8.    Malédiction

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Laureley était incapable de contenir ses larmes, une multitude de sentiments se mêlaient en elle : la frustration de ne pas avoir eu le temps d’intervenir, la haine de constater que cette mort faisait partie d’un plan machiavélique, le chagrin de perdre celui qui importait tant pour elle. Une once de folie vint s’ajouter à ce cocktail mortel et la jeune femme déclara :

  • Alyth, c’est mon âme que tu veux. Je te l’offre en échange de sa vie. J’accepte de te servir si tu le fais revenir.

La déesse, sans se départir de son sourire triomphant, se leva de son trône pour s’avancer vers le couple enlacé. Elle stoppa sa course à quelques pas d’eux, prenant grand soin à ne pas marcher dans le sang qui maculait le sol. Elle détailla un long moment le tableau, le silence de la pièce était entrecoupé de sanglots. Après quelques minutes qui prirent des allures d’éternité, elle déclara :

  • J’accepte. Je viendrai réclamer mon dû un jour prochain.

Laureley n’eut pas le temps de bouger que le monde s’assombrit autour d’elle, englouti dans une sorte de nuage. Lorsque ce dernier se dissipa, elle était toujours assise au sol, le corps de Khamsin entre ses bras, mais tout le reste avait changé. L’immensité du temple avait laissé place au décor plus sobre d’une petite maison. Que s’était-il passé ? Pourquoi Alyth l’avait-elle envoyée là ? Et surtout, où était-elle ? La multitude de questions qui se bousculait dans son esprit se trouva balayée par un événement anodin : le Prince ouvrit les yeux péniblement. Laureley ne put alors contenir sa joie : Khamsin était vivant. La jeune femme ne put retenir ses larmes en serrant son amour contre son cœur. Et même si l’épilogue lui semblait étrange, elle préféra repousser ses doutes pour savourer ce moment.

***

Bragance, un petit village à la frontière entre Sorgat et Eranshar. C’était là qu’Alyth avait envoyé Khamsin et Laureley, sans aucune autre explication. Ils comprirent bientôt que la maison dans laquelle ils étaient apparus leur appartenait, sans doute grâce à la magie de la déesse. Le couple décida donc de s’y installer afin d’y couler des jours paisibles. Ainsi exilés, ils pouvaient goûter pleinement à leur amour sans devoir se cacher.

Mais le regard du prince déviait de plus en plus vers son pays natal et une singulière mélancolie l'envahissait au fil des mois. Cette vie lui manquait. Certes, il était heureux et comblé dans les bras de Laureley, mais il voulait revoir Nazgat et ce déracinement pesait énormément sur son moral. Une nuit, alors que le sommeil l’avait de nouveau quitté, il décida de fuir, juste quelques jours, goûter au bonheur de retrouver son royaume et revenir chez lui, apaisé. Il rédigea une courte lettre à l’attention de sa compagne et partit silencieusement.

***

Un éclatant sourire se dessina sur les lèvres de Khamsin quand il vit se découper un hameau eranshari baigné par le soleil. Même s’il s’en voulait d’être parti comme un voleur, la joie de retrouver son pays et son peuple transcendait son sentiment de culpabilité. Il se sentait sur un petit nuage et malheureusement pour lui, le retour à la réalité fut brutal et amer. Il ne comprit pas sur le coup pourquoi la première personne qu’il croisa se sauva en hurlant de terreur, mais lorsqu’il parvint sur la place du village, l’horreur de la situation s’imposa à son esprit. Il se passait un étrange phénomène dès que l’on voyait son visage : les plus robustes perdaient l’usage de la parole tandis que leurs cheveux blanchissaient brutalement, les autres fuyaient d’épouvante quand ils ne succombaient pas à l’émotion. La malédiction dont l’avait affublée Alyth venait de se déclencher. Il quitta à la hâte le village s’enfonçant profondément dans le désert pour être sûr de ne croiser personne. Une multitude de pensées horrifiques se bousculèrent dans sa tête, mais celle qui revenait avec acharnement était la plus glauque et la plus égoïste de toutes : s’il était resté à Bragance, Laureley aurait été sa victime.

Il ne sut combien de temps il passa seul en tête à tête avec sa conscience, tout ce qu’il se rappela fut le soleil qui se leva et se coucha de nombreuses fois. Il ne ressentait étrangement ni la faim ni la soif, juste cet odieux sentiment de défaite. Il se mentait à lui-même en essayant de trouver une solution à son problème, mais il n’y en avait aucune. Il ne pouvait pas revenir à Bragance, ce serait risquer de blesser sa belle par accident, ou même pire. Il prit alors la décision de s’éloigner d’elle. Il errerait dans le désert d’Eranshar jusqu’à ce que la mort l’emporte… si elle daignait bien l’emporter et jamais il ne reverrait le sourire de Laureley.

***

« Ma chérie, je suis navrée de te l’annoncer aussi brutalement dans cette lettre, mais Eranshar me manque terriblement. Je n’arrive plus à dormir et aucun délicieux moment passé à tes côtés ne me fait oublier la nostalgie qui m’envahit chaque jour où je suis loin de mon pays. J’ai donc décidé de partir pour Nazgat, quelques jours tout au plus. Je reviendrai très vite, n'aies aucune inquiétude. Je t’aime de tout mon cœur. Khamsin. »

Huit mois, cela faisait huit mois que Laureley relisait cette lettre chaque jour et le doute qui l’avait envahie les premières semaines s’était métamorphosé en évidence : son prince ne reviendrait jamais. La peine qu’elle avait éprouvée ce matin-là s’était mue en amertume puis en colère à mesure que son ventre s’arrondissait, gonflé par un nouveau souffle de vie. Les larmes avaient forgé une étrange résignation et elle était à présent prête à affronter, le défi qui se présentait à elle, seule. Cet enfant qu’elle attendait n’avait rien demandé si ce n’est de vivre. Elle avait reporté tout son amour perdu sur cet être qu’elle ne connaissait pas encore.

Laureley revenait du marché, son panier chargé de victuailles, elle s’engouffra dans une ruelle de la cité. C’était un raccourci qu’elle avait trouvé afin de gagner plus rapidement son logis. Il ne lui était jamais rien arrivé en passant par là… enfin, jusqu’à ce jour. Elle atteignait la fin de l’étroit boyau séparant deux maisons lorsque trois hommes apparurent sur son chemin. Instinctivement, elle fut sur la défensive et quand elle fit volte-face, elle comprit qu’elle venait de tomber dans un piège. D’autres brigands lui barraient la route. Il ne restait que peu d’options : se battre était inenvisageable ; sa grossesse l’empêchait déjà de se déplacer convenablement. Elle opta donc pour la soumission. Tendant son panier elle déclara avec résignation :

  • Servez-vous, prenez ce que vous voulez, mais ne me faites pas de mal.

Laureley ne saisit pas les intentions de ces bandits jusqu’à ce qu’elle encaisse le premier coup. Elle reçut un violent uppercut dans le ventre qui lui coupa le souffle et la fit tomber à genoux. S’en suivit un interminable passage à tabac, elle avait beau hurler et pleurer pour son enfant, rien n’y faisait. Les mercenaires la molestaient inlassablement. Le groupe se fendit soudainement et le cerveau de la jeune femme refusa d’analyser la situation. Elle vit avec incrédulité le rouquin qui l’avait accompagnée durant son périple pour sauver Khamsin. Styx la menaçait d’une arme et soudain tira.

***

Quand Laureley ouvrit les yeux, elle se trouvait dans une chambre richement décorée. Aucune douleur ne vrillait son corps. On l’avait allongée dans un lit moelleux et elle se serait sentie paisible si, baissant le regard vers son ventre, elle n’avait pas vu ses pieds. Tout s’imposa alors à son esprit, Bragance, la ruelle, le passage à tabac et Styx. Elle ne put contenir des larmes de rage et de chagrin mêlés. C’est alors qu’une douce voix s’éleva à quelques pas d’elle :

  • Un général ne pleure pas.

Laureley ne prit même pas la peine de se tourner vers Alyth ou de lui répondre. C’était à présent une certitude : elle était morte. Et il en aurait été tout autrement si Khamsin ne l’avait pas abandonnée. Une haine farouche pour celui qui l’avait abusée l’emporta.

  • Bienvenue dans ta nouvelle vie, reprit la déesse. Je t’avais averti que ton prince allait te faire souffrir, mais tu t’es entêtée à vouloir le secourir.
  • Ai-je le droit de le tuer ? demanda la jeune femme.
  • Souhaites-tu que je le maudisse ? proposa innocemment son interlocutrice.

Alyth se fendit d’un sourire triomphant quand elle vit l’expression de sa recrue.

  • Je fais ça de suite, reprit-elle. En attendant, repose-toi. Tu auras besoin de toutes tes forces pour affronter cette nouvelle vie.

La déesse tourna les talons et quitta la chambre, satisfaite de sa victoire. Quand elle arriva à hauteur de l’un de ses sbires, elle le congratula :

  • Beau travail, Styx.
  • Merci Maîtresse, répondit le rouquin avec déférence.

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Ainsi s'achève ce défi, ce qu'il arrivera à Laureley et à Khamsin est une autre histoire...

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