Chapitre 24

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La nuit qui suivit le naufrage de leur embarcation fut la plus pénible depuis le départ de Cerralion. Avec la fraicheur habituelle qui accompagnait le crépuscule, ils se mirent à grelotter dans leurs vêtements trempés. Malgré le feu, les habits collaient à leur chair et le moindre souffle de vent leur donnait la chair de poule. Après quelques claquements de dents et la crainte de développer une pneumopathie, ils jetèrent la pudeur à Khéor et étendirent leurs vêtements près des flammes. Aucun des hommes ne lorgna les attributs féminins de la cavalière, la mort de Xaelio flottait toujours entre eux. Sans être laide, Kita ne possédait aucune des caractéristiques de beauté propres aux Horziennes : sa peau plus métisse que noire, ses cheveux courts, ses seins menus, sa petite taille. Néanmoins, Meorwen l’avait aimé, Maketa l’avait baisé et peu de femmes répondaient à l’ensemble de ces critères. Pour toutes ces raisons, Kita dénuda sa poitrine, dévoila son sexe en décroisant ses jambes et s’allongea près des hommes. La chaleur corporelle combinée les protégeait un tant soit peu de la nuit fraîche pendant que leurs habits séchaient. La cavalière frictionna ses bras, glissa ses mains sous sa joue. Des respirations lourdes et profondes s’élevèrent dans son dos mais la dresseuse ne trouva le sommeil. Les souvenirs d’une autre vie la hantaient.

Il était parti le sourire ce matin-là, de grandioses projets en tête à vivre et à partager. Il se sentait prêt à décrocher la victoire, pour moi. Il m’aimait et je lui étais attachée en retour. Nous étions insouciants, ivre des joies de la vie, prêts à nous battre pour ce que nous croyons juste. Notre amour l’était, sincère et dévorant, passionnel et puissant. Nous pensions ce lien indestructible, plus encore à la semence qui grandissant dans mon ventre que j’ignorais alors. Cette dernière nuit, il m’avait aimé comme il ne l’avait jamais fait. Plus que l’appel de la chair, la communion de deux âmes motivait notre étreinte, les brûlants baisers. Son départ aussi, la fièvre de sa victoire, tout était prétexte pour une dernière chevauchée. J’apprenais à cet instant que jamais mon cœur ne s’ouvrirait à un autre homme que lui, qu’il était le seul à me faire miroiter le ciel derrière des paupières clauses. Peut-être notre sang commun attisait cet amour. Je me blottissais contre lui, enlaçait son corps de mes jambes, gémissait son nom alors que ses ongles traçaient de mystérieux symboles sur mon échine. Il murmurait de séduisantes promesses que j’ai eues la faiblesse de croire comme un avenir certain. Il n’est jamais revenu.

Des bribes d’images assaillaient son esprit, pour beaucoup douloureuses.

J’ai sombré une fois qu’il est parti sans jamais réapparaitre. Cette femme qui a demandé ses services après qu’il ait gagné le concours, c’est à cause d’elle. Elle l’a envoyé à l’aventure, comme moi et n’est pas revenu. Ils avaient tous préféré penser qu’il était mort plutôt qu’un déserteur et un lâche. Nous n’en savons rien, pépia gaiement cette voix aux fond d’elle. Il aurait pu t’abandonner pour une autre. Une femme qui n’était pas sa sœur.

Jamais ! Il n’était pas un lâche !

Comment peux-tu le traiter de lâche alors que tu préfères voir son corps brisé au fond d’un ravin plutôt qu’heureux et vivant dans les bras d’une autre.

Des larmes mouillèrent ses joues, la souffrance perça son cœur. Elle s’aveuglait mais comment réagir face à une douleur qui vous perdait, qui vous invitait à toucher la folie de la paume ? Elle préférait inventer des subterfuges et inhiber une souffrance dévastatrice. Elle hurla en silence, dévoila au monde ses dents, sa langue, sa gorge, ses larmes et les tressautements de sa poitrine. Le chagrin l’emporta entière. Kita voulait griffer sa peau, briser son sternum et arracher son cœur de sa poitrine pour effacer ses tourments. Hélas, elle ne pouvait que les subir, victime de la rage du rejet, des doux sentiments qu’offraient la vengeance, de cette quête qui apportait enfin un sens à sa vie. Un hurlement silencieux creusa un puit sans fond dans sa poitrine. Elle s’endormit terrassée par ses sanglots.

La cavalière grommela lorsque ses vêtements s’écrasèrent sur elle. Réveillée depuis longtemps, elle savourait le silence de la nature qui avait gagné son esprit. Arment lui distribua un biscuit salé acheté aux Pics Rocheux. Dans leur malheur, un sac avait dévalé la cascade la veille, Galtriel l’avait repêché. Il ne contenait qu’une boîte de biscuits secs, quelques tranches de bœuf et une corde. Parmi tous les sacs que nous avons égaré, c’est celui qui contenait le moins de victuailles et d’outils qui nous échurent. Elle avala son petit-déjeuner en regrettant les ragoûts des cuisiniers de l’écurie. A ce rythme, seule la peau servirait de manteau à ses os. Kita enfila ses vêtements, le cuir rugueux frotta son ventre.

—Allons-y, les encouragea Reikoo.

Ils longèrent la rivière, abattus par la perte de leurs barques. La cavalière jeta un regard au-dessus de son épaule. La cascade se dressait majestueuse et meurtrière, grondante et belle. Les chatoiements des vaguelettes s’écrasant sur la berge à ses pieds lui rappelèrent les diamants dont se paraient les Horziennes. Que ne pouvait-elle en prendre ! Sitôt dans sa main, à l’abri de l’œil du ciel, l’onde perdait de son éclat.

Les branches se tendaient au-dessus du lac, les ombres dansaient sur les flots tranquilles et le bleu de la voûte céleste, tâchés de nuages les narguaient, s’amusaient de leurs tourments, de la sottise des peuples qui foulaient Naarhôlia. Nous sommes toujours moins stupides que Nashîms et les Hommes Bruns créés par les Dieux. Espéraient-ils cette évolution ?

Ils marchèrent quelques lieux avant de remarquer une étrange pointe verte au milieu des arbres. A peine l’auraient-ils vu si Galtriel ne les avait interpellés. Il fixait depuis quelques dizaines de pas, nota Kita, un point que ses yeux distinguaient : une dépression entre les arbres qui révélait un curieux objet. Sa posa alors la question d’explorer. Reikoo s’y opposa évidemment et Kita se porta volontaire. Ferol la soutint et Galtriel, constata-t-elle avec stupeur. Keïdan se rangea auprès de son chef. Ne restait qu’Arment qui choisit l’exploration. Ensemble, ils se dirigèrent vers l’étrange pointe. Les sous-bois se voulaient sombres, humides. Les arbres les dominaient de plusieurs pas, leurs cimes si rapprochées que le soleil ne parvenait à percer la voûte des feuilles. Les yeux s’habituaient à l’obscurité, la mousse étouffait le gémissement du sol martyrisé sous leurs semelles. Reikoo progressait le premier, hallebarde en avant. Ils craignaient de rencontrer ces hommes fauves mais l’occasion de défier Reikoo avec le soutien de tant de ses compagnons ne se représenterait plus. Elle savourait sa victoire. Ils marchèrent quelques instants en silence avant que Ferol n’abattisse son arme avec fracas sur un tronc. Les hommes pivotèrent, lui demandèrent des explications sur un tel vacarme.

—Il n’y a pas que des panthères ici, enchérit le guerrier. Il y a des cervidés aussi.

Kita ignorait pourquoi il soulignait ce détail. Les cerfs et les daims se nourrissaient de végétaux ; ils ne représentaient pas une menace. La mimique imprégnée sur le visage des hommes l’interrogea.

—Satanées bestioles. Elles auraient mieux du rester dans leurs collines.

Evoque-t-il la première dérive ? Celle qui suivit la première guerre ? La cavalière avait passé trop de peu de temps sur les routes pour saisir les diverses formes que prenait le danger. Le groupe continua sa progression mais Kita s’attarda, près de l’arbre en quête de plus amples informations auprès de Ferol. Il désigna les marques qui avaient arraché l’écorce.

—Pourquoi des traces de griffures ?

—C’est une sorte de rite entre deux âges, bien trop long à expliquer en quelques mots.

—Elles sont nombreuses.

—Ce n’est pas ce qui m’inquiète. Ces entailles sont plus profondes.

Ferol en désignait des plus petites mais qui s’enfonçaient de quelques millimètres de plus. Le coup d’épée porté par le mercenaire soulignait la différence entre les deux marques.

—Qu’est-ce que ça signifie ?

—Ne savez-vous pas que les cervidés sont tout aussi dangereux que les fauves ? Voire même plus ? Tout dépend de ce que vous considérez comme une fin heureuse.

Je dois leur sembler particulièrement idiote. La dresseuse secoua la tête.

—Les félins aiment de temps à autre manger de la chair humaine. Ils introduisent le goût de la viande avec nos muscles à leurs petits. Pour qu’ils sachent de quoi ils sont issus ou une autre connerie de ce genre.

—Et les cerfs ?

—Ils sont végétariens comme les animaux mais vénèrent un Dieu friand de sang et de souffrance ? Ils vous torturent car vos cris sont le plus beau des chants pour leur divinité.

—Vous nous avez laissé nous promener sur leur territoire sans n’avoir rien dit ? S’offusqua-t-elle.

—Nous l’avons tous su quand vous avez proposé de vous rendre à cette pyramide – car c’en est une-, jamais il ne nous serait venu à l’esprit que vous ignorez où vous mettez els pieds.

Evidemment, personne ne soupçonnait que je sois stupide à ce point.

—Est-il trop tard pour faire demi-tour ?

—A vous d’en juger. Chacun savait ce à quoi il s’exposait en validant ou réfutant votre proposition. Vous l’ignoriez peut-être mais eux non. Et puis, une pyramide : voilà longtemps que je rêvais d’en voir une !

Kita n’arrivait pas à se joindre à son enthousiasme. Jour après jour, elle s’étonnait de toutes les richesses dont disposait la Horza. J’aurais au moins dû consulter des livres et les cartes avant notre départ. Elle soupira mais choisit de tenir sa langue. Plus de la moitié de ses compagnons soutenaient son désir d’exploration et à six, ils arriveraient bien à repousser un clan de sauvages. Elle songea aux hybrides des Pics Rocheux, à ce combat à mort. Elle les imaginait sans mal dépecer les os de ses muscles, de leurs crocs et griffes. La jeune femme frissonna et emboîta le pas à ses camarades.

Contrairement à ce qu’elle pensait, les arbres ne s’espacèrent guère pour révéler la pyramide au cœur de la forêt. Les végétaux ignoraient sa présence en envahissaient le monument de pousses, de fougères, de mousse et de petits conifères. Il n’y avait que l’esquisse, le souvenir d’un monde passé. Rongée par les intempéries et la forêt, l’on devinait sa forme initiale : une base carrée surmontée d’étages formant un gigantesque escalier jusqu’au sommet. Au centre de chaque face, une rampe reliant le sol à la pointe qui se dressait plus haut que la cime. A défaut de terre, les racines des arbres puisaient leur vitalité de la mousse, de l’air et du temps sinon s’accroissaient et serpentaient le long de la pyramide jusqu’à s’enfoncer dans le sol.

Malgré cette jungle artificielle, il était facile de discerner la beauté du monument. Elle imaginait les peuples de jadis poser leurs offrandes sur les briques de la pyramide, chercher la bénédiction des Dieux. Ils sont sourds. Kita se rapprocha de la première rangée de pierre, écarta les racines des plantes et gratta la mousse de son ongle. Des aspérités se formaient sous ses doigts. Des symboles apparurent, ceux d’une ancienne langue disparue.

—Regardez là-haut ! Les informa Galtriel. Il y a une ouverture.

Même en plissant les yeux, Kita ne distingua rien. Ses yeux humains ne percevaient pas aussi bien les détails que son compagnon. Elle se hissa sur la seconde rangée, contempla les quelques marches qui la séparaient du sommet. Non loin, Keïdan et Arment poussaient sur leurs jambes et leurs bras, s’entraidaient. Pourquoi ces gens ont-il disparu ? Au fond d’elle, elle savait pourquoi : les Dieux étaient au centre de tout conflit et ces monuments abandonnés glorifiaient les mauvais. Chacun veut avoir raison.

Ferol lui fit la courte échelle. Avec sa petite taille, malgré un saut, elle n’agrippait aucune prise assez solide pour lui permettre de gravir les marches une à une. Elle n’eut d’autre choix que ravaler sa fierté. Enfin, elle atteignit le sommet. La vue lui coupa le souffle. La forêt s’étendait jusqu’à l’horizon de toute part. A quelques lieux de là, se dressaient les Pics Rocheux, ridicules par leur petitesse, la cascade meurtrière désormais muette s’amincissait à une fine rivière. Une impression d’immensité la saisit et elle constata le poids dérisoire de son être sans cet univers.

—Connaissez-vous cette langue ? S’enquit Keïdan nullement intimidée par la grandeur vallonnée de la jungle.

—Mon peuple ne considère pas la maîtrise d’autres langues que la nôtre comme utile, avoua Galtriel.

—Pourtant vous parlez la nôtre.

—Par obligation.

—Les runes correspondent à celles qu’ont certains peuples d’hommes-poissons. Je ne les connais pas toutes mais je pourrais essayer de les traduire.

Tandis que Ferol s’attelait à la tâche, maudissant l’érosion naturelle qui effaçait la moitié des signes et soulevait plus d’hypothèses qu’elle n’apportait de réponses, Kita s’assit à l’ombre. La meurtrissure su soleil grandissait avec son ascension et seul un ou deux nuages tâchait le bleu du ciel.

—Ne tardons pas, lança Reikoo. Il nous reste un long chemin à parcourir.

La cavalière ne se souvenait pas de tous les lieux qu’ils leur restaient à parcourir, or elle se rappelait des montagnes.

—Combien de cycles ?

—Plus d’une trentaine.

Dire que nous sommes partis il y a plus d’une vingtaine. Nous sommes restés biens trop longtemps chez la sorcière.

A peine quelques jours.

Toujours quelques jours de trop. Et pour quel résultat ? Aroa n’est pas avec nous.

—J’ai réussi ! La traduction n’est pas exacte car certains signes sont effacés : le Dieux lumineux mange, le Dieu rouge bois. Versez-le et l’immortalité sera acquise.

—Qu’est-ce que ça signifie ? S’enquit Keïdan.

—Rien, renchérit Reikoo.

Il darda son regard sur Kita.

—Nous avons cédé à votre caprice. Nous devons retourner à la rivière avant la tombée de la nuit.

Si le soleil continuait sa course descendante dans les cieux, les Dieux de l’obscurité ne lèveraient que dans quelques heures. Elle trouva plus sage de ravaler sa réflexion, appuya les mains sur la pierre pour se redresser mais s’interrompit d’un Cessez de bouger ! Tous le fixèrent avec appréhension et Ferol éclata de rire.

—J’ai compris ce que ça voulait dire, se vanta-t-il un sourire énigmatique flottant sur ses lèvres. Leurs Dieux Lumineux et Rouge ne font qu’un, il s’agit du soleil.

—Et pour le reste ?

Il haussa les épaules.

—Moi, je n’en sais rien, mais je suppose qu’eux pourront nous aider.

Sa tête pivota vers le bas de la pyramide. Kita l’imita, son sang se figea sans ses veines. Ses yeux papillotèrent d’un individu à l’autre. Des hommes-cerfs lui rendirent son regard. D’un mouvement, elle se balança en arrière. Son dos heurta le mur.

—Et maintenant ?

—Nous ne pourrons pas tous les affronter, avertit Galtriel.

—C’est à cause de vous ! Siffla Reikoo en caressant son cou de la hallebarde. A croire que vous nous avez jeté dans ce piège.

—Je ne savais rien, glapit-elle effrayée par le tranchant de sa lame.

—Ils n’ont peut-être aucune intention belliqueuse, argumenta Keïdan.

Si elle croyait ce que Ferol lui exposait quelques instants plus tôt, ils n’auraient aucun moyen de s’en échapper vivants. Et sans ses gants de fer, disparus avec son sac dans les rapides, elle ne possédait aucun moyen de défense.

—Ils nous suivent depuis le début. Ils nous avaient déjà repérés alors que nous marchions près de la rivière. Ils nous auraient attaqués tôt ou tard.

—Il vaudrait mieux pour vous qu’il ait raison. Je ne peux pas vous tuer, pas encore mais je n’ai fait aucune promesse concernant le voyage du retour.

La hallebarde quitta sa gorge non sans laisser une mince ligne rouge perler sur sa peau métisse. Ses compagnons brandirent leurs armes contre les étrangers. A défaut, Kita serra les poings, espérant renvoyer à ses adversaires une image menaçante. Les deux camps se fixèrent du regard avant que l’un des cervidés ne s’avance, paumes humains tendues. De longs bois surmontaient sa tête, ses babines dévoilaient des dents blanches qu’elle espérait carrées.

—Paix, grinça-t-il.

Sa voix n’était pas humaine, elle semblait surgir du fond de ses poumons et tirer ses cordes vocales. Les muscles de Kita se crispèrent à ce mot, malgré la faible riposte qu’elle offrait lors d’un combat.

—Paix ! Répéta-t-il plus fort, presque dans un barrissement.

—Vous parlez notre langue ? S’étonna Ferol.

—Moins que vous, mieux qu’eux.

—Etes-vous leur chef ? S’informa Reikoo.

—Seul parler langue Horza. Vouloir aucun mal. Baissez armes.

Les compagnons se consultèrent du regard, aucun ne souhaitait s’en départir.

—Laissez-nous partir, nous traversons seulement votre territoire.

—Pas possible.

—Pourquoi ?

Ses doigts se resserrèrent autour de sa hallebarde.

—Rajla expliquera.

—Qu’il vienne nous causer ici.

—Le Rajla doit être leur chef. Il ne déplace jamais hors de leur campement. Jamais il n’acceptera de venir.

—Que savez-vous d’eux, Ferol ? Vous semblez maîtriser votre sujet pour quelqu’un qui n’a pas vécu avec eux.

—Vous prévenir de quoi ? J’ai étudié les hommes-ours. Ceux-là, je ne les connais que de réputation, comme vous.

Il insista sur ce dernier mot, renvoyant la faute à leur chef.

—Et le titre de Rajla ?

—Commun à tous les peuples.

Le cervidé s’avança d’un pas. Les épaules de Reikoo se tendirent puis ses lèvres esquissèrent un sourire avant de se tourner de moitié vers Kita.

—A moins que nous envoyons quelqu’un en parle-parole pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dangers. C’est pas votre faute que nous sommes là, cette occasion permettra de vous racheter. Qu’en dîtes-vous ?

La hallebarde oscillait à un pouce de son visage. Elle l’entendait presque siffler et la dresseuse ne tenait pas à ce que son chant cesse en embrassant sa nuque.

—Une excellente idée, déglutit-elle.

Leur guide se tourna vers les cervidés :

—Nous enverrons un des nôtres rencontrer votre Rajla. S’il n’y pas de danger, elle reviendra nous chercher.

La bête s’inclina.

—La moitié de ma horde vous surveillera.

—Tant que nous ne sommes pas sûrs que vous ne représentiez aucun danger, nous resterons en haut de la pyramide et tuerons ceux qui viendront nous emmener de force.

—Soit.

Un de ces bras retomba le long de son flanc. La main restée tendue attendait que celle de Kita s’en empare. Elle la dédaigna.

—A vous de jouer.

La jeune femme ravala sa salive. Le premier pas fut le plus ardu ; elle devait obliger sa jambe à se mouvoir. Descendre les marches n’en fut pas plus facile pour autant. L’air se bloquait dans ses poumons, son cœur cognait, ses membres tremblaient mais la cavalière ne fléchit pas. Si elle se retournait, elle ne doutait pas un instant que Reikoo la renverrait, sur les fesses cette fois.

—Pas de crainte, la rassura le cervidé.

Une touffe de fourrure encadrait ses poignets, ses ongles étaient taillés en pointe. Si elle répugnait à saisir sa main, elle craignait plus encore de la refuser. Leurs doigts s’entrelacèrent et d’un mouvement, il l’aide à descendre la dernière marche. Il avait beau mesure le double, voire même le triple de sa taille en comptant les cornes, sa silhouette se voulait plus fine et plus élancée que la sienne. Une face de cerf la fixait mais alors qu’il se retournait et la conviait à la suivre, elle rencontra l’arrondi d’un crâne humain. La jeune femme ne put retenir un frémissement. La moitié des animaux pivotèrent vers eux quand les autres enserraient la pyramide, leurs yeux fixés sur ses compagnons. Encerclée par ce peuple nature, l’interprète et Kita se murèrent dans un silence inconfortable. La jeune femme lança des œillades effrayées aux différents membres, geste que la bête intercepta.

—Pas de crainte, répéta-t-il dans une langue bancale.

Comment veut-il que je lui fasse confiance ? Je suis seule, jetée en pâture dans un clan auquel je ne connais rien.

—Où m’emmenez-vous ?

—Rencontrez Rajla.

—Que me veut-il ?

—Discuter.

Ils veulent tous discuter avant de m’égorger. Elle se tut et ravala sa répartie. La peur l’aveuglait mais la dresseuse avançait. Le bâshki grondait lorsque l’interprète faisait mine de tendre la main vers la sienne.

—Quoi être ?

—Mon compagnon.

—Animal domestiqué faible.

A ce commentaire, Tâches de Myosotis étendit ses ailes d’un claquement. Son cou ondula, il feula.

—Peut-être mais il est loyal.

Misère de misère. Ne pouvais-je rester à la taverne et m’abrutir de bières ? Elle pressait ses paumes contre ses cuisses, les frotta contre la toile de son pantalon. Elle avait chaud mais le tissu la protégeait contre les épines et les plantes vénéneuses. Les colliers de ses geôliers tintaient à chacune de leur saccade qu’ils appelaient pas. Plumes et pierres les confectionnaient. Des dessins tracés à la peinture ornaient leurs bras et épaules. Elle ne sut s’ils étaient ornementaux ou à significations belliqueuses. Elle interrogea le cervidé.

—Chacun choisit.

Peu loquace, Kita abandonna l’idée de lui soutirer des informations. Ils marchèrent quelques instants avant qu’un des hommes animaux ne porte un tuyau creusé à sa bouche. Il siffla et des bruits de percussion lui répondirent derrière les feuilles. Soudain, ils s’immobilisèrent et fixèrent Kita.

—Vous avez prévu un banquet d’accueil ? Plaisanta-t-elle nerveuse néanmoins sans sourire.

—Oui.

D’une pousse dans le dos, le cervidé la propulsa à travers le feuillage. Elle découvrit un camp abrité derrière une barrière de ronces. Un tunnel séparait la forêt du clan. La dresseuse trébucha, se rattrapa de justesse à un bâton planté dans le sol, solitaire. Une étrange sensation de brûlure la picota. Une fois stabilisée, elle observa sa paume. Des dizaines d’insectes courraient sur sa main. Avec un mouvement de dégoût, elle secoua sa main. Les bestioles s’intéressaient maintenant à ses chaussures. Elle les écrasa, sans ménagement, trouva dans leur mort une réponse à sa frustration.

—Crevez, enfoirés !

—Stop !

Le cervidé l’éloigna, moins brusque que la première fois.

—Sacrés.

—Ces machins ?

Ses yeux s’humidifièrent. Elle appela toute sa volonté pour chasser ses larmes. Après de brèves inspirations, elle frotta ses paupières de sa manche. Sa main la brûlait, sa paume virait au rouge. La cavalière souhaitait s’enfuit à travers la forêt, se rouler en boule sous un arbre et sangloter jusqu’au matin en toute tranquillité.

—Marquée.

—Hein ?

Le cervidé l’attrapa par le poignet et la conduisit devant une tente où se dressaient deux immenses cordes, courbées au-dessus de l’habitacle. Des biches et de nombreux faons l’observaient avec des yeux curieux. Des mains s’accrochaient à ses habits. Hormis leur fourrure qui protégeait leur pudeur, ils étaient nus mais personne ne s’en offusquait. Il devait exister des lois pour que les cerfs ne prennent pas constamment les femmes. C’est ce que songea la cavalière en captant quelques bribes d’images. Malgré des ressemblances évidentes avec l’animal, aucun aventurier ne pouvait nier le lien qui les rattachait à l’homme, beaucoup plus visible que leurs voisins panthères. Tâches de Myosotis enroula son corps autour de sons biceps, enveloppa ses épaules de ses ailes. Etait-ce à cause de lui ou d’elle que tous cessaient leurs activités ? Peut-être les deux.

—Rajla.

Ils s’enfoncèrent dans la hutte.

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