Chapitre 37

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La fin de leur périple commença par une matinée brumeuse. Meorwen ne supportait plus les insinuations de sa sœur, l’ombre de son sourire perfide, l’éclat meurtrier dans ses yeux. Il posa sa main sur son épaule ; ce geste lui avait demandé des cycles de réflexions, de longs monologues d’hésitation, d’interrogations sur la vérité de l’amour. Il ne trouva que l’ébauche d’une réponse, ce n’était plus cette Kita-là, aucun amour, hormis celui de la vengeance ne vivait en elle. Sa sœur se tourna et l’observa avec ses yeux d’autrefois, un regard si sincère qu’il faillait flancher, lui éclata le cœur car après ce qu’il lui dirait, plus jamais il ne la reverrait. Ainsi se posait la question : perdre la femme qu’il aimait ou la supporter sans cesser de souffrir ? Meorwen croyait le choix simple et durant toutes ces années, il restait à ses côtés, préférant se damner que lui échapper mais aujourd’hui, il n’en pouvait plus. Ce monstre grignotait sa raison, sa Kita disparaissait.

La mort dans l’âme, il enroula ses doigts autour de sa nuque pour attirer son visage vers le sien et dans le baiser qu’il lui donna, Meorwen mit l’énergie du désespoir, espéra toucher l’esprit de sa sœur gangrénée. Il ne put retenir les larmes brûlantes dévalant ses joues, creusant des sillons dans la saleté qui couvrait sa peau et son cœur s’arracha de ses artères lorsque sa bouche s’éloigna. Une moue sceptique déforma ses traits. Qu’était-il en train de faire ?

—Pourquoi pleures-tu ?

—Je pleure parce que tu es libre. Je pleure parce que tu es condamnée.

Il s’obligea à reculer d’un pas tant la souffrance qu’il s’infligeait lui était horrible Si c’était pour son bien, pourquoi avait-elle cet horrible goût amer de trahison ?

—Ce que tu dis n’a aucun sens.

—Je pas.

—Bien sûr, sourit-elle. Nous nous enfuyons de cette maudite forêt.

Meorwen était incapable de la regarder sans pleure, ces joues se couvraient se larmes, effaçaient la saleté mais pas les pêchés.

—Nous… nous séparons ici.

Son beau visage se fendilla d’effroi. Son chagrin semblait si sincère qu’il s’excusa presque, formula un pardon sur sa langue mais ses épaules se raidirent.

—Où vas-tu aller ?

Malgré son ton froid et impersonnel, le trémolo dans sa voix illumina son cœur d’espoir.

—Loin de toi.

—Tu oublies que je suis gravée ici, que cet organe m’appartient.

D’un geste vif, la cavalière pressa sa main sous la jointure de ses pectoraux.

—Peu importe où tu iras, je serai toujours là même si mon enveloppe charnelle ne te suit pas.

Voilà sa malédiction ; impossible de jeter tant d’années d’amour et d’accompagnement aux orties.

—Je refuse de croire que tu m’abandonnes.

—Kita… c’est pourtant ce que j’ai fait la dernière fois.

—Je refuse de le croire. C’était un prétexte. Pourquoi veux-tu me faire mal ?

—Je ne le veux pas mais je n’y arrive plus. J’y suis parvenu durant toutes ces années, le courage me fait défaut maintenant. Je suis couard et je le crie haut et fort !

Il n’en fit rien. Meorwen aurait bien aimé dire que son visage demeurait impassible mais s’il était un bon amant, il n’était pas connu pour ses talents de comédien.

—Ce n’est pas mon intention.

—C’est pourtant mon ressenti ; me planter un poignard dans le dos, dans le cœur ! Je ne t’aurai jamais cru capable de le faire, toi parmi tous les autres.

Elle n’éclata pas en sanglots, ses yeux étaient aussi froids que les icebergs des terres des Hommes de glace et si durs…

—Je n’y arrive plus, Kita.

Il formulait ses pensées à voix hautes, espérait qu’elle accueillerait mieux ses propos. Il se fourvoyait :

—Tu es malade et tu m’empoisonnes ! S’emporta-t-il devant sa silhouette raide.

—Tu ne mesures pas tes mots. Reposes-toi et prends ton temps. Lorsque…

—Tu ne comprends rien ! Tous tes souvenirs sont faux, tu les renies. Tu les as modifiés parce qu’ils étaient trop lourds à porter.

—Que dis-tu ?

Si elle se figeait avant, elle se pétrifia bien que ses yeux flamboyaient de colère et sa bouche demeurait close, fine ligne perdue entre nez et menton. Si Meorwen se serait risqué sur ce terrain quelques années en arrière, Kita l’aurait frappé avant de s’effondrer en larmes, maintenant, elle le dominait de toute sa hauteur et de toute sa méchanceté.

—Je ne peux plus vivre avec toi ! Je t’aimais mais regarde-toi ! Tu te drapes dans les parures d’un monstre, ce que tu n’as jamais été. J’aime Kitaya, ma petite sœur. Pas… ça.

Il la désigna d’un geste de la main.

—Je suis toujours Kita.

—Non, tu ne l’es plus. Tu ne parles que de tortures et de ta stupide vengeance. Que va-t-elle t’apporter, dis-moi ? Ne me réponds pas la paix.

Sa réponse fut autre :

—Une autre forme de paix, celle qui devrait inquiéter autant les riches que les pauvres ; la justice. Quel droit avait-elle de t’emprisonner pendant trois ans ? Que la contredira ? Tu oses me le reprocher alors que je ne souhaite que l’arrêter. As-tu pensé aux innocents qui pâtiront de sa main ?

—L’arrêter, oui. L’enfermer dans une chambre avec de la nourriture, des livres, de la musique pour le restant de ses jours ainsi elle ne pourra causer du tort à personne.

—N’as-tu pas envie de lui faire comprendre ce qu’elle nous a fait ? A moins qu’elle n’ait été trop douce avec toi. Elle n’apprendra rien dans sa cellule dorée ni ceux qui suivront sa voie.

—Tu te targues d’être différente d’elle, Kita, mais en quoi ? Toutes les deux, vous souhaitez bâtir un monde sur le sang versé.

—Comment oses-tu nous comparer après tout ce qu’elle m’a fait ? Je n’ai pas changé, c’est toi qui l’es. Tu es devenu faible, couard, peureux, tu fuis la queue entre les jambes. Je rêve de grandeur, d’un monde nouveau. J’ai appris durant ce voyage. Ces Dieux auxquels j’attachais tant d’importance ne sont que des mythes, les enfants de Nogaïla ne sont que des profiteurs qui se servent de la peur pour accroitre leur pouvoir et la magie n’existe pas. C’est une science, une sensibilité que chacun peut apprendre. J’ai eu le courage, ou peut-être l’effronterie de regarder la vérité en face et de reconnaître mon erreur. C’est dur de renier son existence. Je vais aller chez cette enchanteresse pour apprendre, Meorwen. Oublions cette discussion est viens avec moi.

Son frère ne lui pardonnait ses paroles et au lieu de saisir la perche tendue, il creusa l’écart entre eux.

—Je ne peux pas oublier celle que tu es devenue. Je n’ai pas accepté… les…. gens que tu as tués mais j’ai fermé les yeux.

—Où est la différence ?

—Tu prémédites tes actes, je ne peux le supporter.

—Alors, pars !

Ces mots n’auraient pas dû tant le blesser, pourtant ils trouvèrent en son âme une cible. Dans une autre vie, Kita le suppliait de demeurer auprès d’elle, elle le conviait de s’éloigner, et le cœur meurtri, Meorwen tourna les talons.

La jeune femme s’engagea dans le village de la sorcière, ne porta aucune attention aux habitants qui cessaient leurs travaux pour la dévisager d’un œil sceptique et peu amical. Son cœur se serra en revoyant la chaise à bascule, les cages ballotées comme de vulgaires fétus de paille dans le vent. Avec appréhension, Kita frappa à la porte par trois fois.

—Je savais que tu reviendras, déclara Lalia en lui ouvrant.

Deux mèches sombres encadraient son visage ; le reste de sa chevelure était relevé en un chignon d’où dépassaient deux baguettes.

—Moi pas.

—C’est à cela que servent les prédictions. Entre, je t’en prie. J’ai fait installer un lit supplémentaire après votre départ. Il y a quelques années que je cherche un apprenti, c’est pour ça que tu es là, n’est-ce pas ?

Kita acquiesça, troublée par les connaissances de l’enchanteresse.

—Allez-vous bientôt mourir ?

—Non, rétorqua-t-elle avec un sourire. C’est encore une stupide rumeur que ces enfants de Nogaïla ont répondu mais nous consacrons un temps important à déconstruire tous les préjugés sur nous autres. Je vois sur ton visage des questions plus importantes : pose-les.

—Vous avez prédit mort et amour durant ma quête. Pour le dernier, vous aviez raison et…

—Un mot ne signifie pas toujours ce qu’il veut dire. Tu penses à ta mort physique en oubliant la puissance psychique. C’est la première leçon que tu obtiendras de moi. Tu es morte, Kita. Si ce n’était pas le cas, tu ne serais pas ici. Une dépression, une nouvelle qualité qui apparait tue l’ancien pour créer un nouveau. C’est ce qui s’est passé avec vous, je me trompe ?

—Non.

—Bien. Il y a de la soupe, si tu le souhaites. Nous commencerons ton apprentissage demain car il nous reste un long chemin à parcourir.

—Pour aller où ?

La sorcière lui fit un clin d’œil.

—Tu me le diras dans quelques années.

Voici la fin de cette histoire. Je vous invite à lire le tome 3, le Chant de la Montagne.

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