IX

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  Lisa est un petit bout de femme chaleureuse et énergique. Contrairement à la luminothérapie, nous sommes un groupe d’une dizaine de personnes à participer à la séance de yoga. J’ai toujours eu envie de tester cette discipline. Je me considère assez souple pour effectuer à la perfection la salutation au soleil. J’attendais ce cours avec impatience.

  Notre professeur nous invite à retirer nos chaussures avant de monter sur le tatami.

  • Bonjour à tous, dit-elle de sa douce voix. Je souhaite la bienvenue aux nouveaux arrivants, en espérant que vous apprécierez votre séance de yoga du rire.

  La séance de yoga du quoi ???

***

  Je suis encore hilare lorsque je sors de l’atelier. J’ai adoré Lisa, le yoga du rire et les autres participants. Certes, j’ai été sceptique les quinze premières minutes, voire réticence à participer aux exercices, tellement je trouvais leurs principes ridicules. Se forcer à rire en usant d’expressions artificielles tout en se mettant en scène, ce n’EST pas pour moi ! Enfin, ETAIT, parce que lorsque je me suis prise au jeu, je me suis éclatée ! C’était génial ! Je n’ai pensé à rien ! Une véritable déconnection de mon cerveau. Que ça fait du bien !

  Après avoir dit au revoir au groupe et précisé au moins une dizaine de fois à Lisa que je serais présente la semaine prochaine, je prends la direction de Lescar où j’ai promis à Simone de la rejoindre dans une imprimerie.

  • Je ne t’ai pas trop fait attendre ? Lui demandé-je lorsqu’elle s’installe sur le siège passager, après avoir déposé plusieurs cartons dans le coffre.
  • Pas du tout. Merci de me récupérer. Manie avait besoin du véhicule pour amener Viviane chez le cardiologue.

  Simone est un rayon de soleil, et je ne le dis pas seulement à cause de la couleur jaune de ses cheveux décolorés, coupés au carré. Divorcée cinq fois, elle croque la vie à pleins dentiers. Je défie quiconque de ne pas l’aimer.

  • Comment te sens-tu depuis hier soir ? me demande-t-elle.

Sarah a paniqué lorsque j’ai fait ma crise et elle est allée chercher de l’aide à l’assemblée générale. Manie et Simone ont veillé sur moi jusqu’à ce que je me rétablisse.

  • Ça va… Je sors d’une séance de yoga du rire, dis-je enthousiaste.
  • Chanmé ! Le yoga du rire, c’est déclassé.

  Sacrée Simone !

  Mes narines sont transcendées par l’humage apetissant répandu du hall d’entrée de la maison jusqu’à la cuisine. D’après Simone, Anne-Sophie est de « fourneaux » et c’est une excellente nouvelle puisque la colocataire est un véritable cordon bleu.

  J’ai faim et je n’ai pas fait les courses. J’espère qu’il y a un Quick pas loin. Mais avant, j’aide au déchargement des cartons. A l’intérieur, je découvre des milliers de flyers à l’effigie de l’association des Amazones qui informe de l’organisation d’un colloque le 8 mars, pour la journée des droits des femmes.

  Dans la cuisine, Anne-Sophie chantonne un air enjoué, tout en s’affairant à sa tâche. Elle affiche un sourire béat.

  • L’avion de mon fils a décollé d’Afrique. Mon bébé rentre à la maison ! S’exclame-t-elle toute excitée.
  • Quel âge à ton « bébé » ? l’interrogé-je.
  • Trente-et-un ans, rit-elle consciente de mon ironie.

  Le grand bébé à sa maman ! Il est temps de prendre congé, mes entrailles crient famine. C’est sans compter sur l’insistance d’Anne-Sophie qui m’installe de force face au couvert déjà prévu pour moi.

  • Au Quick, n’importe quoi ! s’indigne-t-elle.

  Les colocataires, ainsi que Sarah et moi-même, avons à peine commencé à servir l’entrée qu’une jeune-femme d’à peu près mon âge et … d’à peu près mon staïle fait son apparition dans la salle à manger en tirant une valise à roulettes. Je pense savoir de qui il s’agit.

  • Salut, moi c’est Hélène, enchantée Noëlie, me dit-elle lorsque vient le tour des présentations.

  Elle a des cheveux châtains clairs mi-longs et le visage plus rond qu’ovale. Elle est habillée classe. Peut-être avons-nous le même style vestimentaire, mais niveau charisme elle me bat à plate couture.

  • Ce sont les flyers ? dit-elle en fouillant dans les cartons. Ils sont parfaits ! s’extasie-t-elle. Bon boulot, Simone.
  • Tu manges avec nous, Hélène.
  • C’est gentil Anne-So, mais je…
  • Ce n’était pas une question, réplique la jeune retraitée.

  Les lasagnes aux légumes sont aussi délicieuses que leur odeur le présageait. Je n’aurais peut-être pas du le dire à haute voix, parce que Manie me ressert trois fois, en balayant mes oppositions par le motif d’un besoin évident de me remplumer.

  Autour de la table, les habitantes du Domaines des Amazones sont presque au complet. Seule manque Christelle, le courant d’air.

  Plus je cerne Hélène, et mieux je comprends pourquoi elle exaspère Martine. Elle renvoie une assurance déconcertante et assume ses positions en public sans sourciller. C’est le genre de personnalité qui peut vite énerver si on ne maitrise pas le self-control.

  Hélène a dépassé la trentaine et est avocate spécialisée dans la défense des droits des femmes. De plus est, elle est trésorière de l’association des Amazones et habite le Domaine depuis quatre ans.

  • Vous avez entendu ce que le Sénat a suggéré concernant le projet de loi sur la PMA ? Dit-elle d’un ton révolté.
  • Quelle foutaise ce sujet ! s’exclame Martine, à mon grand étonnement.

  Hélène est visiblement ennuyée par la remarque, mais elle prend le parti de l’ignorer.

  • Il remet en question le remboursement de la Sécurité Sociale pour les couples lesbiens et les femmes célibataires. Je suis verte.

  Il n’en faut pas plus pour déclencher un débat autour de la table.

  • Leur argument principal, s’agace l’avocate, okay on n’autorise la PMA pour toutes les femmes, mais on ne demande pas à notre chère Société HY-PO-CRI-TE de contribuer au financement d’un choix de maternité des célibataires ou homosexuelles.

  S’élèvent des commentaires pour la plupart de mécontentement, mais pas seulement au regard de l’attitude de Martine.

  • Et toi Noëlie ? me demande Hélène. Qu’en penses-tu ?

  La fourchette dans la bouche, j’entrevois toutes les paires d’yeux m’observer. La pression monte. Que m’arrive-t-il si je réponds de travers ? Je serais chassée à coups de pieds aux fesses ?

  • Je pense, me lancé-je, que si dans l’hypothèse l’Assemblée Nationale maintient cette direction, il faut arrêter le remboursement de l’IVG par la Sécurité Sociale.

  Je n’aurais pas du commencer mon argumentaire sous cet angle. Le temps se fige, l’atmosphère devient glaciale, même les mouches n’osent pas voler. Choquer pour susciter l’attention, avant d’expliquer. D’habitude, ma stratégie fonctionne. Du moins dans le milieu professionnel. Tu n’es pas au boulot, ma fille !

  • Alors ça, je ne m’y attendais pas, s’exclame Martine abasourdie.

  Même Sarah est choquée.

  • T’es sérieuse là ?
  • Mais Noëlie, si … commence Manie la figure décomposée.

  Okay, on arrête les dégâts. Je suis trop jeune pour mourir !

  • - Si cette loi est votée en bannissant la prise en charge dans le cadre de la Solidarité, alors pourquoi l’IVG serait remboursée ?
  • Je ne comprends pas le lien, affirme Martine attentive.
  • Ça n’a pas de sens ! Autre exemple. Pourquoi les couples stériles hétérosexuels auraient-ils le droit à la PMA prise en charge financièrement, et non pas les célibataires ou les couples lesbiens. Après tout, ces femmes aussi sont infertiles de par leurs situations. Pourquoi dans des conditions similaires doit-on différencier les orientations sexuelles ou le choix de devenir mère seule ? C’est paradoxal et anti-égalitaire. La Solidarité doit fonctionner dans un seul sens : pour tous ou pour personne. Je crois que cette question n’est pas seulement qu’un problème de Santé.

  Hélène fait une moue de satisfaction et Manie est ouvertement soulagée. C’était moins une avant la lapidation. Seule Martine ne me lâche pas du regard :

  • Je n’ai toujours pas compris. Tu es POUR ou CONTRE ?

  Ce n’est pas qu’une impression, Martine est réellement rigide.

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