Chapitre 6

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—Loge 12. Vous êtes les derniers.

Un des organisateurs s’occupaient de décerner les boxes et les appartements pour les cavaliers. Arrivés une semaine en retard, ils héritèrent de la loge la plus petite. Son père bouillait de colère et hurla des ignominies faisant loi de sa réputation et des nombreux prix gagnés au stoïque guetteur. Sa seule réponse fut un index tendu. Kita ne se formalisa pas : en raison du faible nombre de dragons, les quelques boxes qu’ils restaient suffisaient.

Tâches de Myosotis enroula sa queue autour de sa nuque. Le bout de sa queue effleura la dépression entre ses clavicules tandis que Sapin reniflait son nouvel endroit de vie, probablement à la recherche de rongeurs égarés. Maketa plaça Aube Rouge dans le box voisin. La femelle appela son frère qui répondit par un grognement.

Soudain rattrapée par la fatigue, la jeune femme se surprit à songer à un lit, au matelas tendre qui s’affaissait sous son poids. Dormis à terre crispaient ses muscles et les fourmillements engendrés courraient le long de membres quelques heures durant. Néanmoins, le guetteur chercha tous champions pour les obliger à se présenter de suite devant les jurys.

—Nous laissons généralement quelques heures, parfois même un jour, expliqua l’organisateur. Au vu de votre retard, nous devons précipiter les inscriptions.

C’est alors qu’il remarqua le piteux état de leurs animaux : lacérations, croûtes de sang séché et plaies caractérisaient désormais les dorakkar de son père.

—Vous n’auriez jamais dû venir. Vous n’aurez aucune chance.

—Réalisez l’inscription et fichez nous la paix, tempêta son père qui détestait par-dessus tout la perte d’argent qui suivrait cet acte de vandalisme.

—Bien, monseigneur, fit-il d’un ton hautain, les bras serrés contre sa poitrine. Messieurs ?

Les femmes pouvaient chevaucher des dorakkars comme n’importe quel homme mais les cavalières restent rares. Sûrement plus rare que Kita ne l’imaginait au vu de la réprimande du citadin.

—Seuls les champions sont acceptés.

—J’en suis une.

Il la jaugea d’un œil critique, évaluant sa petite taille et la longue griffure qui l’éborgnait.

—Suivez-moi.

—Plutôt amusant comme accueil, ricana Reikoo.

Le jury se composait de quatre hommes dont un à al tenue vestimentaire particulièrement efféminées. Sans s’attarder sur les courbes de son visage, à sa tenue, Kita devinait un statut important : celui d’un enfant de Nogaïla. Un ancien culte voué à un dieu oublié imposait de sectionner les parties génitales de l’aîné né mâle dans la famille. Né impure, il implorait le Jour et la Nuit ces dieux cruels miséricorde pour son peuple. Seuls les enfants de Nogaïla connaissaient leurs dessins et souhaits.

Beaucoup de leurs membres appréciaient la luxure, l’argent et la célébrité due à leur statut d’envoyé des Dieux. Celui-ci, avec son visage fermé prouvait qu’il considérait sa tâche comme un défi. Il ne s’asseyait ici que parce que l’Etre Supérieur le lui avait ordonné.

—Signez ici, Indiqua l’efféminée.

Il ne s’embarrassait pas de politesse. Son peuple n’attendait de lui que la transition des messages de l’Etre Impartial. Pour ce rôle, il le considérait tel son fils humain, un protégé, un envoyé sur Naarhôlia qu’ils devaient traiter avec respect. Tant et plus qu’ils se transformaient lui-même en divinité secondaire.

Kita griffonna une marque sur la feuille sans que l’enfant de Naarhôlia ne la quitte des yeux. Enfant n’était probablement pas le terme idéal puisqu’il avoisinait les cinquante ans. La jeune femme haussa un sourcil en une interrogation muette. Hormis un regard appuyé, ses lèvres demeurèrent scellées.

—Nous allons vous montrer les terrains d’entraînements et les lieux où se disputeront les épreuves.

Ils leur désignèrent un champ de sable om s’entassaient des centaines de sièges en bois et une forêt artificielles créée spécialement pour les concours. Les voltigeurs se produisaient généralement au-dessus des arbres, parfois en rasant les cimes mais Kita s’en servait comme terrain de jeux. Ils leur présentèrent également les cages om les animaux sacrifiés attendaient leur triste sort. Les bêtes les observaient d’un œil craintif alors que les jurys s’extasiaient sur le bonne chair qui mettraient les dragons en appétit. Elle haïssait cette pratique esclavagiste. Les hommes n’étaient que des animaux intelligents et les prédateurs ne tuaient que pour se nourrir. Dans sa complexité, l’homme se rapprochait et s’éloignait à la fois de cette coutume. Il retrouvait à la vue du sang un voyeurisme animal et un plaisir à assister à la souffrance d’autrui inexistant dans la nature.

La cavalière ne cautionnait pas cette épreuve mais elle tint sa langue. Kita n’était personne pour s’interposer. Elle suivit dont les hommes dans un silence implacable, hochant la tête lorsque la politesse l’exigeait, baissait les yeux lorsque le rapport de force et de puissance l’imposait. La jeune femme faisait profil bas comme bon nombre de dresseurs.

Le jour tira sur sa fin alors qu’elle regagna le dortoir où étaient enfermés les Bashkis. Elle emporta six petits dragons, un perché sur sa tête, les autres agrippés à ses vêtements. Une fois dehors, ils s’envolèrent. Si les cinq Bashkis chahutèrent dans les cieux, Tâches de Myosotis se lova contre son cou, sa queue enroulée autour de son épaule.

—Tu feras mieux de te dégourdir les ailes, répliqua Kita.

Le petit mâle frotta son crâne contre ses tempes en guise de réponse. La popularité des Bashkis était moins impressionnante que celles de leurs cousins mais leur fidélité égalait celle de la lune à la nuit. Une fois qu’ils se liaient d’amitié pour un dresseur, personne ne réussiraient à détruire cet amour. Lorsqu’un riche seigneur se présentait avec son enfant, elle leur conseillait plutôt les petites créatures. Les palefreniers s’occupaient de leur éducation, seule l’alchimie entre une bête et un propriétaire s’évaluait. Tâches de Myosotis et Kita s’étaient choisis pour leur solitude commune.

La jeune femme les laissa voleter une dizaines de minutes avant de les rappeler d’un sifflement. Elle tendit les bras pour que les petits dragons puissent atterrir. Deux s’accrochèrent néanmoins à ses cuisses. Généralement, son père vendait le tiers des Bashkis lors de concours comme celui-ci. D’autres seigneurs préféraient comparer la marchandise avant de se rendre directement aux curies. Dans tous les cas, malgré une côte de popularité baissante, plus des deux tiers de l’effectif total s’envolaient vers des maisons plus luxueuses. Ne restait que quelques dizaines de spécimens pour créer une nouvelle génération.

Kita répéta trois fois l’opération, le Bâshki toujours sur sa tête, avant d’abandonner la tâche à une palefrenière débutante.

—Connais-tu le signal pour les rappeler ? La questionna la jeune femme.

La fille du peuple glissa les bouts de son pouce et index dans sa bouche et un sifflement strident retient l’attention des petits dragons : tous redressèrent la tête.

—Surveille-les. Certains sont capricieux.

—Bien.

Elle ne ponctua pas sa phrase d’un « madame ». Comme quoi, les erreurs du passé ont la peau dure.

L’alcool coula amer au fond de sa gorge. Une boisson aigre au premier verre et au bout de trois, Kita n’en sentait plus le goût. La jeune femme héla le serveur :

—Vous m’en faîtes encore un ?

—Vas-tu doucement, petite. Ce n’est pas fait pour toutes les langues, répliqua-t-il avec un sourire.

Il lui tendit néanmoins un quatrième verre. Tandis qu’elle sirota son alcool, ses yeux ne purent s’empêcher de balayer la salle. Beaucoup de champions trainaient dans les tavernes les veilles de concours. Pour certains, profiter de catins qui pullulaient dans ces auberges. Une dizaine au moins exposait leur corps au regard avide des hommes. La soirée s’annonçait fructueuse. Les putes augmentaient leurs prix et les coureurs ne rechignaient pas à leur jeter quelques pièces pour le plaisir de la chair. Malgré l’insistance de Maketa pour l’accompagner, Kita refusait de se laisser conduire tel un petit chien. Après quelques mois, le palefrenier prenait sa place d’amant trop à cœur. Tant et plus qu’il se considérait comme un mari plutôt qu’un partenaire sexuel.

Une femme plus jeune que Kita, une adolescente au vu de ses courbes (ou plutôt l’absence) s’assit à califourchon sur les genoux d’un homme d’une quarantaine d’années. Malgré son jeune âge, la pute ne frémit pas sous les caresses de cette main masculine. Au contraire, elle se pressait sous cette paume amicale. Elle se cambrait d’un mouvement félin sous la pression de ses doigts étrangers. Fascinée par le pouvoir sexuel de cet enfant, Kita l’observa discrètement du coin de l’œil, par-dessus son verre. Ses lèvres chatouillèrent le lobe de son oreille mais entre sa poitrine et le torse de l’amant d’une nuit, un océan aurait pu se déverser. Proches et éloignés à la manière de deux falaises voisines séparées par un ruisseau.

Kita accrochait le couple du regard, détaillait chacun des mouvements de l’adolescente qu’elle esquissait avec une grâce et une volupté surnaturelle. Sous le frisson qui parcourait le bras du client, la cavalière devinait la douceur de sa bouche. De sa main, le quadragénaire captura son crâne pour dévoiler sa gorge délicate, d’une peau d’ébène si profonde, si mat que Kita la jalousa malgré sa piètre condition.

Une deuxième catin rejoignit le couple. Elle ne se précipita pas pour l’embrasser mais se contenta d’attiser leur désir commun. Un ongle baladeur sur l’échine, une caresse sur la joue, le torse puis l’entre-jambe. Après ces quelques attouchements, la prostituée se glissa dans un autre coin sombre propagé ce qu’elle considérait comme une religion. Pour les concubines des seigneurs, le sexe était l’unique culte où tous se ployaient, un dieu sans nom, fait de chair et de sang qui habitaient chaque homme tel un parasite insatisfait.

Kita toucha des yeux la résistance de son bras : la souplesse et la robustesse d’une corde d’arc. L’adolescente se pencha vers son client. Ses lèvres dansèrent ensemble, frappèrent la jumelle déchirée et les mots roulèrent pur vibrer contre le tympan de l’étranger. Avec un sourire, le quadragénaire déposa un baiser à la jonction entre la mâchoire et la nuque. Son index glissa sous le cordon qui retenait sa jupe fendue sur ses étroites hanches pour la retenir un instant contre son corps. D’un geste de la tête, elle lui désigna l’escalier.

Le cœur de Kita se souleva lorsque l’adolescente s’approcha d’elle. Elle cessa de siroter sa bière pour chercher un homme qui avait retenu l’attention de la prostituée mais n’en trouva aucun. La jeune fille la regardait, elle. Muette, Kita comprit que son pouvoir n’était pas seulement le charme sexuel qu’elle suscitait chez les hommes, mais la puissance de son regard, son fier port de tête, la souplesse de ses gestes.

—J’ai surpris votre regard, chuchota-t-elle. Pourquoi ?

Son charme magnétique subjuguait Kita. A mi-chemin entre la panthère et la sorcière envoûtante par ses mystères, l’adolescente hypnotisait ses clients pour les attirer entre ses cuisses. La jeune femme ressentait le danger qui émanait de cette catin. Emotion féminine, clairvoyance ou magie ? Un mélange de ces trois sortilèges.

—Vous êtes jeune pour faire ce métier.

—La vie n’a pas été clémente, souffla-t-elle sur le ton e la confidence. Puis-je ?

Son doigt traina sur le bord du verre. Elle enroula ses doigts autour de manche pour l’apporter à sa bouche.

—Tu serais étonnée du nombre d’hommes qui aiment les corps « encore jeunes ».

Les guillemets étaient audibles.

—Les enfants sont beaucoup plus appréciés que vous ne le pensez. D’autres préfèrent un entre-deux : le corps des adolescentes. L’apparition des courbes, de la sensualité, de la sexualité. Ils ont deux rôles, celui de père et d’amant. Cette double carte en excite beaucoup.

La pute se pencha et d’un mouvement imperceptible, délassa les lacets qui retenaient ses seins.

—Mon corps est leur temple.

Embarrassée, Kita se détourna. L’envoûtement se fissurait : elle prenait conscience de l’exhibition du corps féminin, formé ou non. Il y en avait en cet acte la quête du pouvoir. Qui l’obtenait ? Celui qui profitait des catins ou celles qui réduisaient leurs clients en esclavage ? Esclave de la dépendance sexuelle, des caresses, des gémissements. Kita ne pouvait s’empêcher d’esquisser un parallèle avec Maketa. Sans s’en rendre compte, avait-elle agi de même ?

—Pourquoi êtes-vous là ?

—Pour boire.

Il y a quelques mois, avant que le concours n’entre dans ces objectifs, la cavalière connaissait toutes les tavernes de la ville voisine. Qui possédait la meilleure bière, vin, cidre ? Elle répondait sans hésitation. Plusieurs fois, Kita avait été incapable de retrouver le chemin de sa chambre et s’écroulait ivre morte au milieu des couloirs. Les domestiques de son père la retrouvaient le matin en train de décuver ou imbiber sol et murs de vomi.

—Cherchez-vous une partenaire ? Aimez-vous les femmes, au moins ?

Derrière son air enjoué, Kita discernait le pêcheur qui ferrait son poison.

—Je suis seulement venue pour boire, assura-t-elle.

—Vraiment ? Susurra-t-elle.

Ces questions auraient pu être pressantes mais son ton doucereux ôtait toute sensation d’interrogatoire.

—Vous m’observiez. Etait-ce à cause de mon âge ?

—Oui. N’êtes-vous pas attendue ?

—C’est un habitué. Il sait que je parle à d’autres clients avant de monter. Et j’avais envie de vous rencontrer.

—Pourquoi ?

—Vous m’intéressez.

Kita haussa un sourcil, interloquée.

—J’ai des… contacts hauts placés qui m’ont parlé de vous. Je ne pense pas que vous les connaissez.

Cette révélation eut l’effet d’une douche froide. Enfin, Kita comprit que son numéro de charme avec cet homme n’avait pour but que d’attirer son attention, pour l’aborder plus facilement. La cavalière fonçait droit dans ses filets.

—Pourquoi vous ont-ils parlé de moi ?

—Suivez-moi. Il y a certains mots qui ne doivent pas tomber dans de mauvaises oreilles.

D’un mouvement agile, elle fendit la foule. Beaucoup d’hommes, même aux prises avec une prostituée l’observaient créer un chemin. Un l’approcha pour lui murmurer quelques mots à l’oreille. Elle acquiesça avec gravité, toute trace de sa candeur disparue. Lorsque Kita posa un pied à terre, elle chancela. Je ne me pensais pas si ivre. Elle suivit néanmoins l’adolescente avec beaucoup moins d’assurance due à sa démarche hésitante. Les regards ne tardèrent pas dévier. Je fais pâle figure à côté d’elle. Les planches ne grinçaient pas sous ses fines sandalles alors qu’elles s’adonnaient à de plaisants gémissements tandis que la dresseuse gravit l’escalier. La lubricité à l’étage atteignait un rang supérieur. Quelques femmes se promenaient le torse dénudée pour multiplier leur charme d’obtenir des prétendants au lit. L’adolescente l’entraîna dans une cabine à l’écart, toute de rouge ornementé, des sièges à la tapisserie, de la moquette aux gâteaux.

—Beaucoup d’endroits comme celui-ci offrent des pièces pour que nous puissions nous rassembler et discuter entre deux clients.

La jeune femme discerna malgré l’obscurité due aux lumières tamisées une boite contenant un certain mélange d’herbe. Elle les connaissait pour y avoir goûté.

—Asseyez-vous. Ne restez pas debout.

Kita obéit. Sa vision se troublait. Ne bois pas, lui conseilla son esprit. Pourtant, une élégante coupole aux fins dessins argentés trouva le chemin vers sa bouche. Divin.

—Pourquoi moi ? Reprit Kita en croisant ses jambes au niveau des genoux pour se donner une contenance.

—Je suis étonnée que vous me posiez cette question au vu de votre statut.

—Mon statut ?

La cavalière nota que le cabinet n’exhalait aucune forme e lubricité. Il se voulait accueillant envers ses membres.

—Vous êtes la fille de votre père, l’héritière de son écurie.

Kita but une gorgée. Si elle n’avait pas été ivre avant de monter, elle aurait reconnu la délicieuse fragrance des pétales de rose sur sa langue.

—Et votre père est sans contestations le plus riche propriétaire de dragons.

—Je ne suis pas son héritière.

La prostituée haussa un sourcil, épilée à la mode des dames de la haute société.

—Votre frère est mort. Qui reste-t-il après lui hormis vous dans l’ordre de succession ?

—Il m’a déshérité et n’est toujours pas revenu sur sa parole. Si vous souhaitez un dragon, adressez-vous directement à lui.

—Mes amis ont du mal m’informer.

Kita hocha la tête.

—Ils m’ont néanmoins raconté que vous étiez très proche de votre frère avant sa… mort.

Elle hésita sur ce dernier mot, à peine un souffle mais l’était d’ébriété dans lequel Kita était plongé ne lui permit pas de le relever.

—Oui.

—Jusqu’où ? Tenta-t-elle ;

—Que voulez-vous m’entendre dire ? Que je couchais avec mon frère ?

C’était une petite vous qui s’échappait de sa bouche.

—Seulement la vérité.

L’adolescente se leva mais les yeux de Kita se rivaient au plafond. Elle entendit le frémissement d’une étoffe et décida de n’y porter aucune importance. La douce voix de la prostituée l’enveloppait à nouveau. Elle résonnait à ses oreilles, chaude, douce, accueillante, vibrait à mille voix et sans aucune orientation. Si Kita les captait, ce n’était que par hasard, par chance. De la drogue. Depuis le début de la soirée, bien avant qu’elle ne pose ses yeux sur la prostituée. L’aubergiste. Ce n’était que par miracle que des mots se formaient dans son esprit.

—Nous couchions ensemble, révéla-t-elle.

—Vraiment ? Je crois que vous me mentez.

—Je l’aimais.

—Depuis combien de temps ?

—Je ne sais pas.

—A quel âge vous êtes-vous faufilés dans sa chambre pour forniquer ?

—A seize ans.

A peine parlé, Kita oubliait.

—Celle qui me paye me demande de vous tuer pour avoir pratiqué l’inceste.

C’est à cet instant que la lumière accrocha le fer du poignard. Malgré son état d’ébriété, Kita reconnut le frisson du danger et la mort qui approchait. La jeune femme se redressa péniblement sur ses jambes et d’un pas chancelant se dirigea vers la porte close.

—Je ne vais pas le faire.

Les poings de Kita s’abattirent sur les planches avant de s’immobiliser.

—Je suis une prostituée pas une meurtrière.

—Qui ? Grogna Kita. Qui s’intéresse à ma vie privée ? Pourquoi mon existence lui importe-t-elle ?

—Je ne suis qu’un maillon de la chaine, pas l’anneau central. Ils m’ont donné une certaine somme d’argent pour extraire la vérité.

—Je…Je ne comprends pas.

—Vous ne pouvez pas comprendre. Vous êtes ivre.

L’adolescente lui désigna la porte.

—J’ai accompli mon rôle. Partez tant que vous le pouvez encore.

Sans un mot, la cavalière sortit et retrouva l’ambiance typique d’un bordel A peine eut-elle esquissé quelques pas qu’un bruit de verre brisé retint son attention. Kita pivota sur ses talons mais une horde de catin la dépassèrent. Au milieu de l’enchevêtrement de corps, de l’agitation, la jeune femme distingua un corps allongé au sol, inerte. Sans soir le sang, entendre les hurlements, elle devina que la jeune fille s’était suicidée.

—De l’acide, indiqua une de ses comparses.

Dans l’agitation, Kita opta pour la fuite. Une fois hors de l’auberge, elle força ses poumons à s’emplir d’air. L’esprit ralentit par la bière, la cavalière s’efforça de réfléchir. Elle s’efforçait de retracer les événements de la soirée, de rassembler par un fil les différentes images qui se succédaient dans son esprit. L’attention qu’elle portait à la jeune prostituée, sa relation incestueuse avec son frère, son rôle de grain de sable dans une hiérarchie supérieur à la sienne. Que fichait cette pute dans cette équation et pourquoi se suicider ? La jeune fille avait délivré des menaces de mot mais, en quoi par Nogaïla, son existence leur importait ? Elle n’était rien. Ni riche, ni propriétaire ni même cavalière officiellement reconnue. Parmi toutes les questions qui la taraudaient, une seule revenait : que faire maintenant ?

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