1.2

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Levant un coin du rideau à sa fenêtre, le prince observe attentivement les environs. De toute évidence, ce n’est pas le point de rendez-vous déterminé pour les pourparlers. Ils ont interrompu leur itinéraire dans une zone particulièrement dense de la forêt où le sentier est presque indiscernable de la végétation. Des ombres se déplacent furtivement entre les arbres couverts de mousse et des regards prédateurs se fixent sur l'escorte.

Les chevaliers sont figés et en alerte dû au silence inconfortable qui s’est manifesté. Ils attendent nerveusement un ordre de leur chef. Le capitaine descend de son cheval et approche du carrosse avec une expression colérique. Il ouvre la porte. Son visage devient livide quand il aperçoit la vaine tentative de la princesse à dissimuler sa présence en se recroquevillant dans un coin de l’habitacle. Bouche bée, il exprime sa surprise.

  • Princesse Victoria ! Comment ? Que faites-vous ici ?

Dufort tourne la tête vers le prince, mais il n'obtient pas d'explication de sa part. Il ne rencontre qu’un regard calculateur semblant scruter chaque variable de son visage. Il s'agit d'une habitude très désagréable du garçon. Son attitude impassible et ses yeux d'émeraude fixés sur leur sujet d'étude donnent l'impression qu'un inquisiteur tyrannique s'apprête à rendre jugement. Le capitaine a souvent été la cible de cet interrogatoire silencieux et il est presque certain qu'une lueur malicieuse se révèle dans les prunelles de son observateur.

Nil acquiesce de la tête avec un air satisfait.

Soudain, un hurlement terrifiant se fait entendre, suivi par le cri barbare d'une centaine d'ennemis embusqués.

Un démon solitaire se dévoile près du carrosse, hors de portée des chevaliers, mais en vue du prince et de la princesse qui observent la scène. L'apparence de leur adversaire diabolique n'est pas très différente de la leur. En réalité, le peuple démoniaque ressemble en tout point aux humains. Ce qui les rend plutôt difficiles à distinguer. Cependant, ils ont tendance à être plus grands et leur corps est souvent couvert d'horribles cicatrices appelées marques du Diable. Bien entendu, ces caractéristiques sont largement éclipsées par les cornes menaçantes qui couronne le front de certains individus.

Il est rare de rencontrer un démon aussi facile à identifier, mais celui qui s'avance aujourd'hui devant l'escorte diplomatique est impossible à méprendre pour quelque chose d'autre. D'une démarche théâtrale et les bras tendus sur les côtés, il attire l'attention des soldats prêts à dégainer. Il est habillé d'une robe rituelle noire. Dépassant de longues manches, ses mains se démarquent par leur couleur rouge vif, comme si elles avaient été trempées dans le sang. Son visage émacié est enlaidi par d'horribles entailles et de longues cornes pointues s'élèvent au-dessus de sa tête. Il ne dit pas un mot. Il se contente d'observer les chevaliers avec ses yeux injectés de sang.

Cette entrée dramatique contraint le capitaine à refermer la porte avec vigueur. Il obtiendra une explication de la princesse une autre fois. Malgré la peur viscérale qui le cloue au sol, il gonfle la poitrine et s'adresse à la créature avec une voix forte et autoritaire.

  • Je suis le capitaine Victor Dufort, escorte de l'ambassadeur du royaume de Jorde. Nous venons en mission diplomatique pour négocier la paix.

Le démon esquisse un sourire et joint les mains en prière. Il inspire profondément avant de hurler dans une langue étrange. L'écho de la voix grinçante est suivi par un puissant séisme causé par la course effrénée des guerriers démoniaques qui bondissent de leur cachette. Armés de grosses machettes et revêtus d'armures en peau d'animal, les assaillants chargent sur les chevaliers.

Même s'ils étaient prêts à recevoir l'assaut, les gardiens ne sont pas de taille face au nombre et à la force supérieure de l'ennemi. Ils se font écraser par des êtres qui mesurent entre 180 et 250 centimètres. La férocité de leurs attaques est tout autant disproportionnée. Leurs lames pénètrent aisément les cuirasses, alors que l'estocade des défenseurs peine à s'introduire à travers la peau endurcie des agresseurs.

Sans pitié, les démons massacrent les membres de l'escorte un après l'autre, incluant quelques chevaux dans la foulée. En un moment, il ne reste plus que le capitaine pour défendre le carrosse.

Dufort réalise l'absurdité de cette mission. Les ordres du prince sont insensés. Comment a-t-il pu laisser pareille horreur se produire ? Leur vie a-t-elle si peu de valeur ? Ces pensées à l'esprit, il bloque une attaque brutale qui le projette au sol. Malgré sa résistance, le choc lui paralyse la main et il lâche prise de son arme. La redoutable créature enjambe son adversaire affaibli pour se précipiter vers la voiture.

Le guerrier massif ouvre la porte en grand. Son poids fait remuer le véhicule quand il pose un pied à l'intérieur. Il peut voir sa cible repliée contre le mur de la cabine, un garçon aux cheveux blonds. Il peut presque sentir sa peur, mais l'expression imperturbable de l'enfant est quelque peu troublante. Quelle est cette étrange étincelle dans ses yeux ? Une lueur d'espoir ?

Le démon cesse ses observations d'apparence insignifiantes. Il lève sa machette avec l'intention d'achever le prince, mais il est interrompu par une douleur vive sous le genou qui lui fait perdre l'équilibre. N'arrivant pas à trouver un point d'appui, il s'effondre hors de l'habitacle. C'est seulement maintenant qu'il prend conscience qu'une partie de sa jambe, coupée nette, gît dans une mare de sang. Cette réalisation choquante lui arrache un cri de douleur immédiatement silencé par une lame enfoncée à travers sa gorge.

Triomphante, princesse Victoria appui son pied contre la nuque de la créature démoniaque pour extirper la pointe de son épée. Elle jette un coup d'oeil à l'intérieur de la cabine pour s'assurer que son frère va bien puis elle se penche pour ramasser l'arme du vaincu. Sous le regard ahuris des troupes infernales, elle oriente une des lames en forme défensive et l'autre sur le côté, prête à frapper.

La scène est si inattendue que tout le monde s'est figé. Cette fillette est plus dangereuse qu'elle parait. Malgré sa carrure délicate, elle se tient en conquérante sur le champ de bataille. Son visage crispé, les dents serrées, les pupilles dilatées. Une colère agressive, inconvenable à son statut noble, l'a envahi. Une rage dévorante qui ne peut être apaisée que par l'exécution de ses ennemis.

D'un seul bond, Victoria s'élance vers sa prochaine victime tel un rapace sur sa proie. Avec une vitesse phénoménale, elle atterrit sur les épaules du démon le plus proche pour lui enfoncer deux lames dans les orbites avant de sauter sur un autre combattant. Les acrobaties invraisemblables de la princesse donnent presque l'impression qu'elle peut voler. Pourtant, ses prouesses ne sont que le produit de la puissance incommensurable de ses muscles.

Les têtes tombent à la chaîne. Des bras et des jambes, estropiés. Le sang gicle de tout côté. Rien n'arrive à arrêter la furie de la jeune fille. Les attaques des guerriers adverses n'atteignent pas la cible. La mort parcourt la troupe infernale pour les faucher chacun leur tour.

Affolé par le renversement de situation, le démon qui a ordonné l'offensive bat en retraite. Il s'attendait à une victoire facile. Les humains ne sont pas censés avoir une force pareille, surtout pas une fillette. Il disparait dans la forêt sans regarder derrière lui alors que le reste de ses hommes s'écroulent.

Un silence funèbre s'impose sur le champ de bataille. À bord du carrosse, le prince prend le temps d'observer l'environnement par la fenêtre. Victoria se tient immobile au centre des dizaines de cadavres mutilés parsemant le sol. Toujours en position de combat, le sang de ses ennemis tache ses vêtements et dégouline de ses armes. La scène ressemble à peu de chose près aux peintures de héros triomphants exposées dans les musées de la capitale.

Le capitaine Dufort est le seul chevalier qui se tient debout. Son attitude normalement confiante s'est évanouie. Encore sous le choc du massacre, il erre à travers les dépouilles à la recherche de survivants. Il jette occasionnellement un regard effaré vers la princesse. Jamais il ne l'a vu démontrer des capacités de combat aussi incroyable. Elle deviendra un atout extraordinaire pour le royaume, mais pour le moment, seul un sentiment de terreur envahit le soldat.

Peu décontenancé par les événements, Nil ouvre la porte de la voiture et descend. Le danger a été écarté. Il avance avec assurance en direction de sa soeur. Lorsqu'il pose sa main sur l'épaule de Victoria, elle lâche l'épée et la machette pour se retourner et enlacer son frère de toutes ses forces. L'animosité sur le visage de la fillette a laissé place à des pleurs incessants. Elle ne peut empêcher sa voix de gémir quand elle finit par s'exprimer.

  • J'ai eu tellement peur qu'ils... qu'ils nous fassent du mal, Nil. Pourquoi est-ce qu'ils nous ont attaqués alors qu'on voulait juste leur parler ?

Il ne voulait pas répondre à cette question. Le mieux pour l'instant était simplement de la réconforter et écouter ce qu'elle a à dire.

  • Nil... Je veux rentrer à la maison.

Le prince regarde autour de lui. Le capitaine de la garde a déplacé deux chevaliers toujours en vie à bord du carrosse et tente de bander leurs plaies. Ils pourront peut-être survivre. Quant aux pourparlers, il vaut mieux abandonner. Leur temps sera mieux utilisé à retourner au château avec les chevaux qui n'ont pas été abattus.

  • Rentrons, Vivi.

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Notes de l'auteur :

Premier jet à relire et mettre à jour

- Présentation des démons : ils doivent être brutaux et sanguinaires pour créer un fort contraste avec les démons moins sauvages qui souhaitent faire la paix.

- Nil : je cherche à créer l'inconfort dans son personnage, à montrer que quelque chose n'est pas normal avec lui.

- Pour ceux qui aiment l'exposition et les grosses descriptions de l'univers, ce sera dans la suite en arrivant au château.

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