8 Mai

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Alyson remercia d'un sourire sa bière. Elle porta le verre à ses lèvres, et savoura pleinement la fraîcheur de la boisson. Rien de tel qu'un breuvage tel que celui ci pour mettre la comédienne de bonne humeur. Non que la jeune femme soit une alcoolique notoire, ça non. Elle avait conscience qu'elle ne devait pas en abuser... Mais elle appréciait de manière déraisonnable la bière. Oh raison et sentiments ! Pourquoi vous battre sans cesse ?

- Alors on boit sans moi ?

La jeune femme noya son regard dans sa boisson.

- Je sais que ton ego en prendrait un sacré coup, mais je peux vivre sans toi mon cher Ric.

L'intéressé sourit en levant les yeux au ciel.

- Est ce vraiment sûr de me parler ici ?

- Il faut bien que j'ai l'air d'avoir des contacts. Je ne suis pas officiellement promu, je ne risque rien pour l'instant. Et puis, tenir compagnie à Alyson Dale, quoi de mieux pour parfaire ma réputation d'anti-royaliste ?

Elle leva les yeux au ciel. Ric la considéra un instant avant de commander un whisky. Alyson ouvrit des yeux ronds.

- Quoi ? Tu as le droit à ça ?

- Et oui, tu vois, l'armée c'est pas si mal. On a certains privilèges. Consommer de l'alcool fort en fait partie !

Il fallait bien avouer que cette fichue loi emmerdait royalement Alyson, ainsi que pas mal d'habitués des pubs. Interdiction de boire de l'alcool fort, et puis quoi encore !... La plupart des gens ne disaient rien, convaincus que le dictateur avait raison. Oups pardon, que le Guide avait raison. Guide, tu parles. Le barman tendit son verre à Ric, souriant et fier d'avoir un militaire de la garde dans son établissement. Dès qu'il tourna le regard, Alyson s'empara de son verre et le but d'une traite. Ric n'eut pas le temps de l'en empêcher, la regarda, consterné.

- Je rêve là ?

- Ric, je m'en serais vraiment voulu si tu avais fini un peu trop saoule. Imagine ta réputation si on te retrouvait complètement sous l'empire de l'alcool à chanter des chansons populaires. Tu peux me remercier.

Le jeune homme soupira, agacé.

- C'est vrai que toi tu n'as aucune renommée à défendre... fit-il, amer. C'est ça les artistes ? C'est ça qu'on t'apprend ?

- Chacun son école. En l'occurrence les artistes n'en ont pas.

Alyson avait décidément un don hors du commun pour mettre Ric hors de lui. Elle si passionnée, spontanée. Lui si modéré, calme. Ils formaient vraiment une drôle de paire. Et ce, pour le meilleur et pour le pire. La Résistance les avait unis dans une lutte commune, un destin semblable, des vies similairement incompatibles. Ric commanda un deuxième whisky, malgré l'air interrogateur du gérant. Excellent, maintenant il allait passer pour un dépendant à la boisson, merci Alyson ! L'intéressée afficha un sourire espiègle.

- Prête pour demain ?

- Si tu essaies de me dissuader d'y aller, peine perdue cher militaire fermement convaincu que je n'y ai pas ma place.

- Ce n'est pas ce que j...

- Pitié. Si tu ne veux respecter mon métier, accorde moi au moins ça.

Elle n'avait pas dit ça d'un ton méchant, au contraire. Alyson avait cette capacité de toujours répondre par un sourire soit ironique soit sincère. Elle s'aperçut alors

qu'une belle brune regardait dans leur direction depuis un bon moment. L'heure tournait, et la jeune femme savait qu'elle ne devait pas traîner pour être en forme pour demain.

- Bon, je te laisse en bonne compagnie Casanova, je rentre chez moi.

Devant son air interrogateur, elle désigna discrètement l'admiratrice de Ric, avant de descendre de son tabouret.

- Oh reste, dit-il en soupirant.

- Et tenir la chandelle ? Certainement pas.

- Tu n'arrêtes dont jamais ?

Alyson fit mine de réfléchir avant de secouer la tête énergiquement. Elle afficha un dernier sourire et lui souhaita une « raisonnable » soirée.

La jeune femme poussa la porte du bar et se retrouva dans la fraîcheur d'une nuit de printemps. Elle se laissa envelopper de cette sensation qu'elle affectionnait particulièrement. Les rues étaient calmes, le silence était roi. Finalement, toutes les nuits se ressemblaient, toutes les soirées étaient semblables de prime abord. Et pourtant ! Pourtant le destin de chacun était différent. Pourtant, il ne se passait jamais la même chose. La vie avait cette particularité de tout rendre similaire d'aspect, alors qu'à l'intérieur de la boîte, c'était des confettis. Mais jamais les mêmes confettis. Toujours des couleurs différentes, des formes qui se déplacent, qui volent, s'envolent, décollent, des paroles parfois. Des paroles des possibilités, des opportunités.

C'est en reprensant à la soirée de la veille qu'elle se rendit compte qu'elle ne pouvait échouer. Qu'il fallait qu'elle libère tous ces confettis. Ou plutôt, ce gens. Sous un jour ordinaire se cachait des destins extraordinaires. Cachés par le souffle du vent, des esprits en pleine effervescence. Derrière les nuages, une peur et un enjeu tout particulier.

Le plan paraissait simple. Alyson Dale, l'écrivaine, était convoquée par un des responsables de la milice pour recevoir une réédition de son permis. Maintenant que le dictateur était au pouvoir, les artistes avaient besoin d'un permis pour pouvoir être publiés sans encombres. Alyson, bien que résistante, n'avait, en deux mois, pas éveillé les soupçons sur son orientation politique. Elle apparaissait comme relativement neutre vis à vis du Guide, et sa notoriété dans la ville agissait comme un filme protecteur.

Un jeu d'enfant, n'est ce pas ?

Soupirant une dernière fois, la jeune femme avança dans l'allée jusqu'à l'imposante porte noire. Elle la poussa doucement, et se dirigea vers la secrétaire.

- Bonjour, Alyson Dale.

La jeune femme leva enfin les yeux de son registre. Elle avait de longs cheveux blonds, des yeux foncés et profonds, et une taille fine. Elle était à peine plus âgée qu'Alyson, et portait fièrement son uniforme à l'effigie d'Horace Miles. Elle était affreusement laide.

- M. Mann vous attend dans son bureau, suivez moi.

Sa voix était froide, impersonnelle, détachée. Elle garda le silence tout le trajet. Une fois devant la porte de l'intéressé, elle frappa trois fois, puis ouvrit la porte, annonça la comédienne et repartit sans un regard. Alyson s'avança.

- Bonjour Mlle Dale, asseyez vous je vous prie, fit-il avec un geste. Vous venez pour votre permis je suppose ?

Elle acquiesça. Son ton bienveillant sonnait faux. Il la détailla entièrement. Son regard pesa sur chaque partie de son corps. Les fenêtres ne laissaient pas rentrer beaucoup de lumière, et les meubles paraissaient ternes, morts. Les classeurs, les piles de documents rangés s'effaçaient dans cette ambiance inanimée. Dans le coin, la plante décolorée lui fit froid dans le dos. Alyson ne se sentit pas à sa place. Elle se sentit comme le seul être vivant de cet espace. L'air était lourd. M. Mann rassembla quelques papiers devant lui, en signa deux ou trois, fit une pile qu'il rangea dans une pochette de carton avant de lui tendre les documents. Il tira une nouvelle feuille de son tiroir de gauche, et reporta avec insistance son regard sur Alyson. A nouveau, il détailla l'entièreté de son corps.

- Voilà vous avez juste à signer en bas ici. Vous garantissez ainsi que toutes vos productions n'iront jamais à l'encontre de la politique et des valeurs d'Horace Miles ainsi que ses décisions. J'ai également besoin de votre aval oral, dit-il d'une voix doucereuse.

Jamais de la vie. Si elle avait pu cracher au visage de M. Mann, là tout de suite, elle l'aurait fait. Jurer sur la constitution ? Enfin, pouvait on appeler cela une constitution ? Elle n'en possédait que le nom !

- Je prête serment sur la constitution rédigée par Horace Miles que toutes mes intentions ne s'orientent que dans un but : glorifier et respecter Horace Miles.

Alyson cacha du mieux qu'elle put son dégoût.

- Ce sera tout monsieur ? demanda-t-elle avec la froideur qu'elle aimait revêtir face à ces gens.

- Et bien oui, tout m'a l'air en ordre.

La jeune femme se saisit de tous les documents et se leva.

- Au revoir M. Mann.

- A bientôt, Mademoiselle. J'espère Mademoiselle et non Madame.

Alyson le dévisagea, interdite. Un sourire malsain s'installa sur son visage. La porte s'ouvrir en fracas et Ric apparut dans l'embrasure, essoufflé.

- Monsieur, pardon de vous déranger, mais nous avons un souci. Le sud du bâtiment est en feu, on ne sait pas ce qui se passe. Il faut que vous veniez tout de suite donner les ordres et assurer la sécurité, demande expresse du général.

Déconcerté, M. Mann bondit de son siège et se précipita dans le couloir.

- Prenez les clés M. Bardek. Faîtes sortir Mlle Dale, fermez, et avertissez le service de l'information.

L'intéressé acquiesça, ferma la porte le temps que Mann disparaisse par la porte de l'escalier.

- On dirait que Frédéric et Caleb ont réussi leur coup. Le couloir est vide, j'ai déjà fait sortir tout le monde, dépêche toi.

Sur ce, il courut rejoindre M. Mann. Alyson, se remémorant les indications de Ric, savait qu'elle n'avait qu'à descendre un étage, traverser deux couloirs et c'était la deuxième porte de gauche. Porte cachée, difficile de la trouver. Il n'y avait que M. Mann qui avait les clés de cet endroit. A se souvenir, facile, à y aller, plus difficile. La jeune femme avançait vite, faisant semblant de déserter le bâtiment en raison de l'alerte. Elle aperçut enfin la porte. Elle évalua la situation plusieurs fois avant de se ruer vers celle-ci. Elle entendit du bruit au bout du couloir. Il y avait dix clés sur le trousseau. Elle en essaya une première. Les bruits de pas se firent plus intenses. Une deuxième, toujours pas. Les pas venaient de l'escalier. Elle plaça la troisième dans la serrure.

- Putain mais ouvre toi bordel...

Elle essaya la quatrième. La porte s'ouvrir. Celle de l'escalier s'ouvrit en fracas, Alyson n'eut pas le temps de voir qui était arrivé, elle était déjà dans la pièce. S'adossant contre la porte, elle reprit son souffle. Mais elle n'avait pas beaucoup de temps. La comédienne s'enfonça dans les petites allées de classeurs et de piles de documents. Visiblement, même si cela ne faisait qu'un mois, ils surveillaient déjà pas mal de monde. Elle remarqua que certains rares dossiers étaient pourvu d'une pastille rouge. Elle trouva finalement ceux qui l'intéressaient : Deker Harmon, Frédéric Donovan, Caleb Anderson, et Alyson Dale. Celui de Deker avait une pastille rouge. Celui de Caleb, Frédéric et Alyson avaient un point d'interrogation. Ils savaient qu'ils avaient fait partie de la Contestation. Ces dossiers étaient en attente d'une confirmation sur leur sincérité envers le régime. Il n'y avait pas celui de Ric. Sûrement que ceux concernant leurs membres étaient ailleurs, ils devaient être bien plus précieux que ceux de la population. Soudain, elle aperçut une étagère fermée à double tour. Elle chercha à utiliser les autres clés. Il ne s'agissait que des dossiers concernant les membres de la milice et du corps militaire. Elle prit le dossier de Ric. Il n'y avait que des points positifs : "Convaincu, Investi, Efficace, Intelligent, membre de la Contestation, lien avec ses anciens compagnons à surveiller." Les fiches ne contenaient pas grand chose de compromettant, Alyson se sentit soulagée. Personne, à part Deker n'était sérieusement mis en cause. Mais lui, il avait et Horace avaient été proches. Très proches. Il se méfiait de ce qu'il savait. C'est pourquoi, depuis la proclamation de la République, Deker restait terré et n'apparaissait jamais en ville. Alyson eut alors une idée, mieux valait donner un passé honorifique au groupe. La jeune femme entendit des bruits de pas dans le couloirs. Elle referma l'armoire, prit rapidement une fiche de quelqu'un insoupçonné et lambda. Elle sentit l'adrénaline monter en elle. Il fallait qu'elle vérifie qu'il n'y ait plus personne dehors. Elle ouvrit très légèrement et lentement la porte.

Personne.

La jeune femme s'efforçait de se concentrer pour que ses mains ne tremblent pas. Elle referma rapidement la porte, et courut à en avoir mal à la tête jusqu'à des escaliers. Elle voulut s'arrêter, mais elle ne pouvait pas, elle devait sortir d'ici. Le problème était qu'à force d'avoir fait des détours tout à l'heure, elle ne faisait qu'estimer sa position dans le bâtiment. Si elle ne se trompait pas, en descendant par là, elle finirait par retomber sur...

- Suis moi !

Sur Ric. Evidemment. Elle s'empressa de lui donner les clés et il lui indiqua de le suivre. Il la conduisuit dehors. Elle plongea son regard dans le sien. Ric sentit de la gratitude dans les yeux d'Alyson. Il lui fit signe de s'éloigner vite. Elle acquiesça avec un regard entendu avant de tourner les talons et de partir en courant.

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