XIX

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8 mars

Qu’est-ce qui m’a pris ! C’est trop tôt ! Je n’y arriverais pas…

  Stop à ces pensées assassines !

  Assise dans la douche, l’eau chaude ruissèle sur ma peau nue. Lorsqu’Hélène a entendu mon histoire, elle s’est montrée compatissante. Manie ne m’a pas trahie et elle a gardé le secret. Le sujet de mon témoignage est des plus actuelle. Néanmoins, l’avocate a hésité à me programmer au colloque en raison du 6 avril prochain. L’enjeu de cette date étant prioritaire, j’ai du convaincre les Amazones que j’étais capable d’assurer celle du 8 mars.

 Du moins, je l’étais avant le jour J !

  On frappe à la porte de la salle de bain.

  • Noëlie, c’est Anne-Sophie. Tout va bien ? Ça fait un moment que tu es sous la douche.

  Je ne réagis pas. Je suis concentrée sur la sensation de l’eau sur ma peau et sur le bruit du ruissèlement. Clin d’œil à Yassim. La crise ne s'est pas déclenchée.

  Anne-Sophie actionne la poignée, mais se heurte à la serrure verrouillée. Je gonfle et dégonfle d’air mon ventre dans un rythme régulier. Je ne peux pas répondre. Finalement, elle quitte l’appartement. Trente secondes plus tard, j’entends plusieurs pas se précipiter.

  • Noëlie, c’est Christelle. Réponds ?

Les filles, je suis occupée !

  • Okay ! Je te préviens si tu n’ouvres pas, je demande à Franck de la défoncer !

Et prendre le risque qu’il me voit à poil...

  J’attrape une serviette et ouvre la porte. Malgré sa peau foncée, Christelle est blême et Anne-Sophie à deux doigts de tomber dans les pommes.

  • Tu n’es pas obligée, me dit Christelle. On a été très claires, si tu ne te le sens pas, on annule !

  Je ne suis pas en forme. Mon état d’anxiété s’est réveillé et m’a extirpé trop tôt de mon sommeil ce matin. Pourtant, je suis déterminée à aller au bout de cette journée.

***

  Anne-Sophie est littéralement sur mes talons. La pseudo-crise du matin l’a mis en alerte. La villa est en ébullition en ce jour qui célèbre la Femme. Le souvenir de Viviane est présent et prend tout son sens.

  Direction le centre-ville. Quelqu’un me colle une pancarte à la main : « Liberté, égalité, sororité ». Mouais ! J’aurais préféré celle de Christelle : « Qu’on continue de garder le silence ? Y’a pas moyen Djadja ».

  En revanche, je souris en voyant le carton brandi de Franck : « I’m Feminist – The girlpower ». Jouer sur les stéréotypes, la spécialité des Amazones. Martine, la clope au bec et habillée d’un gilet orange, fait parti de la sécurité du cortège. Décidemment, ris-je intérieurement, elle représente à elle seule tous les clichés de l’image erronée de la femme féministe. Simone et Anne-Sophie sont parées d’un bandeau rouge noué dans les cheveux, tel Rocky, sans oublier les deux traits verts à chaque joue.

  La place Clémenceau est noire de monde. J’ai participé à peu de manifestations mais vivre cette cohésion me réchauffe le cœur. Tous différents de convictions, mais solidaire dans une cause commune.

  Des slogans provocateurs et humoristiques circulent dans la foule. Je croise un groupe de femmes déguisées. Elles sont couvertes de sang et de bleus sur le visage. C’est tellement réaliste, que j’en viens à espérer que ce ne soit vraiment que du maquillage.

  Les Amazones sont toutes présentes sans exception. Sarah, sur un vélo, tracte une remorque où est confortablement installée Jeanne. La vieille dame tient entre les mains un bout de carton qu’elle a fabriqué elle-même : « Mesdames, le viol conjugal est reconnu. Portez plainte ! ». Quand à Hélène, elle a du manger du Jeff parce qu’elle est en mode commando. A ses côtés, Pierre la dévore des yeux. Il est chou celui-ci !

  Le cortège se met enfin en route à 11h au grand soulagement d’Hélène qui craignait un bouleversement dans son organisation. On hurle les slogans encouragés par l’avocate à travers un haut-parleur. Je ne sais pas combien de temps je marche, mais ma gorge me brule, tellement je crie, emportée par l’ambiante de la manifestation.

  Manie et Juliette sont devant moi. J’observe les manifestants de tout âge en luttent pour l’égalité. Tant de discriminations et de crimes envers les femmes ne devraient plus être d’actualité de nos jours. De la même façon que le mariage arrangé dans les années 50, hashtag Viviane.

  Il y a encore deux ans, j’encourageais ces actions devant mon écran de télévision en me révoltant des injustices sans prendre le parti d’agir. Aujourd’hui, je suis engagée dans la cause.

Tu t’attendais à ça, Laura ? souris-je en brandissant ma pancarte le plus haut possible vers le ciel.

  • Salut !

  A côté de moi, s’est faufilé Rémi. Je suis contente qu’il soit là.

  • Quelle drogue avez-vous administré à ma mère ? ironise-t-il en regardant Anne-Sophie avec son foulard, son maquillage rebelle et son point levé criant les slogans d’Hélène.
  • Secret de femmes ! réponds-je.
  • Dis-donc, ce n’est pas sexiste ça ?

  Je craque. Il est beau, drôle et adorable. Les palpitations de mon cœur s’accélèrent et cette fois-ci elles sont loin d'être désagréable.

  La manifestation touche à sa fin, il est temps de se diriger vers le lieu du colloque. Hélène est sur le qui-vive, elle court partout.

  • Bonjour Rémi, dit-elle avant de m’accaparer. Je ne te raconte pas le stress que j’ai !
  • Tu passes tes journées à plaidoyer dans un tribunal. Ce n’est pas l’animation d’un colloque qui va te faire peur ! l’encouragé-je.
  • J’ai la pression. Je ne veux pas décevoir des femmes aussi courageuses que toi.

  Je suis touchée par son aveu. Elle est tellement plus téméraire et combative. Elle me prend dans ses bras et ajoute :

  • Si tu changes d’avis, j’ai prévu un plan B. Ne t’oblige pas à monter sur l’estrade, d’accord ?
  • Hélène ? l’appelle Simone, il faut commencer.

  Elle me fait un clin d’œil et s’éloigne. Rémi se rapproche.

  • Tu as pris la bonne décision. Tu es une super-héroïne ! rit-il en me bousculant affectueusement avec son épaule.
  • Attends ! La journée n’est pas terminée.
  • Tu vas y arriver, dit-il plus sérieusement. Il faut que tu le fasses ! Pour toi et pour toutes les autres.

Et pour Laura aussi.

  La salle est bondée de monde. Il n’y a pas assez de sièges. Les escaliers, le devant de l’estrade et même les murs sont occupés. La pression monte.

C’est normal ! me raisonné-je.

  Christelle garde un œil sur moi, et Sarah, en compagnie de Jeanne, me mime un étranglement. Je crois que la vieille dame lui tape sur le système.

  Le colloque commence. L’introduction est concentrée sur l’histoire du courant féministe et des spécificités des quatre vagues, analysées par Manie et Juliette. Puis, le débat consacré à la PMA glisse vers celui de la GPA, au grand dam des intervenants et surtout de Martine. Notre animatrice de choc est parfaite dans son rôle. Habilement, Hélène recentre les discussions et introduit la seconde partie de l’après-midi.

  Je ne sais pas quels sont les sujets abordés, j’ai décroché rapidement après le début. Je suis stressée et je veille à écouter mon corps pour anticiper une perte de contrôle. De temps en temps, les spectateurs réagissent par des applaudissements ou des huées. Certains quittent la salle, manifestement désabusés.

  On y est ! Hélène appelle Coralie, une de ses clientes, qui monte sur l’estrade. Après elle, c’est mon tour. La jeune fille de l’âge de Sarah est émue. Je détourne le regard, la souffrance que je lis sur son visage m’atteint le cœur. J’aurais du boucher mes oreilles, ses mots me retournent les tripes. Sa mère a été assassinée par son compagnon. Une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son conjoint en France.

  • En 2017, rappelle Hélène, 220 000 femmes ont été victimes de violences conjugales.

  Je ne vais pas y arriver !

  Coralie est remerciée pour son courage et les applaudissements redoublent d’intensité. C’est à moi.

  J’étouffe !

  Je perds le contrôle, plus rien de ce que j'entreprends ne fonctionne.

  Il faut que je sorte de là !

  Mes jambes se mettent en mouvement automatiquement et j'atteinds la porte me menant à l'extérieur. La clarté du ciel nuageux m’éblouit, mais l’air frais qui entre dans mes poumons me soulage. La voix de Christelle parvient derrière mon dos.

  • Noëlie, ça va ? dit-elle en me rattrapant. Tu veux arrêter ?

  J’acquiesce au moment où Rémi nous rejoint.

  • Tu ne vas pas laisser tomber maintenant ?

  Christelle le foudroie du regard, ce qui ne l’empêche pas d’ajouter :

  • Tu ne vas pas lâcher les Amazones ? Ou ces femmes dans le public qui n’attendent qu’un encouragement pour dénoncer la maltraitance dont elles sont victimes ?

  Sa réplique me laisse sans voix, même si elle est prononcée avec tact. Elle cloue momentanément le bec à Christelle, mais elle retrouve sa répartie rapidement.

  • T’es sérieux ? L'ébola t’a bouffé le cerveau, ou quoi ? Ne t’inquiète pas pour les Amazones, mec !

  Elle poursuit à mon attention.

  • Le plan B, c’est Jeanne !

  Néanmoins, Christelle s’agite et lance des éclairs en direction de Rémi. Elle a visiblement besoin de me dire autre chose, mais les mots ont du mal à sortir de sa bouche.

  • Roooh ! s’agace-t-elle. Ça me coûte de l’avouer, mais… Il n’a pas tort, le gros béta !

  A sa réplique, Rémi se met à sourire de satisfaction comme… un gros béta.

  • Juliette et Manie t’attendent sur l’estrade. Hélène compte sur toi. Et le plus important, c’est Sarah. Tu es son modèle ! Quel message tu lui transmets, hein ? Fuis le plus loin possible, ma fille, et cache-toi dans un trou de souris !?
  • C’est l’occasion d’affronter tes peurs, m’encourage Rémi. Ici, personne ne te juge !

  Il a raison. Ce ne sera pas le cas le 6 avril. Le gros béta s’approche de moi, Christelle s’évince volontairement. Je me retiens de me lover dans ses bras. Il attrape ma main.

  • On y va !

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