Rauha et le clochard

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  J’étais assis au coin de La Troisième, un restaurant trois étoiles renommé. On ne m'avait pas encore chassé. Les passants m’ignoraient. Je n’étais qu’une silhouette de plus, transie de froid, figée au sol. Mon carton de mendicité entre les jambes, je me frottais les mains à la recherche d'un peu de chaleur. L’hiver était particulièrement précoce cette année.

  Comme à mon habitude, j’essayais de tromper mon ennui en observant la foule pressée, quand j’ai vu cette gamine, haute comme trois pommes, s’arrêter devant moi. Elle m’a regardé. Ses yeux noirs ont transpercé mon âme. Quand son visage s’est illuminé d’un sourire, j’ai oublié où j’étais. Il n’y avait plus que cette enfant et moi. Les immeubles avaient disparu et le trafic s’était tu.

 « Bonjour ! Je m’appelle Rauha. »

  Rauha me tendit la main. Elle voulait que je la suive. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris sa petite main dans la mienne sans me poser de questions. Quand j’ai senti cette douce chaleur, la douleur s’est envolée. Je me suis levé et je l’ai suivie. Je n’avais plus froid. Je n’avais plus mal. J’avais oublié ce qu’était la sérénité.

  Elle m’entraina dans les rues. Je la suivis sans m’inquiéter pour mes affaires que je laissais au coin de la rue. Plus j’avançais et plus je me sentais bien. Je me sentais léger, comme dans mes jeunes années. Je me sentais vivant. Insouciant.

 « Où m’emmènes-tu ? »

  Rauha me sourit et tendit le doigt devant elle. Nous nous étions arrêtés devant un terrain vague. En regardant autour de moi, je reconnus l'aire de jeu de mon enfance. Rien n’avait changé. Il y avait toujours la pile de vieux pneus et les tas de gravats. Quand j’étais enfant, nous imaginions des montagnes et des sommets infranchissables. Mes amis et moi étions de grands explorateurs. Nous avons veillé autour de feux de camp imaginaires, vogué sur toutes les mers. C’était l’époque où tout était possible.

  Je fus tiré par la manche. Rauha voulait me dire un secret. Je me mis à sa hauteur. Alors elle posa sa main contre ma joue et chuchota à mon oreille :

 « Rien n’a changé. Tout est encore possible. »

  Sans savoir pourquoi, des larmes roulèrent sur mes joues. Je les essuyais précipitamment. Je n’étais pas triste, j’avais juste repris espoir. Et c’était la plus belle chose qui me soit arrivée depuis longtemps.

  Les rôles s’inversèrent tandis que Rauha me raccompagnait là où elle m’avait trouvé. J’avais l’impression d’être un enfant guidé et protégé. Je me sentais baigné de lumière. Je récupérais mes affaires puis quittait la ville pour retourner à la ferme de mon grand-père. C’était à deux cents kilomètres de la ville, mais c’était un de mes rêves : reprendre le flambeau et m’occuper du bétail. Je fus accueilli par ma cousine. Elle m’apprit tout ce qu’il y avait à savoir et je restai avec elle les années qui suivirent, travaillant chaque jour avec le sourire de Rauha en mémoire.

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