Où je me prends pour un toréro

6 minutes de lecture

Eric me secoue si fort pour me réveiller que je manque d’en tomber du lit. Il a ouvert les volets de la chambre et un grand soleil perce à la fenêtre, ce qui est très désagréable. Cela va s’en dire, je ne me sens pas très bien. Comme dit un ami cowboy, j’ai des indiens qui font la danse de la pluie sur mon scalp. Ma bouche est sèche comme le désert du Sahara et ma langue semble peser une tonne.

Eric me sourit d’un air compréhensif.

« Allez, debout Marcel ! Il est déjà 10h30 et il ne faut pas traîner. »

10h30 !?! Je n’ai dormi que trois heures !

« Laisse-moi tranquille, répondis-je en me retournant. Réveille-moi à midi !

- Non, c’est pas possible. On doit être à la Campo Charro à midi.  Lève-toi ! »

Je me retourne, le regard vitreux et haineux. Mais Eric ne se démonte pas. Au contraire, son visage affiche un sourire paternel et bienfaisant. De plus, il me tend un verre contenant un liquide trouble et pétillant. De l’Efferalgan vitaminé ! Un remède ultime contre la gueule de bois ! A grand effort, je m’assois au bord du lit. Le monde tourne autour de moi et je manque de défaillir. En plus, l’ensemble de mes muscles se joignent pour me faire souffrir ; la marche et la danse ont eu raison de moi hier soir…

J’avale le contenu du verre et me retiens de ne pas tout vomir. Je ferme les yeux et essaie de me recentrer. Puis, d’une volonté de fer, je me redresse et arrive à me mettre debout. J’ouvre les yeux pour me rendre compte que je suis encore habillé comme la veille. Sauf que mes habits sont bien loin d’être encore blancs ! Mes bas de pantalons tirent plutôt sur le noir, j’ai des accros sur les fesses et ma chemise est constellée de tâches roses. Je me souviens alors de cette jeune fille qui a trébuché et a renversé sa bouteille de Jacqueline sur moi. Pfff… Maintenant je comprends pourquoi il y avait deux tenues sur mon lit hier matin !

Eric éclate de rire !

« Allez Marcel, viens à la cuisine ! Je t’ai fait un bon café. Ca va te retaper. »

 

Je rejoins Eric dans la cuisine. Nadège y est aussi, encore debout malgré sa nuit de boulot. Elle me regarde d’un air compatissant, mais a vraiment du mal à se retenir de rire.

« Vous avez apparemment passé une bonne soirée les garçons ! », s’exclame-t-elle. Puis, elle embrasse Eric sur le front et dit qu’elle va se coucher. La traîtresse ! Je la soupçonne de n’être restée éveillée que pour voir ma tête au réveil !!!

Deux cafés et une douche de vingt minutes brulante plus tard, je me sens mieux. Mes muscles se sont un peu déverrouillés et je souffre moins. Ce n’est pas la grande forme mais je peux fonctionner. Eric, au contraire, semble être comme normal. J’en suis un peu jaloux. De toute façon, le p’tit a toujours été plus en forme que moi.

« Quel est le programme aujourd’hui ?, je demande.

- Nous avons rendez-vous à la Peña Campo Charro pour retrouver quelques amis. Il y aura aussi une surprise pour toi. »

Le mot « surprise » me fait lever un sourcil, mais Eric n’en prend pas compte et continue :

« Ensuite, je te propose d’y aller un peu mollo, vu ce qu’on a fait hier soir. On pourrait aller manger un bout puis ensuite passer au commissariat comme on a promis hier. »

J’ai quelques vagues souvenirs de cette promesse. Ceci dit, l’idée d’y aller tranquille cet après-midi me semble très bonne. J’acquiesce.

Un café de plus et une chemise propre passée, nous voilà à nouveau en route vers la ville. Toujours pas en état de conduire, c’est l’oncle d’Eric qui nous dépose.

 

Eric m’explique que la Peña Campo Charro est une des institutions des Férias Dax. Depuis plus de vingt ans, elle s’est donnée comme mission de faire découvrir et partager sa passion de la tauromachie. Comme je n’ai aucun avis là-dessus, par manque de connaissance et surtout d’intérêt, ça ne me dérange pas trop. Nous garons la voiture et allons vers la peña dont l’entrée est sur la rue Saint-Vincent-de-Paul. La grande porte est une arche qui débouche sur une ruelle au sol en pierre. A droite, l’entrée au bâtiment qui est fermée. A gauche, un bar extérieur style ranchero, avec ses barriques cerclées de fer et ses palissades en bois. Et au fond, le plus étonnant, une sorte de mini-arène. Le couloir est tout droit et fait moins de cent mètres. Lorsque nous y pénétrons, la foule est dense. Fidèle à l’ambiance des Férias, la musique est forte, sauf que celle-ci est celle de corrida, les gens parlent fort, mangent et boivent.

Eric me dit de le suivre et se dirige vers le bar. Apparemment, il connaît un des membres de la peña derrière le bar car il va le saluer. Il revient quelques minutes plus tard avec deux verres de vin rosé, ainsi qu’une petite assiette dont je ne reconnais pas le contenu.

« Des cœurs de canards à la plancha faits en persillade », précise-t-il. Il en avale un.

Je ne suis pas très fort pour les abats donc j’hésite à me servir. Ceci dit, « à Rome on fait comme les Romains » donc j’en prends un et le mets dans ma bouche. Je m’attends à détester et tout cracher mais il n’en est rien. Au contraire, la texture est tendre et le goût est agréable. La viande relevée par le sel et le persil est bonne et finalement c’est très agréable. Je me ressers.

« Tu m’avais parlé d’une surprise ?, dis-je à mon ami.

- Oui, mais pas encore. Il faut attendre 13h13. En attendant, viens ! Je vais te présenter quelques amis. »

Alors que nous nous avançons vers le bar, je remarque du coin de l’œil la présence de la Croix Rouge. Mon esprit doit être engourdi car je ne deviens pas suspicieux. Puis Eric me présent d’autres amis et nous commençons à discuter.

Une heure plus tard, Eric me signale qu’il est temps et nous nous rapprochons de la porte d’entrée de la Peña. Au micro, un homme annonce qu’il est l’heure du « plus petit encierro du monde » ! Il engage ceux qui veulent participer à s’approcher de la porte et se préparer. Bien évidemment, c’est interdit aux plus jeunes.

Ne sachant pas ce qu’est un encierro, je n’ai aucune idée de ce qui va m’arriver. Les participants comme nous s’approchent eux aussi. Les gens restant sur le côté nous acclament et j’entends même certains faire des pronostics.

Je regarde Eric d’un air interrogateur. Eric, au contraire,  a un regard semi-amusé.

« Tu vas m’expliquer ?

- C’est très simple. Dans une minute, ils vont ouvrir la porte derrière nous et les pastores vont lâcher les vachettes sauvages. Le jeu est de courir au plus vite est d’arriver avant elle dans l’arène. »

Mes yeux s’ouvrent en grand et je prends un air effaré.

« Tu veux dire que nous allons courir devant les taureaux ?!?

- Ce ne sont pas des taureaux mais des vachettes. Elles sont bien moins dangereuses. Et puis ce n’est qu’une courte distance : 69m. Bon maintenant, quelques conseils : 1- Tu ne t’arrêtes pas tant que tu n’es pas dans l’arène. 2- Une fois dedans, tu sautes sur la palissade et tu passes de l’autre côté. 3- Si tu te fais attraper par une vachette, tu te mets à terre et tu te protèges la tête et les… parties génitales. Mais bien sûr, le mieux c’est de ne pas se faire rattraper.

- Mais c’est complètement fou !, m’écriais-je. Pourquoi je ferais ça ?

- Parce que c’est la tradition, me réponds Eric avec un clin d’œil. Allez, tiens-toi prêt ! »

Je ne sais pas s’il vous est déjà arrivé de courir pour sauver votre vie. Même moi, malgré mon métier parfois dangereux, cela ne m’est arrivé qu’une ou deux fois. Mais je peux vous dire que maintenant, je cours à cœur perdu, ne me souciant de rien d’autre que de ma propre survie. Lorsqu’ils ont ouvert la porte derrière nous, je ne me suis même pas retourné. Je me suis élancé à toute vitesse, ignorant mon état de fatigue, mes courbatures et même les autres autour de moi. Je sentais le souffle chaud de la vachette sur mon cou et j’ai redoublé de force et de vitesse. Tout juste arrivé dans la toute petite arène, je saute comme un cabri sur la palissade pour me retrouver de l’autre côté. Mon cœur bat à rompre dans ma poitrine et je suis trempé de sueur. Puis soudain je remarque le bruit tout autour de moi et j’entends les acclamations de joies et de félicitations. Puis derrière moi éclate le rire d’Eric. Il me donne une grande tape dans le dos :

« Bravo Marcel ! Je ne te pensais pas capable de courir aussi vite ! Voici une émotion digne des Férias de Dax ! »

Je me retiens de lui mettre mon poing dans la figure. Au contraire, sous l’effet de l’adrénaline, je ris à mon tour. Effectivement, les Férias de Dax ne m’auront pas épargné.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Julien Be ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0