Chapitre 1

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Les Terres d'Intravia, Royaume d'Ingrecia dans le village Lamaris


Eloa était de nouveau en retard. Tout en courant le long de la route principale qui traversait le village, elle essayait de trouver une excuse satisfaisante. Le Père Arthur l'avait pourtant avertie qu'il ne tolérerait plus ses retards. Représentant de La Lumière, il avait été détaché au village de Lamaris, voici deux ans auparavant, par le Grand Temple à la mort du Père Udo. Comme tous ses confrères, son rôle était de veiller et de guider le peuple des Terres d'Intravia. 

Il siégeait au conseil de la commune, son avis était prédominant dans la prise de décisions qui devait être en adéquation avec les préceptes de La Lumière. Il présidait également à des jugements et des collectes de la dîme pour le Grand Temple, et avait finalement pour rôle d'instruire les jeunes au chemin de La Lumière. L'enseignement était, bien entendu, obligatoire.

Sur les Terres d'Intravia, il n'y avait pas de monarque, au sens strict du terme. L'intégralité du pouvoir était concédée au Grand Temple sis à Armalia, la capitale. Le Grand Temple était dirigé par le Père Suprême, Iwen, secondé par le Concave, une assemblée de douze Pères. Le Père Iwen, par sa fonction, détenait au creux de ses mains la vie de chaque femme et de chaque homme. Il utilisait ce pouvoir afin de maintenir l'ordre établi, le respect et les revenus de sa congrégation. 

Les Terres d'Intravia étaient composées de six Royaumes et d'une multitude de petits villages, séparés les uns des autres par plusieurs lieues. Certains s'étaient spécialisés dans les forages miniers, l'élevage ou encore dans la production artisanale. Mais l'isolement les contraignait à une quasi-autocratie, toujours sous le contrôle d'un Père qui, régulièrement, rendait compte à la hiérarchie. 

Les villageois, peu fortunés, vivaient de leur production et du troc. L'argent était rarement utilisé dans les petites bourgades, contrairement à Amalia où il permettait d'acheter des faveurs au sein du Grand Temple : faciliter une audience auprès de Père Iwen, du Conclave. Mais, dans les petits villages tels que Lamaris, les habitants préféraient échanger trois bottes de légumes contre une paire de bottines. L'argent servait le plus souvent à régler la dîme récoltée par les Pères.

Trois fois par an, de grandes foires se tenaient en divers lieux des Royaumes pour que les villageois puissent vendre leur production. Exceptionnellement, le troc n'était pas autorisé, les bureaucrates détachés par le Grand Temple étaient présents afin d'y faire respecter les règles. Il fallait bien que les villageois amassent quelques pièces de bronze, d'argent ou, de très rares occasions, d'or, pour s'acquitter de la dîme en fin d'année.

Ainsi, pour la seconde fois de la semaine, Eloa allait manquer le début de La Leçon. En chemin, elle s'était laissé distraire par une jeune biche aperçue à l'orée du bois, près des champs de Niniel. À seize ans, Eloa était une jeune fille solitaire, dont les centres d'intérêt différaient de ceux des enfants de son âge.

Depuis sa plus tendre enfance, elle aimait être en communication avec la nature, effectuant régulièrement de longues balades le long des champs, dans les bois ou près de la rivière, tandis que ses congénères préféraient cueillir des fleurs ou taquiner les garçons. Ce côté mystérieux et réservé ne lui valait pas le premier prix de camaraderie de la part des filles de son âge, mais apportait en revanche un certain charme à la jeune Lamarisienne. 

En effet, malgré un physique plutôt ordinaire, sa chevelure bouclée couleur feu, ses yeux verts et sa poitrine légèrement visible ne laissaient pas indifférents quelques jeunes hommes du village. Malheureusement, pour ces derniers, toutes ces œillades et avances ne pouvaient gommer de ses rêves le seul élu qui les occupait.

En conséquence, l'adolescente préférait généralement la compagnie des animaux à celles de ses semblables, en dehors de quelques exceptions, telle que son amie Niniel. Parfois, lorsqu'elle se retrouvait seule, des animaux sauvages se laissaient approcher, sans montrer la moindre inquiétude. Patiemment, elle s'installait à quelques pas d'eux, attendait que ceux-ci se joignent pour un morceau de pain ou juste une caresse.

Ce matin-là, ce fut une biche qui l'avait retardée. Près d'elle, à contempler sa beauté, sa grâce, Eloa avait perdu la notion du temps.

Lorsqu'elle arriva aux portes du temple, elle s'immobilisa quelques secondes. Le bâtiment trônait en place centrale du village. Le temple de Lamaris n'était pas assez important pour avoir plusieurs issues, seule la grande porte double battant donnait accès à la construction là où se trouvait le Père Arthur ainsi que et les autres enfants du village pour La Leçon. 

Eloa tenta d'y pénétrer discrètement, mais malheureusement, le représentant du Grand Temple avait déjà remarqué son absence, et l'attendait de pied ferme tout en rappelant les neufs chemins interdits de La Lumière aux autres enfants.

« Mademoiselle, Eloa Vermillion, venez ici et donnez-moi immédiatement la raison de votre retard ! »

Eloa sentit une boule de plomb prendre racine au fond de sa gorge et descendre très lentement vers son estomac, tandis qu'elle s'approchait du Père Arthur. Comment allait-elle se justifier ? En aucun cas, elle ne pouvait parler de ses "entrevues" avec les animaux, car sur les Terres d'Intravia, et en particulier dans La Lumière, tout ce qui sortait de l'ordinaire était marqué par le signe du Mal, de la sorcellerie, comme indiquait le deuxième chemin interdit : « Nul ne pratiquera de sorcellerie ou ne fera appel aux forces démoniaques. » 

Ce commandement faisait référence à un passage du texte sacré de La Lumière : 

« ... Quand Aarin engendra les humains, son frère Usiu, jaloux de sa création, modela à partir de ses propres entrailles une multitude de Démons, afin de détruire les humains. Ceux-ci étaient détenteurs de forces obscures, impropres à la vie. Alors, Aarin utilisa la lumière purificatrice afin d'anéantir l'engeance de son frère haineux, enchaîna ce dernier dans les tréfonds du monde souterrain, au-delà de la Grande Mer. Depuis, les humains, avec l'aide des Pères et du pouvoir du Grand Temple, se doivent de combattre tout Démon ou lignage de Démon qui aurait pu survivre. »

Évidemment, jamais personne n'avait réellement aperçu de Démon ou de Sorcier, ou même la moindre étincelle de magie, mais il était cependant prudent de rester dans les rangs, de ne pas se démarquer par des faits inexplicables. De nombreux hommes ainsi que des femmes avaient péri, par simple mesure de sécurité, purifiés par le feu à la suite d'accusations de sorcellerie.

« Père, je suis désolée, je n'ai pas vu le temps passer et... Niniel m'a demandé de l'aider à rattraper sa chèvre qui s'était échappée. Je ne pouvais refuser... Père. »

Une sueur glacée coula le long de son dos. Par ce mensonge, elle venait de poser un pied sur le septième chemin interdit : le mensonge est le socle sur lequel repose la porte menant aux tréfonds des mondes infernaux... Et mentir à un Père était considéré comme une parjure, une offense envers le Grand Temple.

Le Père Arthur la fixa longuement puis, avec un regard qui aurait effrayé un troupeau de Crocs-acérés, ces carnassiers que l'on pouvait rencontrer dans les grandes plaines désertiques des Landes Rocheuses, il la fit s'asseoir, tandis qu'il précisait d'une voix mielleuse le fond de sa pensée :

« J'irai voir Niniel après La Leçon, pour lui demander de vous récompenser pour l'aide que vous lui avez apportée. Sans vous, elle aurait perdu sa chèvre ! Il est normal que vous receviez une gratification à la hauteur de vos actions. »

Un « Merci, Père » réussit à peine à sortir de la bouche d'Eloa, tant le message avait été clair.

« Mes enfants, reprenons là où nous nous étions arrêtés : le huitième chemin interdit.

— La convoitise, la jalousie et le vol sont l'attribut des êtres faibles et impurs.

— Oui, à présent, le neuvième.

— La recherche de l'aventure peut entraîner la perte de la pureté et libérer les forces néfastes d'Usiu. »

Ainsi commençait chaque jour La Leçon, par la récitation des neuf chemins interdits de La Lumière. Chaque enfant, chaque adulte devaient connaître et appliquer ces préceptes, afin de mener leur vie selon La Lumière. Les Pères étaient les gardiens de leur respect. Tous les matins, les enfants devaient assister pendant deux heures à La Leçon où les Pères leur enseignaient les principes de La Lumière, leurs chemins interdits, mais également l'histoire d'Aarin et la création des Terres d'Intravia, de l'humain et des animaux.

Si La Leçon était réservée à l'éducation spirituelle des enfants, les adultes devaient quant à eux participer à celle donnée chaque soir. Seule une raison d'extrême urgence pouvait justifier une absence.

Le Grand Temple, par l'intermédiaire des Pères, était chargé de l'éducation du peuple. Alors, dans un souci de paix et de tranquillité, celui-ci n'enseignait que l'histoire du point de vue religieux, les préceptes et les lignes de conduite à suivre pour être un bon citoyen. Il n'y avait pas d'apprentissage de l'écriture ou de la lecture, ni de l'économie, de la politique ou encore de la philosophie : le peuple n'était pas là pour réfléchir par lui-même, mais plutôt pour suivre La Lumière.

« Nous allons aujourd'hui revoir comment Aarin a détruit les Démons et les Sorciers créés par son frère.

— Père, puis-je poser une question ? demanda Madenn. »

Eloa émergea de ses tristes pensées et contempla Madenn. Le jeune homme venait d'avoir dix-neuf ans, quelques semaines auparavant. Il était d'une beauté simple et naturelle, mais dégageait beaucoup de charme et d'espièglerie par son regard turquoise qui contrastait avec ses cheveux noirs de jais. 

Il plaisait beaucoup à la jeune fille, néanmoins il semblait ne pas avoir conscience de son existence, ce qui chagrinait l'adolescente. Il s'était rapidement lié d'amitié avec Niniel, car celle-ci l'avait sauvé d'une intoxication alimentaire quatre mois plus tôt.

Niniel n'appartenait pas encore au village, elle ne faisait que passer lorsqu'elle avait entendu un énorme gémissement derrière une botte de paille. Niniel avait bondi derrière la botte de paille et avait aidé le jeune Madenn à se relever. Ses vêtements étaient trempés de sueur et on pouvait apercevoir une brûlure sur son torse, faite lorsqu'il était enfant. 

En mangeant trop de baies acides, il avait eu une intoxication alimentaire. De cette aventure, était née une grande amitié. Le lendemain, Niniel s'était établie à la sortie du village, rachetant une vieille ferme.

Malheureusement, pour le jeune homme, l'un de ses défauts majeurs était son avidité de savoir, ce qui lui était souvent reproché par le Père Arthur : il n'était pas bon d'être curieux. La Lumière stipulait que l'être humain devait vivre en harmonie avec lui-même et ce qui l'entoure, sans chercher forcément à comprendre les forces mises en place par Aarin. 

Ces forces, bien sûr, étaient au-delà de leur compréhension et de leur conscience. Faire preuve d'inquisition revenait à vouloir être l'égal d'Aarin, à vouloir comprendre le fond de sa pensée. C'était irrespectueux et malsain. Les humains devaient accepter le cadeau fait par le créateur en toute confiance, sans se poser de questions sur le pourquoi, ni le comment.

« Nous t'écoutons, Madenn.

— Hier, tandis que je rentrais du temple, j'ai entendu au détour d'une ruelle quelques bribes d'une légende, qui mettait en avant de puissants Sorciers qui vivent au-delà de la Grande Mer, ainsi que d'une prophétie et...

— Madenn ! C'est blasphématoire ! Ceci n'est qu'une légende, voire même des fabulations et sache que la sorcellerie, les Sorciers et les Démons ne sont pas un sujet de discussion. La majorité d'entre eux ont été détruits à l'aube de la création par Aarin, et quelques malheureuses personnes qui s'amuseraient à invoquer les survivants auraient affaire au Grand Temple, le coupa sèchement le Père Arthur.

— Oui, Père, mais la légende parlait de Sorciers, utilisant la magie pour le bien et non de Sorciers néfastes.

— La sorcellerie ou la magie, comme tu la nommes, est le fruit d'Usiu, le frère maudit. Puis-je savoir qui a colporté cette infamie ? »

Madenn hésita soudain, réalisant que cela pouvait attirer de graves ennuis à la personne en question. Une fois encore, sa curiosité allait lui générer des ennuis, mais cette fois-ci pas qu'à lui seul. Voyant le trouble du jeune homme, le Père, d'une voix radoucie, reprit la parole

« Madenn, mon petit, n'aie crainte, je souhaite juste expliquer à cette personne que la magie ou la sorcellerie ne sont pas des sujets à aborder, afin qu'elle reste sur La Lumière et ne s'égare pas sur les sentiers qui mènent à la folie, à la perversion.

— Oui, Père... Mais peut-être, ai-je mal compris. Vous savez il y a beaucoup de bruit provenant de la grande place. Je n'ai saisi que quelques mots...

— Madenn, souviens-toi du septième chemin interdit, lui répondit le Père en le fixant droit dans les yeux. »

Tous les habitants de Lamaris savaient qu'il était très difficile de mentir au Père Arthur, il avait le chic pour pister les mensonges à une lieue à la ronde, et faire craquer les plus costauds des bûcherons, rien que par son regard perçant.

« Je crois que c'était... Niniel, mais je n'en suis pas sûr, Père Arthur, murmura Madenn, de plus en plus mal à l'aise.

— Et dis-moi, Madenn, à qui racontait-elle cette... hérésie ? Je t'écoute, jeune homme !

— C'était à une villageoise, mais je n'ai pas vu qui. Elle avait l'air furieuse, et a répondu qu'elle ne voulait plus rien entendre, que Niniel devait laisser sa famille tranquille. Je vous promets, Père Arthur, que je n'ai pas reconnu sa voix, elle chuchotait...

— Bien, Madenn, je devais justement discuter avec Niniel après La Leçon, lui répondit-il en regardant Eloa.

— À présent, le sujet est clos. Continuons, s'il vous plaît. »

La suite de La Leçon se déroula comme d'habitude, mais Eloa n'arriva pas à se concentrer, tant qu'elle redoutait les conséquences de ses mensonges. Elle était également intriguée par cette légende à laquelle avait fait allusion Madenn. C'était la première fois qu'elle entendait parler de Sorciers d'une manière différente de ce qui était décrit dans La Leçon. Ce n'était pas un sujet à aborder, ni sur la place publique ni au cœur des chaumières, à moins de vouloir d'être jugé pour hérésie.

Dès que La Leçon fut finie, le Père Arthur fit sortir les enfants du bâtiment, ferma la porte du temple et se dirigea d'un pas ferme vers la demeure de Niniel, sous les regards horrifiés d'Eloa et de Madenn. Il voulait aborder avec la fermière deux points importants. Premièrement, confirmer le mensonge d'Eloa, et ainsi décider de la punition adéquate, sachant par avance qu'il voulait faire un exemple qui resterait dans la mémoire de chaque villageois. 

Il était temps, pensa-t-il, de punir cette jeune effrontée, de la remettre sur le chemin de La Lumière. Puis en second lieu, investiguer sur l'histoire entendue par Madenn. Quelle était cette fable racontée par Niniel ? À qui la fermière parlait-elle ? Tandis qu'il arpentait le chemin qui menait vers la sortie du village, Arthur réfléchissait à ce qu'il connaissait d'elle.

Une chose est sûre, il n'aimait pas cette individue. Elle vivait seule à l'extérieur du village et ne semblait pas montrer un très grand respect pour lui, le Grand Temple ou La Lumière. Niniel était une nomade d'une trentaine d'années, arrivée au village depuis seulement quelques mois. Personne ne savait réellement d'où elle venait, cela le gênait particulièrement. Il se rendit compte qu'il ne connaissait même pas son nom de famille. 

Lorsqu'enfin, il arriva devant se demeure, la femme soignait l'une des pattes avant de son cheval, dont le fer usé devait être changé. Arthur s'arrêta près d'elle et la fixa de son œil inquisiteur. Voyant que la fermière ne réagissait pas à sa présence, toujours concentrée sur son cheval, Arthur fulmina de rage. Mais pour qui se prenait-elle à ignorer ouvertement un Père du Grand Temple !

« Hum, hum ! fit le Père, le rouge aux joues de colère.

— Oui ? répondit Niniel, sans même relever la tête. »

Arthur respira un grand coup, afin de retrouver la maîtrise de lui-même, et de sa voix la plus sèche, il répondit à la fermière.

« Bien le bonjour, madame Niniel, qu'Aarin veille sur vous !

— Honorable Père, quel bon vent vous amène au seuil de mon humble demeure ?  lui réplica la fermière, le sourire en coin, sans faire d'effort pour cacher ses sentiments envers ce qu'il représentait, négligeant même ouvertement la formule de politesse habituelle. »

Arthur avait de plus en plus de mal à se contrôler. Ses mains tremblaient de rage et il sentait la sueur lui couler le long du front. Respirant à grands coups, il réussit à garder la maîtrise de lui-même.

« Oh ! Juste deux trois petites affaires à discuter avec vous... Eloa m'a dit que vous lui aviez demandé de l'aide ce matin pour... Arracher une souche dans votre champ, celui qui se trouve le long de la route menant chez elle. C'est très serviable de sa part, cette enfant est un véritable petit ange. Cependant, elle était si excitée à nous raconter son aventure que je n'ai pas tout compris à son récit. Je m'interroge : en quoi cette enfant a-t-elle pu vous être secourable ? Une femme comme vous aurait pu très bien demander à votre voisin de l'aide. »

Durant quelques secondes, Niniel se demanda de quoi parlait cet homme, avec son air supérieur et son regard inquisiteur. Ce même regard que Niniel avait retrouvé chez tous les Pères qu'elle avait pu croiser durant ses nombreux voyages. Ces hommes si sûrs d'eux, de leur supériorité, ces hommes au nom de La Lumière gouvernaient et s'octroyaient le droit de vie ou de mort sur la population des Terres d'Ingrecia. Que cherchait-il ? Quel piège était-il en train de tisser ? 

Alors, oubliant toute prudence, elle décida d'utiliser discrètement son don. Ouvrant son esprit, elle se glissa dans celui du Père, fouillant parmi les méandres de sa mémoire afin de « ressentir » ce qu'il cherchait, ce qu'il était venu faire chez elle. C'était risqué d'utiliser la magie en ces lieux, en particulier en présence d'un Père, mais en effleurant doucement sa conscience, cela devait passer inaperçu. Enfin, elle trouva.

« Une souche ? Non, vous avez dû mal comprendre. C'est bien la fougue de la jeunesse, ils sont incapables d'aligner trois mots dans le bon ordre afin de faire des phrases compréhensibles. Je lui ai demandé de m'aider à rattraper ma chèvre, qui s'était échappée, c'est plus facile à deux !

— Ha ! .... Quelle brave petite, répondit le Père Arthur, très déçu. Il avait pourtant été persuadé que l'histoire d'Eloa fut un nouveau mensonge.

— En effet ! .... Père, il se fait tard, je ne souhaite pas abuser de votre précieux temps, je sais que de nombreuses personnes espèrent votre aide afin de rester sur La Lumière. »

Arthur ne fut pas dupe de l'ironie de cette phrase, mais jusque-là, il n'avait rien de tangible contre cette femme. Cependant, la donne allait peut-être changer. À présent, il souhaitait aborder l'autre sujet, qui lui semblait finalement bien plus important que l'éventuel mensonge d'une adolescente : la « légende » dont avait parlé Madenn.

« En fait, madame Niniel, j'ai un point plus sérieux à discuter avec vous. Il m'est revenu aux oreilles que vous harceliez certaines villageoises avec une histoire d'hérétique concernant des Sorciers bienfaisants, qui vivraient de l'autre côté de la Grande Mer.
Dois-je vous rappeler que de tels propos peuvent sembler étranges et contraires à l'enseignement de La Lumière ? Seule l'engeance des Démons use la sorcellerie et de plus, au-delà de la Grande Mer, il n'y a que l'Abysse, la fin du monde. Avez-vous une explication à me donner pour justifier une telle attitude ?

— Père Arthur, je pense que mes propos ont mal été interprétés, je ne vis que pour suivre l'enseignement du Grand Temple.

— Puis-je savoir quels étaient vos propos ? Et, qui est cette femme avec laquelle vous discutiez ?

— Mon but n'était pas moins noble que celui du Grand Temple, je souhaitais juste, tout comme vous, guider et éclairer mes concitoyens sur l'histoire de.... Nos.... Terres. Pour cela, je ne faisais que déclamer les vers d'un très vieux poème, à la ronde.

— Que dit ce vieux poème, madame Niniel ? Je serais fortement intéressé d'entendre ces vers.

— Oh, honorable Père, à mon âge, la mémoire vous joue de ces tours ! Dès qu'ils me reviendront, je ne manquerai pas de venir de ce pas, vous les conter. »

Arthur se rapprocha de Niniel, à tel point que seuls quelques centimètres les séparaient, et la regarda droit dans les yeux :

« Je vous avertis, madame Niniel, que je ne suis pas dupe de votre courtoisie, et que je vous tiens à l'œil. Je ne sais pas qui vous êtes, ni d'où vous venez, mais ici, La Lumière est respectée. À l'avenir, je vous conseille de ne plus répandre vos histoires, ou bien, je pourrai croire que vous vous donnez à la pratique de la sorcellerie, si bien décrite dans votre légende.

— Je vous ai entendu, Père, rétorqua-t-elle, sans plus aucun sourire de façade... » 

Bientôt, l'heure de la clandestinité prendrait fin, et alors elle devrait assumer le rôle pour lequel elle s'était installée à Lamaris. 

Ils restèrent ainsi, se foudroyant du regard pendant quelques secondes, puis soudainement, Niniel se retourna pour s'occuper à nouveau de son cheval. Sur ce, le Père Arthur fit demi-tour, fou de rage, et se dirigea à nouveau vers le village. Il n'avait pas aimé l'insistance de Niniel sur le mot nos.

À présent, cette femme semblait encore plus dangereuse qu'il ne l'avait présumé. Il allait devoir en informer le Grand Temple. Elle n'était pas une simple fermière qui rejetait La Lumière, il y avait autre chose de bien plus dangereux. Quoi ? Il ne savait le dire, mais elle était différente des villageois des Terres d'Intravia, et semblait savoir certaines choses dont elle était censée ignorer l'existence.
En disant nos Terres, il avait compris qu'elle ne faisait pas uniquement allusion aux Terres d'Intravia... D'où pouvait-elle connaître les Terres de Nebula, ce pays se trouvant de l'autre côté de la Grande Mer, derrière l'Abysse ? 

Depuis des millénaires, seuls quelques Pères, tirés sur le volet, gardaient jalousement secret l'existence de ce lieu maudit. Même si elle avait eu l'intelligence de ne pas citer ce nom, il savait qu'elle connaissait bien plus qu'une simple légende venue de ces contrées éloignées.

La situation prenait une ampleur inimaginable. Il ne pouvait agir de son propre chef, et devait impérativement demander l'avis du Conclave et du Père Supérieur.

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