Chapitre 23

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L’aube la cueillit encore somnolente. Réveillée par les ronflements de Ferol il y a quelques instants déjà, elle guettait les pales lueurs annonçant la levée du jour. La lourde et profonde respiration d’Arment la berçait mais ne réussissait à couvrir les grognements plus bestiaux qu’humains de leur compagnon. A mesure que le saumon chassait l’obscurité, Kita discernait la silhouette de ses compagnons et bientôt leur visage. Ils se réveillèrent seulement aux injonctions de Reikoo derrière la porte. Eux étaient déjà prêts, sacs sur le dos et arme à la main. Après un petit-déjeuner des plus brefs, ils payèrent l’aubergiste et traversèrent les Pics Rocheux. Quelques gens vaquaient à leurs occupations mais la plupart dormait encore, d’om l’étrange silence qui régnait en ville. Une femelle des meutes arpentaient seule les rues, reniflaient les aliments rejetés. Contrairement à ses compagnes, celles se déplaçait sur ses quatre pattes. Seules quelques rares régions de son corps étaient protégées par une fourrure, son ventre, ses omoplates et la moitié de son visage rappelaient une anatomie que possédait chaque femme.

—Venez, lui intima Ferol. Il n’y a rien de bon de ces bêtes-là.

Par cette phrase, elle apprit que la créature n’appartenait à aucun clan. Un élan de peine, de tristesse la saisit. Elle suivit les hommes à travers la vallée. La jungle succéda aux habitants mais Reikoo, Ferol et Arment restaient aux aguets. Nous sommes sur leur territoire. Ils savent que nous sommes ici.

—Nous ferions mieux de trouver un autre moyen de traverser cette partie, suggéra Arment. Ils risquent de nous attaquer une fois le camp levé.

Pourquoi ?

Car tu es sur leur territoire, l’aiguillèrent ses pensées. Tu devrais être habituée à reconnaitre les émotions d’une proie, la nargua cette même voix. Nous savons toutes les deux ce que tu caches au plus profond de toi.

Tu mens.

Tu te mens à toi-même.

Et soudain, elle disparut. La dresseuse fulminait mais elle ne pouvait lui donner tort. Même Taches de Myosotis sondaient les arbres avec un regard perçant. Inutile de te fatiguer, s’ils ne veulent pas que tu les voies alors tu ne les verras pas.

—Vous avez peut-être des ailes derrière vos cheveux, Arment, mais nous non.

—Regardez la rivière, s’exclama-t-il.

Elle s’était élargie depuis la halte aux Pics Rocheux. Plusieurs autres ruisseaux avaient d’û s’y précipiter, si bien que plusieurs pas séparaient les deux berges. Ix se transforma en Iss. C’est déjà une première étape.

—Il y a un fabriquant de canaux dans quelques lieux.

—Hors que question, se rembrunit Reikoo. Nous n’avons pas assez d’argent pour les payer.

—Bien sûr que vous en avez ! Les caves de votre Dame sont aussi florissantes que les bordels de putes. Je suis votre guide et si je vous dis que ces territoires sont dangereux, ils le sont. Fouillez votre poche, vous trouverez bien encore quelques pièces pour sauver notre peau.

—Il a raison, intervint Ferol. J’avais des doutes en franchissant ce village. Jamais ces animaux ne nous laisseront randonner sur leur territoire sans en tuer un ou deux d’entre nous (Son visage se fit grave). Je parle d’expériences.

Les lèvres de Reikoo se pincèrent et dans ses yeux brillait l’éclat de flammes meurtrières. Il détestait que son autorité soit zappé par les sages conseils de Ferol ou des menaces d’Arment. Brusquement, il se tourna vers Kita et darda sur elle un regard sombre.

—Qu’en pensez-vous ?

Les six hommes la dévisagèrent. Et maintenant ? S’interrogea-t-elle.

—Vous n’avez fait depuis notre départ de Cerralion. A demander si vous êtes vraiment avec nous. Voilà une occasion de le prouver : décidez.

Quelque fut sa réponse, elle renforcerait ou créerait de nouveaux ennemis. Elle soupesa les deux possibilités ; n’en trouva aucune qui lui permettait de se sortit de ce guet-apens.

—Si notre Dame a assez d’or pour nous payer tout, elle trouvera certainement quelques pièces supplémentaires.

Reikoo la fusilla du regard. Surveille ta gorge cette nuit. Un rictus fendit son visage.

—Bien, puisque vous comparez ma Dame à un puit, autant en profiter.

Si seulement, il se contentait de cette pique. Ils longèrent la rivière Iss jusqu’à un cabanon ou s’entassaient des canaux. Malgré les zébrures, ils semblaient en bon état. Reikoo frappa à la porte, insista lorsque personne ne répondit. Après dix coups, un viel homme se présenta dans l’encadrement de la porte. Une barbe mangeait ses joues et il de tenait droit. Ses épaisses mains s’appuyaient contre le chambranle.

—Vous cherchez des pirogues, vous. Et avant que vous ne me demandiez d’où je le sais, j’aimerai saluer votre ami là-bas, celui aux cheveux rouges et au visage de fer. Maintenant, je vais aussi vous dire que seuls les visiteurs que je reçois sont des acheteurs. J’ai raison ?

—Sans aucun doute, grinça Reikoo.

—Je suis à un bon endroit pour en vendre. Personne ne traverser la jungle avec ces saletés qui vous courent après. Qu’est-ce que vous voulez ? J’ai de tout : rapide, costaud…

—Quelque chose entre les deux pour transporter notre groupe.

L’homme les examina.

—Il vous en faudra trois car vous avez de la nourriture, j’imagine.

—Oui, répliqua Arment alors que leur chef pointait les sacs de l’index.

—Deux par canaux devrait suffire. Suivez-moi.

Il les conduisit à une fosse recouverte de ronces. —

—Elles ne s’approchent plus de ma réserve, se félicita-t-il. Leur peau humaine est vulnérable aux épines.

—Lesquels ? Intervint Reikoo.

—Oh, tous ! Panthères, cervidés…

—Quels kayaks ?

—Bien sûr. Ces trois-là. Vingt-cinq pièce chacun.

—Vingt-cinq ? S’étrangla le guerrier à la hallebarde.

—Vous avez vu le bois et la pointe. Ça met du temps à tailler et je ne connais pas de kayak qui se taille tout seul. Et faut bien que je mange et que je me défende si ces clans décident de m’attaquer.

Un homme seul ne résisterait pas aux attaques de ces créatures, songea Kita. Elle doutait que Reikoo ait emporté autant d’argent mais elle ravala sa remarque.

—Nous sommes en expédition pour Cerralion, avoua le garde.

—Connais pas. Vous les voulez, oui ou non ?

—Je ne me promène pas avec autant d’argent mais je peux vous signer un papier à présenter à Dame Valia. Elle s’occupera de vous payer, et grassement, ajouta-t-il d’un ton sec.

—C’est pas avec votre papier que je vais manger. Vingt-cinq pièce chacun ou rien.

—Osez-vous mettre en doute la parole de ma Dame ? S’offusqua Reikoo.

—Moi ? Jamais je ne me moquerai d’une grande Dame mais vous savez, mes yeux vieillissent et les feuilles sont tellement friables. J’ai appris à être prudent.

Malgré sa stature de marbre, Reikoo bouillait. Kita surprit ses poings serrés et sa mâchoire crispée.

—Pas d’argent, pas de kayak. Si vous n’avez pas ce qui m’intéresse, je vous pas ce qui vous retient ici.

—Vous le regretterez.

La menace ne l’intimida pas.

—C’est pas ma faute, je suis vieux et un peu stupide.

Un sourire tremblait ses lèvres. Ils abandonnèrent le vieillard, fulminants de rage. Keïdan frappa dans son poing.

—Si nous ne pouvons avoir ces bateaux par des moyens honnêtes, autant les voler.

—Brillante idée, s’exclama Ferol en applaudissant. Comment comptes-tu sortir trois de ces kayaks de ce trou à rat ?

—Tu as passé trop de temps avec les sauvages pour te souvenir de l’existence d’une cervelle dans ta caboche ? Ce n’est pas bien compliqué de passer outre un buisson de ronces. Kitaya, Galtriel et Arment sauteront dans le trou et nous passeront les kayaks. Une fois les trois remontés, nous les trainerons jusqu’à la rivière.

—Et le vieux ?

—J’en fais mon affaire, déclara Arment.

—Ne le tue pas, déclara Reikoo. Nous aurons du mal à expliquer sa disparition.

Le guerrier ricana.

—J’avais en tête une solution moins drastique. J’ai vu des plans de fleurs qui favorisaient les sommeils profonds.

—Comment comptes-tu les lui faire avaler ?

—Il lui faudra l’attirer dehors et glisser les feuilles dans son eau.

Cette fois, ils éclatèrent de rire devant l’absurdité de la proposition, même Kita osa un sourire.

—Laisse-moi m’en occuper. Tu l’attireras dehors et je l’assommerai.

Ils conversèrent quelques instants encore et dressèrent un plan pour s’emparer des kayaks. Reikoo et Arment se proposèrent pour la chasse et à Galtriel échut la corvée d’eau. Kita s’enfonça dans la jungle avec son bâshki. Il repéra un opossum au frémissement de feuilles. Il émit un couinement d’agonie, le petit dragon engloutit sa proie. Kita s’assit près de Ferol et après une discussion houleuse sur le danger d’allumer ou non un feu, Galtriel saupoudra les branches mortes de sa magie. Des étincelles rongèrent l’écorce, des flammes orange se dressèrent dans un crépitement. De la chair des animaux émanaient un fumet appétissant de viande grillée. La pénombre assaillit les bois. Il devenait difficile de sonder la forêt et la moindre feuille semblait frémir sous le souffle des hommes-panthères. Chaque bruit prêtait allusion à une partie de chasse. Au moins savent-ils maintenant ce que c’est d’être une proie, ricana la cavalière en se gaussant de leurs œillades inquiètes. Non pas qu’elle en menait plus large.

—Nous devons y aller, commanda Reikoo.

—Pas encore, s’offusqua Ferol. Les bêtes ne sortent jamais aussi tôt.

Des six aventuriers, il était le seul à s’avachir dans l’herbe profitant de la confortable et plaisante sensation d’un ventre plein.

—Cet homme les côtoie depuis des décennies et il est encore vivant. C’est bien pour une raison. Soit un accord entre eux existe, soit ce type est assez malin pour résister à leurs assauts. Nous ne l’aurons pas facilement.

—Si nous nous faisons passer pour ces animaux, l’homme risque de ne pas nous prêter attention, exposa Arment. Titillons sa curiosité et amenons-le à sortir.

—Qu’en pensez-vous ?

Reikoo interrogea Galtriel et Keïdan, les ainés de leur ridicule bande. Malgré un visage juvénile, l’homme arbre accusait quelques décennies. Plusieurs centaines d’années pouvaient se dérouler avant qu’il ne se fige définitivement. Keïdan frôlait la soixantaine. Kita nota qu’il ne l’interrogea pas.

—L’effet de surprise sera plus important si nous y allions maintenant, acquiesça le viel homme.

—Plus vite nous partirons, mieux ce sera.

Son visage, à demi mangée par l’obscurité et l’écorce aurait hanté les cauchemars d’un enfant durant quelques années. Il divisa sa faux. Ses lames happèrent les derniers vestiges de lumière.

—Alors, qu’attendons-nous ?

Malgré la densité des sous-bois, ils retrouvèrent sans difficulté la chaumière du marchand. Ferol glissa un doigt sur ses lèvres recourbées. Un rire étouffé mourut dans sa gorge. Reikoo lui intima le silence. Ils se glissèrent, ombres parmi les ombres, malgré le blanc des vêtements de leur chef vers la cabane. Eclairé par une chandelle, le vieillard se reposait dans un fauteuil dans l’angle de sa fenêtre. Ils furent trop loin pour constater si ses yeux étaient ou non fermés.

—Ne nous voit-il pas ? S’enquit-elle dans un chuchotis.

D’un geste brusque, Galtriel la pressa contre le feuillage d’un buisson. Sa bouche se colla à son oreille :

—Le mot silence n’a-t-il aucune signification dans votre langue ?

La cavalière se raidit mais se tut. Elle suivit la progression des deux hommes, réduits à de sombres silhouettes. Du bout de sa hallebarde, Reikoo frappa les planches de la chaumière. Il demeura silencieux, si bien que Reikoo réitéra son geste.

—Foutez le camp !

Il devait glapir mais Kita perçut sa voix comme un gémissement, atténue par la distance. Le bois de l’arme rencontra les planches avec fracas, plusieurs fois le vieillard refusa de sortir. Kita ignorait s’il fallait cette réaction un comportement borné ou une preuve de sagesse. Les buissons où ils s’abritaient frémirent lorsque Keïdan s’en extirpa.

—Il ne sortira pas. Autant voler les barques tout de suite.

Les trois compagnons le suivirent. Avec leurs armes (lorsque cela était possible), ils écartaient les ronces protégeant les précieuses embarcations. Le plus gros du travail échut à Kita aux gants de fer. Une fois le trou assez large pour leur permettre de se glisser sans craindre les épines, la jeune femme ôta ses armes et sauta. Ses talons se dérobèrent et entrainée par le poids de ses jambes, elle s’écrasa sur l’un des kayaks. L’extrémité percuta son estomac, ses poumons se vidèrent brusquement d’air. Arment la rejoignit puis Galtriel. Des trois, il était celui qui perçait le mieux les volutes de l’obscurité. L’homme-arbre repéra rapidement les canaux désignés par le vieillard dans l’après-midi.

—Voleurs ! Vol…

La fin du mot fut avalée par un gargouillis et le bruit sourd d’un coup heurtant le sol leur apprit qu’il s’était finalement décidé à sortir de sa tente. C’est ce que leur confirma Ferol :

—Il aura une sacrée migraine en se réveillant. Alors ces bateaux ?

Tous les trois s’attelèrent à la tâche. Ils dégagèrent la première embarcation, plus lourde qu’ils n’y pensaient et dessinèrent un passage pour extraire les barques. A force d’effort et de sueurs, Kita put bientôt s’extirper de la fosse avec l’aide de Keïdan. Reikoo coinçait son sac à l’avant du kayak.

—Que fait-on de lui ?

—Rien, répliqua le garde.

—On pourrait au moins le ramener chez lui, proposa Arment.

—Je ne vous savais pas si empathique, railla leur chef. Soit, quelques minutes n’y changeront rien.

A quatre, chacun un membre, ils déplacèrent le corps à l’abri des prédateurs. Kita prit soins de refermer la porte jusqu’au couinement du loquet. A deux, ils poussèrent les barques jusque dans la rivière. La jeune femme se glissa derrière Ferol, jeta son sac sur les rames. Ses muscles s’étaient endurcis depuis la Breille. Elle n’eut aucun mal à seconder le mercenaire. La cavalière sauta dans le kayak et d’un coup de rame, l’éloigné de la berge. Elle pagaya sur quelques mètres, au rythme des claquements d’ailes de son bâshki qui volait en cercle au-dessus d’eux. Reikoo et Arment les dépassèrent. Que veut-il guider ? Nous n’avons qu’à suivre la rivière.

Après quelques lieux, Kita dut reconnaitre la finesse et la précision de l’ouvrage du vieillard. Solides, les canaux fendaient les flots à une vitesse époustouflante. Les puissants coups de rame aidaient aussi leur progression. Les muscles des épaules tiraillaient la dresseuse, pas encore habitués à cet effort nouveau. Ils avalèrent ainsi quelques lieux supplémentaires, amarrèrent les barques une fois le soleil disparu derrière les arbres. Ne restait que les éclatantes couleurs du ciel pour leur permettre de chasser ou pêcher. Keïdan tailla une branche en fourche destinée à empaler les poissons. Elle les tuait d’un coup de pierre derrière la tête, leurs frémissement s’évanouissaient et leurs yeux dénuées de paupières la fixaient, une question intelligente au fond de leur regard : pourquoi ?

Pourquoi la mort des uns devait la survie des autres ? Pourquoi une mort aussi douloureuse. Pourquoi ta vie est-elle plus importante que les miennes ? Kita refusait le moindre sentiment pour ses cadavres au risque de céder à la folie. La cavalière les dépouillait de leurs écailles avant de transpercer leurs corps d’un bâton et de les suspendre au-dessus des flammes.

—Même si nous avons plus égrené de lieux avec ces barques qu’à pieds, nous demeurons tout de même sur leur territoire. Restez vigilants, énonça leur chef. Je prendrai la première garde.

Kita écopa de la troisième. Arment la réveilla d’une pichenette. Elle s’adossa à un tronc, il s’allongea à sa place. Durant de longues minutes, elle caressa ses gants de fer et remercia Valia de les lui avoir accordés. Elle avait ne savoir se servir d’aucune arme, donner des coups de poing était à la portée de chacun, autant du roi que du fermier. Les buissons frémirent sur la berge voisine et le serpent apparut sinueux et de sa langue serpentine lapa quelques gorgée d’eau. L’animal siffla, s’enroula et la fixa.

—Que me veux-tu chuchota-t-elle ?

Pourtant, elle le savait. Il n’attendait que le bon moment pour attaquer et cette nuit n’était pas encore la bonne. Ses écailles scintillaient autant que la surface d’un lac sous l’éclat argenté de la lune mais magnifique n’était pas le mot qui lui venait à l’esprit. La créature aurait pu s’immerger dans la rivière, glisser entre les vagues pour cueillir sa vie. Après la peur, l’incrédulité la gagnait. Au moment où elle s’imagina que l’animal la suivait peut-être pour son bien, elle rencontra le soleil de ses yeux, barrée par un trait noir et malveillant. Elle lut un rictus sournois sur ses lèvres. Pourquoi se présentait-il à elle seule ?

Lorsque Reikoo la remplaça, le serpent avait disparu.

Ils voyagèrent quelques jours supplémentaires sur leurs barques. Les embarcations glissaient paisiblement sur la rivière malgré les fluides coups de rames. Ils échangeaient de coéquipiers afin de briser la monotonie du paysage composé d’arbres, de lianes et curieuses créatures velues pourvues de huit queues de longueur inégale. Ferol l’instruisit sur l’une ou l’autre de leurs rencontres. Les noms des mammifères se mélangeaient et Kita regretta de ne posséder aucune capacité de mémorisation. Ses rétines imprimaient les plumes irisées de bleu du coàtl, le renflement de la corne, le prolongement des omoplates du guérion, de la tête oscillante du scelio. Les branches des arbres se refermaient au-dessus de leurs crânes dans une cascade, le soleil mouchetait l’or les troncs et les buissons épineux bordant les berges.

La tête de ses humérus raclait les os de l’articulation sous l’effort. Ses muscles se durcissaient. Ils s’arrêtaient la nuit pour chasser et dormir, usés par leur journée de gestes répétitifs. Kita avait beau étirer ses membres chaque soir, des douleurs la courbaturaient le lendemain. Ils avalèrent ainsi quelques lieus jusqu’au matin où la jeune femme aperçut le serpent dans les fourrés. Elle interpella Arment, coéquipier du jour sur le subit bruissement des feuilles d’un buisson. Il ne remarqua rien et la cavalière s’enferma davantage dans ses interrogations muettes et la possibilité d’un esprit délirant. Elle seule connaissait cet animal. Sitôt l’idée formulée en pensée, elle gangréna son esprit. Elle supposa à un maléfice des Dieux pour sa lâcheté.

Un ou deux jours plus tard, des roches brisaient la quiétude de la rivière. Cette fois, tous purent assister à cet effroyable spectacle. Effroyable, terrifiant et dangereux car un unique mauvais coup de pagaie les mènerait à leur perte. Ils portèrent désormais une attention à ces dents qui émergeaient tels des crocs menaçants, les invitant à s’empaler, se coucher sur eux. Ils le contournèrent quelques jours durant jusqu’à ce qu’ils fendirent les flots pas dizaine. Leur progressions ralentit, devint plus ardue. Et soudain, le courant s’accéléra, doubla d’intensité et de fureur. Une pente raide naquît sous leurs barques les entrainant vers des rapides percés par des roches aiguisés par les courants. Perdue dans ses pensées, sons esprit assourdit le grondement de l’eau. A force de cris et des rapides bercements de la coque de leur embarcation, Kita s’éveilla à temps pour repousser du bout de sa rame la barque d’un rocher. Son cœur s’emballa tandis que Reikoo beuglait des ordres avalés par le tumulte des flots. Ils manœuvrèrent quelques instants se frayant un passage à travers les pics alors que le radeau prenait de la vitesse. Et soudain, les cris d’Arment lui parvinrent :

—Cascade !

Il disait vrai, l’eau s’enfonçait brusquement à une centaine de pas. Le guerrier agita les mains, attirant l’attention de leurs camarades. Quelques secondes de distraction et leur bateau s’écrasa avec violence contre l’un des pics. Le craquement du bois éraflant la pierre rappela à Kita le sinistre craquement des os. Sous l’impact du choc, Galtriel et Ferol furent éjectés et plongèrent sous l’onde. Alertés par le bruit, Reikoo et Keïdan jetèrent un œil en arrière. Arment pagaya désespérément vers eux, s’opposant aux rapides par de larges et puissants coups de bras mais la cavalière connaissait l’inutilité de son acte : impossible d’éviter les rochers et les deux hommes ne purent batailler avec un simple crawl contre la véhémence de la rivière qui les emportait toujours plus. Soudain le grincement de planches à l’agonie résonna aux oreilles de Kita. La canoé fit un mouvement sur le côté et la jeune femme et Arment percutèrent l’eau. Les vagues s’abattirent sur ses tempes, la happèrent ver le lit creusé de la rivière, la projetèrent en avant. D’un puissant battement de jambes, elle se propulsa à la surface. Reikoo et Keïdan étaient aussi à l’eau, tous tirés, entrainés vers la cascade. Son cœur s’emballa sans sa poitrine. Elle tendit les mains vers un rocher mais ne réussit qu’à se couper la paume. Les flots pulsaient tant qu’elle ne vit même pas les effluves écarlates du sang. Elle jeta un œil à ses compagnons, se démenant pour que son nez perce la surface : tous voguaient, aucun ne réussissaient à s’accrocher. Impuissants, ils se contentaient d’éviter autant que possible les dents tranchantes. Alors qu’elle tournait sur elle-même, son dos percuta un de ces pics. Le souffle coupé mais, pas bonheur, elle ne sentit aucune ligne de douleur zébrer son corps. La chute s’approchait inexorablement avec une vitesse surprenante. Son bâshki piaillait au-dessus d’eux mais elle ne pouvait lui hurler des paroles réconfortantes de peur que l’eau ne s’engouffre dans sa gorge pour noyer ses poumons.

—On se rejoint en bas ! Cria Reikoo en disparaissant brusquement.

Quoi ? Encore une dizaine de pas. Prions qu’il y ait un lac et non une forêt de ces pieux. Le sol s’ouvrit sous ses pieds et l’air rencontra sa peau. Elle risqua une œillade sous ses chaussures et découvrir une étendue d’eau assez profonde pour que seule la tête de Keïdan apparaisse. Son cœur chavira mais elle tombait toujours, un cri de terreur s’échappa de ses lèvres. Elle percuta le lac avec une force qui lui coupa le souffle. Les trombes d’eau se déversant sur sa tête la précipitèrent vers le fond. Ses poumons quémandaient de l’oxygène et la cavalière ne savait où en trouver. Elle eut beau battre des pieds et des mains, elle ignorait où se trouvait la surface. Ses organes se contractèrent et soudain, ils s’emplirent d’eau.

Des mains écrasaient sa poitrine, se détachèrent, écrasèrent. Un fluide acre, écœurant grimpa le long de sa trachée. Kita tourna sur le flanc et vomit. L’air d’engouffra dans sa gorge dans un râle. Autour d’elle s’attroupaient ses compagnons. Elle inspira une goulée d’air, imprima et goûta sa saveur sur sa langue. Au-dessus d’elle, le visage de Reikoo. Des mots se formèrent dans sa gorge, aucun ne roula hors de sa bouche. Des haut-le-cœur obstruèrent trachée et œsophage. Kita recracha un filet de bile, sa poitrine se comprima. Elle porta une main sur son torse, griffa sa peau.

Après quelques instants, elle put parler :

—Merci.

Arment fixait leur chef.

—C’est lui qui vous a sauvé.

Elle chercha son regard, surprise. Il aurait pu la laisser crever, il ne l’avait pas fait. Il remarqua son expression mi perplexe mi soulagée.

—Notre quête n’est pas terminée.

Certes non. Ils ne possédaient plus de barques, ils étaient trempés et leurs sacs contenant leurs provisions, avalés par la rivière, ils avaient eu le malheur d’échouer au cœur du territoire des meutes animales. Qu’allaient-ils devenir ?

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