. Au fur et à mesure que Loënia revenait à elle et comprenait tout ce qui lui était arrivés, les larmes montèrent dans sa gorge, puis jusqu’à ses yeux et coulèrent finalement sur ses joues. Ses épaules tendues saillaient et frémissaient sous sa robe.

Sajus. C’est Sa… Sajus.

Leur voisin, ami et collaborateur d’Ambatine, n’avait jamais été retrouvé à temps pour son procès prévu le même jour que celui d’Ambatine. Les fées-soldats d’Horod le recherchaient activement depuis que tout le monde savait qu’il avait effacé la mémoire de Loënia.

La fée posa sa main sous son sternum, à l’endroit exact où elle avait été empalée.

-C’est lui qui t’a blessé ?

Toute chaleur avait quitté la voix du vampire. Loënia acquiesça, revoyant en pensée les yeux fous, le crâne chauve et les épaules voûtées de son voisin.

Adrien saisit son téléphone et regarda Raison.

-Quel est son nom de famille ?

-Breton., répliquèrent les deux sœurs.

Adrien composa un numéro.

-Malo, c’est Sajus Breton. Retrouve-le.

Si Raison remarqua que le vampire n’avait pas précisé s’ils devaient le retrouver vivant ou mort, elle était préoccupée par sa petite-soeur qui restait fixer ses mains pleine de sang coagulé.

-Est-ce que tu as mal quelque part ?

Loënia secoua imperceptiblement la tête de droite à gauche.

-Est-ce que tu veux que je t’aide à prendre une douche ?

Cette fois-ci elle accepta à coups de petits hochements de tête.

Loënia se leva seule, sous les regards vigilants de ses deux gardes. Elle avançait pas par pas en regardant le parquet brun. Elle était vaguement surprise de marcher sans chanceler. Elle frôla du bout de sa main droite l’encadrement de la porte de sa chambre. Elle entendit Raison remercier Adrien. Une fois dans le couloir, suivie de Raison, elle réalisa qu’elle était presque nue. Elle accéléra le pas pour rejoindre la salle de bain, si bien qu’elle faillit fermer la porte au nez de sa sœur.

-Je vais t’aider à te laver, si tu veux bien. Ça me rassurerait beaucoup de ne pas te laisser seule.

Les cheveux crépus de Raison étaient plus ébouriffés qu’à l’habitude. Loënia fut surprise d'avoir la présence d'esprit de le remarquer à un moment pareil.

-Ça me va.

Loënia connaissait les capacités d’oratrice de Raison et elle n’avait pas la force d’argumenter ce soir.

Raison ne mentait pas. Elle avait fait couler l’eau chaude dans la baignoire, mis un gel douche mousseux dans l’eau, allumé des bougies - que Loënia avaient achetées à Lent Sorceler), sorti des serviettes propres, un gant de toilette, des vêtements propres dans un temps record et cela toute seule.

Pendant ce temps, Loënia était restée obnubilée par tout ce sang sur son corps. Des marres de sang coagulées couvraient ses hanches et ses abdominaux. Ses doigts étaient constellés de taches bordeaux, des rainures de ses mains aux interstices de ses ongles. Le pire, le pire pour la jeune femme, était de voir l’hémoglobine répendue sur son visage, sur sa propre mâchoire. Les gouttes séchées formaient des sillons le long de son menton et jusque dans son cou. Comme si elle était un vampire. Comme si elle était l’agresseur.

Elle retint un nouveau sanglot. Elle n’avait pas réalisé qu’elle était si prête à craquer, encore. En deux mouvements, elle avait retiré sa robe. En trois de plus, elle était totalement nue.

Avec l’aide de sa sœur, elle se hissa dans la baignoire et plongea doucement son corps dans l’eau chaude. Les deux sœurs ne dirent rien jusqu’à ce que Loënia fut habillée en pyjama.

-Liséa ? Demanda Loënia.

-Dans sa chambre. Elle digère tout ça. Je l’ai informé que tu allais bien.

Heyyyy !

Comment allez-vous ?

A chaque fois que je corrige un chapitre, j'ai l'impression de retrouver un vieil ami. Parfois j'arrive même à me faire rire moi-même. (Ma soeur trouve que j'ai un humour nul, personnellement, je ne trouve pas).

Bref, que pensez-vous de ce chapitre ?

Je vous embrasse,

Jane Anne

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