Prologue

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« Est-ce que Firo va bien ? »

Daro se tourna vers l’entrée de la pièce. Sa femme et lui avaient construit le souterrain de leur maison de sorte que les deux chambres, séparées par un étroit couloir, se trouvaient bien l’une en face de l’autre. Ainsi, depuis sa position, il eut simplement à se redresser pour apercevoir le petit lit dans lequel son fils était profondément endormi. Un sourire attendri aux lèvres, il revint au chevet de sa bien-aimée pour la rassurer :

« Rien ne viendra perturber son sommeil, j’en suis convaincu. Il a totalement adopté son nouveau petit nid douillet.

— Ce n’était pas gagné, plaisanta Merlane en serrant les dents. J’ai cru qu’il n’allait jamais supporter de dormir seul. Il y a une semaine encore, il était tout le temps accroché à mon cou.

— Au mien aussi, renchérit Daro en riant. C’est une petite victoire pour nous. J’espère simplement que lorsque son petit frère le rejoindra dans sa chambre, ce changement aussi se fera sans accroc. »

Une contraction vint soudainement ébranler Merlane. Elle se raidit de douleur et haleta au point de purger entièrement ses poumons de leur air. Ne sachant pas vraiment comment la soulager, Daro lui offrit instinctivement ses mains, qu’il sentit immédiatement se faire broyer par la poigne de son épouse. Lorsque les doigts de sa femme se desserrèrent et que toute tension dans son corps disparut, Daro demanda, inquiet :

« Tu es sûre que tu ne veux pas que j’aille chercher un médecin ? Je sais qu’Alapos est un petit village, mais peut-être avons-nous été mal informés…

— Non, tu le sais bien, grogna-t-elle. On s’est renseignés, et nous sommes les seuls de la région à venir de Caroma et y avoir fait des études. Nous savions ce que nous risquions en achetant ces champs et en choisissant cette vie plus… modeste. En plus, la Fournaise sera sur nous demain matin, personne ne prendra le risque de se déplacer sur de grandes distances.

— Je sais, mais…

— Tu es celui en qui j’ai le plus confiance pour m’aider à accoucher, le coupa Merlane alors qu’une vive douleur commençait à la submerger à nouveau. »

Soudain, des vibrations se firent ressentir à travers le plancher de la petite pièce, effaçant le sourire amoureux qui était né sur le visage des époux. Le phénomène s’intensifia rapidement jusqu’à secouer l’entièreté de l’habitation, avant de s’interrompre brusquement. Malgré l’épaisseur des murs de leur maison, le couple put distinguer les bruits de tonnerre et les hurlements stridents qui s’ensuivirent.

À contrecœur, Daro se sépara de sa femme pour aller inspecter le reste de la bâtisse. Il avait cru reconnaître certains des cris qui avaient été poussés, et il redoutait de découvrir que quelque chose de terrible était arrivé au village. Alors qu’il se précipitait dans le couloir, des scénarios morbides et des hypothèses délirantes envahirent son esprit. Pourquoi un tel vacarme ? Pourquoi une telle panique ? La Fournaise était-elle arrivée plus tôt que prévue, surprenant ainsi tous les habitants d’Alapos ? Son cycle de quatre mois était pourtant connu depuis longtemps et avec une grande précision. Et les vents brûlants qui la caractérisaient n’émettaient pas des sons aussi lourds et profonds que ceux qui avaient ébranlé tous les murs de la maison.

Par réflexe, Daro se tourna néanmoins en direction des escaliers se trouvant au fond du couloir. Ceux-ci donnaient sur une vieille porte en bois qui séparait le sous-sol de la maison du reste du réseau de galeries. Ce vaste système de tunnels permettait de relier toutes les habitations du village et constituait de véritables rues et ruelles alternatives. Le tout avait été aménagé au sein de grottes naturelles étroites et, pendant les périodes de passage de la Fournaise, les souterrains servaient d’abri et de grange pour la communauté d’agriculteurs qui composait la majorité de la population d’Alapos.

Daro espérait entendre des voix, des pas précipités, ou n’importe quelle autre source de bruits qui aurait révélé une présence humaine derrière cette porte. Il espérait que, peu importe la catastrophe qui semblait avoir frappé Alapos, certains villageois avaient pu trouver refuge dans les souterrains. Mais les seuls sons qu’il percevait encore provenaient indubitablement de l’extérieur.

Le jeune père traversa d’un pas angoissé la modeste salle principale de son logis. La pièce, dépourvue de fenêtres afin de protéger ses résidents des forces naturelles destructrices à l’œuvre sur la planète, était plongée dans une douce pénombre. La cheminée, que Daro avait lui-même construite à l’aide d’un astucieux système permettant de filtrer les émanations extérieures, était constamment éteinte durant cette période, la chaleur transportée par les vents brûlants de la Fournaise étant déjà étouffante. Néanmoins, pendant le Calme, l’âtre offrait une ambiance douillette lors des nuits les plus fraîches. Mais pour cette soirée, la pénombre était seulement percée par les quelques lampes disposées sur l’humble mobilier, éclairant ainsi d’une lumière timide les meubles en bois brut.

Daro atteignit finalement la lourde porte en pierre gardant l’entrée de la maison. Il souleva le loquet et tira sur le battant en usant de tout son poids pour faire pivoter l’épais morceau de rocher. Un air chaud et un ciel rougeoyant vinrent l’accueillir lorsqu’il posa son pied à l’extérieur. Alors qu’il se tenait sur le palier, il eut le temps d’apercevoir les derniers rayons d’Orlaïli disparaître derrière l’horizon. Il ne restait désormais plus que la lueur torride des rubans célestes que formait la Fournaise pour illuminer le chemin de terre menant à sa maison. Celle-ci avait la singularité d’être implantée au sein d’un bloc de roche fréquemment recouvert de mousse, lequel était situé à plusieurs dizaines de mètres du reste du village. Seule la bâtisse de son voisin, actuellement abritée sous quelques petits arbres, lui tenait compagnie de l’autre côté d’un bout de champ.

Daro dut plisser les yeux pour tenter de discerner une anomalie entre les modestes bâtiments regroupés autour du Palais Rouge. Et, rapidement, il aperçut ce qui avait créé une panique générale dans le village. Au milieu de la grand-place, là où devait se trouver un espace habituellement vide, une masse argentée titanesque dépassait au-dessus des solides toits des habitations d’Alapos. Encastrées dans cette structure cauchemardesque, deux grandes torches de lumière bleue se distinguaient entre les murs des bâtisses. Ces énormes phares, vomissant leur clarté froide et aveuglante en un tourbillon infernal, révélaient des ombres à forme humaine lorsque celles-ci passaient furtivement devant.

Et, alors qu’il essayait de donner un sens à cette scène invraisemblable, Daro fut distrait par des tintements métalliques. Au travers de buissons qui obstruaient son champ de vision, il parvint à apercevoir le miroitement d’armures cuivrées se déplaçant sur le sentier. Bientôt, des étrangers apparurent sur la route, blindés de leurs cuirasses et armés de lances et d’épées. Ils étaient en train de se rapprocher.

Après un bref instant d’hésitation, Daro céda à la même angoisse qui avait animé ses concitoyens quelques minutes plus tôt. Il se précipita bruyamment à l’intérieur de son logis et se rendit dans sa chambre. Il y fut accueilli par les yeux emplis d’inquiétude de Merlane, toujours inconfortablement allongée dans le lit. Sans prendre le temps de lui expliquer ses pensées ou la situation, le jeune époux lui fit signe de ne faire aucun bruit. Il ouvrit ensuite l’une des armoires à linge et en retira toutes les couvertures qu’il put y trouver, avant de les lancer sur le corps tremblant de sa femme. Sans reprendre son souffle, il remonta en courant les escaliers et se dirigea vers la porte d’entrée, toujours grande ouverte. Mais à l’instant où il posa une main sur le battant pour le pousser, une force prodigieuse s’opposa à son mouvement. Deux ombres féroces s’étaient lancées contre la porte et leurs poings se fracassèrent dessus, à quelques centimètres à peine du propriétaire des lieux. Sans adresser la moindre parole ou attention à son égard, elles pénétrèrent dans la maison et commencèrent à en inspecter chaque recoin.

Après avoir remis ses idées en place, Daro se tourna vers les deux militaires qu’il accueillait contre son gré. L’un d’eux, du haut de sa forte carrure, se tourna vers lui et sembla jauger son hôte. Son expression ne se voulait probablement pas menaçante, et pourtant sa gueule carrée, ses sourcils boursouflés et sa mâchoire proéminente avaient de quoi impressionner.

Alors que son subordonné continuait la fouille de la pièce, il finit par prendre la parole avec une voix étonnamment douce :

« Veuillez excuser notre impolitesse, nous aurions préféré avoir une autre approche avec les habitants de ce village. Sachez que nous ne vous voulons aucun mal.

— Et qu’est-ce que vous voulez, alors ? grogna Daro, méfiant.

— Eh bien, justement, nous cherchons à vous connaître, continua avec bienveillance le soldat. J’aimerais savoir quels sont vos nom, âge et profession.

— Vous d’abord.

— Très bien. Je m’appelle Kusle, je suis le capitaine de mon régiment et j’ai trente-neuf ans. Ai-je prouvé ma bonne foi ?

— Vous êtes un Darklidian, n’est-ce pas ? »

Cette simple question eut l’effet d’un choc électrique sur le gaillard. Hagard, la bouche à demi ouverte, ses neurones mirent un temps considérable à assimiler l’information que le fermier venait de lui lancer à la figure. Il avait suffi d’un seul mot pour lui faire perdre ses moyens ; un seul mot, qui avait pourtant d’incommensurables implications.

« Comment connaissez-vous ce nom ? bredouilla Kusle.

— Je ne suis pas originaire d’Alapos, révéla sobrement Daro. Je viens de Caroma. Et il m’est arrivé de visiter d’autres villes aux alentours. Donc je sais ce que vous faites un peu partout sur Floshrun. Ce n’est pas la première fois que je vois l’un de vos vaisseaux atterrir quelque part sur notre planète pour enlever des personnes qui n’ont rien demandé. Alors évitez de me resservir les mensonges auxquels j’ai déjà eu droit avec vos compatriotes, ça nous fera gagner du temps. Et vu votre erreur, vous allez en avoir besoin.

— Je… »

Le capitaine Kusle n’acheva pas sa phrase. Il devait se rendre à l’évidence : il pensait avoir affaire à des paysans ignares et dociles sur cette planète, mais celui qui avait le plus à apprendre, c’était lui. Il allait devoir user de manières plus douces pour accomplir sa mission s’il ne souhaitait pas souffrir de cas de conscience dans le futur. Et ce Floshien l’intriguait désormais par sa culture et son assurance.

Soudain, alors qu’un sentiment d’empathie subjuguait ses autres émotions, les derniers mots de Daro résonnèrent dans l’esprit du capitaine.

« De quelle erreur parlez-vous ?

— Vous êtes arrivés quelques heures à peine avant le passage de la Fournaise, avoua Daro, un sourire satisfait se devinant aux coins de ses lèvres. Je doute que quiconque accepte de vous héberger ici, alors il va falloir vous presser de partir.

— Je… hésita le capitaine, totalement perdu. Excusez-moi, c’est la première fois que je viens sur cette planète. Qu’est-ce que la Fournaise ?

— Vous auriez dû vous renseigner, souffla le fermier. Il s’agit d’un phénomène atmosphérique qui rythme notre vie, ici, sur Floshrun, selon un cycle de quatre mois. Tous les soixante jours, la surface de la planète est balayée par des vents brûlants qui détruisent quasiment tout sur leur passage.

— Je vois, réfléchit Kusle. C’est donc cela, ces lueurs étranges qui tapissent le ciel… Votre planète me paraissait pourtant tout à fait accueillante, et ses paysages, si vous me le permettez, sont luxuriants. Comment est-ce possible que tout soit périodiquement ravagé dans ce cas ?

— Eh bien, heureusement, la végétation est particulière ici, et elle repousse très rapidement pendant le Calme, après la période de Fournaise. Mais en ce qui concerne les animaux sauvages et les humains, seules deux solutions existent pour survivre : fuir et adopter un mode de vie continuellement nomade, ou s’installer et se cacher sous terre le moment venu. »

Un cri désagréable vint brusquement interrompre le dialogue. C’étaient les pleurs d’un nourrisson. D’abord surpris, Kusle adopta rapidement un air grave, dévisageant Daro dans un silence tendu.

« Vous avez un enfant ? questionna-t-il simplement. »

Aucune réponse ne suivit. Le père était pétrifié de peur, incapable de bouger ou parler. Ce ne fut que lorsque le Darklidian se décida de suivre les sons stridents qui menaient à la chambre du petit que Daro trouva la force de lui emboîter le pas. Ou plutôt était-ce un simple réflexe, la terreur et les idées sombres ayant désormais paralysé toutes ses capacités de réflexion.

Les deux hommes descendirent rapidement les escaliers menant à la pièce dans laquelle le bébé s’affolait. Celle-ci était plongée dans l’obscurité, seulement éclairée par des lumières extérieures peinant à atteindre le berceau. Cependant, Kusle parvint tout de même à discerner de nombreux détails dans la petite pièce. Des jouets en bois et en laine étaient éparpillés sur le tapis recouvrant l’entièreté du sol, et les quelques meubles installés contre les murs étaient submergés de minuscules vêtements et de produits de soins. Bien en face de l’entrée, un cocon couvert de draps fins et de coussins cotonneux semblait s’agiter tout seul.

Kusle s’approcha du petit lit et souleva délicatement le bébé qui s’y trouvait sous les yeux affolés de son père. Daro s’attendait à ce que son hôte violente son fils, et tous ses muscles s’étaient contractés pour bondir sur l’ennemi au moindre signe d’agression. Peu importe que son adversaire fasse deux fois son poids, qu’il soit armé ou qu’il puisse se faire secourir par tout un bataillon de renforts : il ne permettrait jamais que l’on fasse du mal à Firo.

Et pourtant, à sa grande surprise, son garçon commença à se calmer lorsque Kusle le plaça au creux de son bras velu. Le berçant légèrement, il fut satisfait de constater que le père comme son enfant commençaient à être rassérénés. Il en profita donc pour examiner davantage le nourrisson qui se rendormait petit à petit. L’enfant était assez rondouillard, et une crinière de cheveux clairs ornait déjà le sommet de son crâne. Mais ce qui concentra toute l’attention du capitaine fut la tâche rouge se devinant sous le pyjama dans lequel était enroulé le garçon. Kusle tendit les doigts de sa main libre au-dessus des yeux du petit être, lequel s’empressa de les saisir pour tenter de les mâchouiller. Grâce à cette distraction, le Darklidian put légèrement abaisser le col de l’enfant, ce qui révéla totalement le tatouage écarlate incrusté à la base de son cou. Le dessin représentait simplement une flamme, assez ronde en son cœur et s’étendant vers le haut en épaisses excroissances rougeoyantes.

Kusle patienta quelques minutes, le temps que l’enfant se rendorme contre lui. Il le redéposa ensuite au creux de son lit, avant de finalement se tourner vers son père, l’air inquiet. Il avait trouvé ce qu’il était venu chercher, et pourtant, rien n’aurait pu autant le décevoir et l’attrister.

« C’est un charmant garçon que vous avez-là, commenta-t-il dans un murmure. Comment s’appelle-t-il ?

— Firo, répondit Daro, alors que son corps était toujours inhibé par la tension.

— Et quel âge a-t-il ?

— Il va avoir dix mois. »

Kusle prit son menton entre ses énormes doigts, l’air profondément pensif. Il attendit une nouvelle fois que son interlocuteur arbore une expression moins effrayée, puis il prit une grande inspiration en lui tapant sur l’épaule.

« Daro, je ne devrais pas faire ça, mais… commença-t-il, hésitant. Et puis tant pis, je pense qu’on vous doit bien cela. Je vais vous révéler l’objectif de notre mission ici. Cependant, avant cela, savez-vous ce que signifie le symbole que porte votre fils sur sa poitrine ?

— Non, je n’en sais rien, avoua le Floshien, quelque peu penaud. Je pensais qu’il s’agissait d’une sorte de tâche de naissance étrange. Tout ce que je sais, c’est que ce n’est ni le seul, ni le premier à posséder quelque chose de ce genre. Rien qu’à Alapos, il doit y avoir une vingtaine de personnes qui ont aussi une marque.

— Oui, ça, nous le savons, trancha Kusle d’un ton grave. Ce tatouage est en réalité une marque de dragonnier. Et nous sommes venus sur Floshrun pour emmener toutes les personnes que nous pourrons trouver possédant cette marque. »

Une nouvelle fois, le corps tout entier de Daro se figea, et son teint pâlit jusqu’à devenir blême. La simple méfiance envers son invité indésiré s’était métamorphosée en terreur effrénée.

Kusle s’attendait évidemment à une telle réaction de sa part, et il s’empressa de compléter :

« Je n’emmènerai pas Firo avec moi. Jamais je ne séparerais un père de son unique petit garçon. Et de toute façon, il est encore trop jeune.

— Trop jeune pour quoi ? essaya de se ressaisir Daro. Que faites-vous aux personnes que vous embarquez ?

— Je ne peux malheureusement pas vous le dire. Je peux seulement vous faire une promesse : je m’assurerai personnellement qu’ils soient tous bien traités. »

Kusle aurait voulu développer davantage son point de vue, mais il n’en avait pas le droit. Il en avait même déjà beaucoup trop dit.

Ce fut un cri bref et étouffé qui vint définitivement le sauver de son honnêteté et sa tendance à bavarder. Le capitaine se retourna brusquement, percutant presque le berceau dans son mouvement. Il ne l’avait pas remarquée en se rendant dans la chambre de l’enfant, mais une autre pièce se trouvait juste en face, elle aussi très peu éclairée. Seules les ombres des meubles constituaient un relief à peine discernable dans les ténèbres. Et, alors que Kusle, toujours talonné par Daro, s’avançait dans la profondeur de l’obscurité, une silhouette humaine apparut devant lui. La personne semblait au chevet d’un lit… Ou plutôt, elle s’était penchée sur la femme qui s’y trouvait.

« Bestoz ! s’écria le capitaine Darklidian en traversant la pièce. Qu’est-ce que tu fais ? »

Le sous-fifre fit mine de n’avoir rien entendu, et s’empara de l’un des nombreux draps qui couvraient la dame. D’un geste lent mais agressif, il tira la couverture et la rejeta aux pieds du matelas pour dévoiler davantage le visage ruisselant de sueur de Merlane. Elle aussi était immobilisée par la peur. Sa bouche était entrouverte sans qu’aucun son n’en sorte, tandis que ses yeux ronds balayaient les environs à la recherche d’un quelconque réconfort. Seulement, la forme menaçante du corps de l’étranger finit par envahir l’entièreté de son champ de vision.

« Bestoz, nous ne sommes pas là pour ça ! renchérit Kusle d’un ton bien plus ferme. »

Cette fois, le soldat réagit. Il s’éloigna, non sans frustration, de la femme qu’il venait de terroriser, déçu de ne pas être allé au bout de ses idées concupiscentes. Il jeta un regard noir à son supérieur, avant de finalement se tourner vers le mari :

« Qu’est-ce qu’elle a, votre femme ?

— Elle est… Malade, compléta Daro après un temps d’hésitation. »

Cette révélation provoqua un mécanisme soudain de répulsion. L’allure confiante voire provocatrice de Bestoz s’évanouit tout à coup, et il se précipita à petits pas vers la sortie. Sans doute une crainte de la contamination avait-elle supplanté ses bas instincts.

Alors qu’il semblait désormais vouloir prendre la fuite, son capitaine lui barra la route avant qu’il n’atteigne le couloir.

« Attends-moi dehors, je vais discuter avec ces gens, chuchota-t-il à l’oreille de son subalterne. Et tiens-toi tranquille. Je ne dirai rien sur tes écarts de conduite si tu tiens toi aussi ta langue. Nous nous sommes bien compris ? »

Bestoz lança de nouveau un regard assassin à son supérieur en guise de réponse, puis il continua son chemin en silence lorsque ce dernier daigna lui libérer le passage. Finalement, après s’être assuré que la maison était totalement désertée et silencieuse, Kusle s’adressa de nouveau à son hôte :

« Vous me semblez être un couple fort sympathique, tous les deux. Et vous êtes loin d’être stupides… »

Un gémissement de douleur de la part de Merlane vint interrompre le Darklidian. Sans se soucier du soldat, ni de quoi que ce soit d’autre, Daro accourut au chevet de sa femme, lui offrant à nouveau tout le soutien dont il était capable. La scène ne suffit cependant pas à attendrir Kusle, et il conserva son expression grave et préoccupée pour la suite de son discours :

« Je vais vous donner un conseil, et je vous recommande de le suivre. Cela vous évitera des ennuis à vous, et surtout à votre enfant. Sa vie pourrait même en dépendre un jour. Vous devez cacher l’existence de sa marque de dragonnier. »

Ce ne fut qu’à la mention de ce qui rendait leur fils si particulier à leurs yeux que les époux se tournèrent vers le militaire. Celui-ci, satisfait de l’intérêt qu’on lui portait dorénavant, poursuivit :

« Y a-t-il des personnes qui sont déjà au courant ?

— Nos voisins l’ont peut-être remarquée un jour, oui. Ce sont devenus des amis…

— Ne faites confiance à personne pour garder ce secret, coupa sèchement Kusle. Pas même votre famille ou vos plus proches amis.

— Pourquoi nous dites-vous cela ? s’interrogea finalement Daro.

— Je crois que ce petit garçon pourra être heureux autrement qu’en suivant son destin, finalement. Avec des parents tels que vous, cela me semble possible. J’aimerais lui éviter une vie dans laquelle il risquerait de ne jamais trouver le bonheur. »

Le Darklidian se retourna, avança vers le couloir et, juste avant de passer le palier, esquissa un sourire en direction des deux fermiers :

« J’allais presque faire preuve d’impolitesse : mes félicitations pour votre second enfant. »

Il disparut alors dans la clarté du dehors, tandis que Merlane libéra un cri de douleur qu’elle avait contenu bien trop longtemps.

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