Chapitre 14

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Sa domestique pour les quatre prochains jours la conduisit dans une salle à manger exiguë. D’exiguë, elle ne portait que le nom car lorsque s’ouvrirent les portes, Kita rencontra le ciel violet avec stupeur. Aucun mur ne cloisonnait la pièce. Certes, la superficie du sol ne permettait guère d’entreposer plus qu’une table et une quinzaine de chaises mais à elle seule, elle contenait le monde. A mi-chemin entre le jour et la nuit, le globe de feu disparut mais sa lumière irisait les cieux et les ténèbres se tintèrent de nuances mauves. Parsemés de points blancs, les milliers d’étoiles lui souriaient. Une brise, quoique assez fraîche en dépit de la chaleur, balayait les cheveux de ses épaules. La robe froufroutante n’était pas un accessoire de mode des plus ridicules mais un vêtement protégeant la délicate peau de crocs trop longs.

—Rejoignez-nous, lui proposa gentiment Valia elle aussi accoutrée de plusieurs couches de chiffons, qui ne ressemblait à rien de plus qu’un assemblage de torchons.

Kita dut pivoter sa tête pour repérer une chaise dans l’angle mort de son œil disparu. Un domestique lui servit du vin, un délicieux cru aux arômes fruité. Le tissu enveloppant ses bras ondulait sous les frémissements du vent. Un morceau de viande et quelques grains de riz apparurent dans son assiette.

—Veuillez nous excusez pour la frugalité de ce repas, dit la régente.

—Voici donc Kita Undoriel, cavalière de l’écurie des Trois Epées d’Or.

—Je ne le suis plus, souffla-t-elle en interrompant la belle-mère de Valia.

Elle remarqua l’absence de l’époux. Autant qu’elle le haïssait, jamais son père ne se reposait sur quiconque pour accueillir ses invités. Si Meorwen avait été là pour régir l’écurie, peut-être en aurait-il été autrement.

—Vous le serrez de nouveau, une fois votre mission accomplie. Buvons à sa réussite.

Celyse leva son verre et les autres l’imitèrent. Kita rechignait à séparer ses lèvres du vin. Pour en avoir goûté dans de nombreuses auberges, il portait le goût d’une torture exquise. Amer sur la langue, il laissait une douceur au fond de la gorge. Elle fit signe au domestique de la resservir.

—Permettez-moi de vous présenter Xaelio, Reikoo que vous connaissez déjà, Arment, Ferol, Aroa, Keïdan ainsi que Galtriel.

Elle désigna un brun, un blond, deux noirs, l’un aux cheveux rouges tressés, son voisin arborait une étonnante tignasse blanche aux mèches d’or luisante. Le dernier n’appartenait pas à la race des humains mais à celle des Hommes Nature. De l’écorce mangeait la moitié de son visage, de fins cheveux noirs recouvraient un œil qui la fixait avec un éclat meurtrier. Malgré la bise mordante, Kita suffoquait dans sa robe de tulle. Ses traits ne s’adoucissaient devant ses autres compagnons. La jeune femme s’empressa de fourrer un navet dans sa bouche. Il fondit sur sa langue et imbiba son palais d’un goût amer.

—Comme vous avez pu le constater, Reikoo est un de mes gardes personnel. Mon plus fidèle et loyal serviteur. Il sera le chef de cette expédition

Kita soupçonnait les deux femmes d’engager trop de mercenaires. Quatre des sept qui l’accompagnaient se comportaient comme des voleurs. Ils analysaient la valeur de moindre objet et quelques cuillères d’argent disparaitront mystérieusement à la fin de leur séjour. Il en manquait cinq. D’ailleurs, il ne lui restait que deux fourchettes sur les trois disponibles. Derrière les sourires enjôleurs, la froidure de façade des autres, la jeune femme devinait des loups affamés. Et elle, lapin parmi les canidés. Elle n’appréhendait par les deux autres dont la carrure et les manières rappelaient des voyageurs téméraires qui serviraient de guide.

La cavalière reconnaissait le but implicite de ce repas : juger les plus dangereux, évaluer leurs faiblesses et lesquels seront les plus amènes de coopérer. Ils n’avaient guère dut se rencontrer avant car Valia se racla la gorge pour les présenter.

—Vous savez tous pourquoi vous êtes ici. J’ai entendu vos exigences et vos payements, je respecterai ma parole si vous tenez la vôtre. Reikoo commandera au risque de voir votre paiement diminuer.

Le garde inclina la tête en hommage à sa Dame.

—Xaelio, Ferol, Keïdan et Galtriel sont des hommes de main. Ils sillonnent Naarhôlia en attendant notre appel.

Valia désigna les deux hommes à sa gauche répondant au nom de Ferol et Keïdan. Le second nouait ses cheveux blonds en queue de cheval malgré quelques mèches rebelles flottant autour d’un visage mangé par la barbe. Une quinzaine d’années les séparaient de son voisin, chauve mais à la longue barbe noire aussi haut que large. Il arborait une veste brodée d’une enclume. Quant au dernier, il les foudroyait tous du regard. Un anneau de bronze perçait son lobe.

—Arment et Aroa seront vos guides. Ils sont les seuls à avoir passé plusieurs semaines dans une Forêt Jaune pour savoir comment survivre.

Bâtis tous deux comme des montagnes, les mêmes traits ciselés et le pic qui leur servaient de nez, impossible de douter de leur lien fraternel. Elle supposa, au hochement de tête qui suivait leur nom, qu'Arment tressait ses cheveux rouges et qu’Aroa les préférait blancs.

—Kita Undoriel est le pièce maîtresse de votre cercle. Elle s’occupera du dragon.

Valia lui laissait le libre arbitre : tuer, domestiquer, piéger, distraire… Tout lui convenait tant que ses acolytes récupéraient les pierres.

—Je n’avais jamais entendu que le seigneur Undoriel avait une fille, intervint Arment.

Une fois son attention captée, elle remarqua qu’une dizaine de bijoux trouaient ses narines, sourcils, lèvres et joues. Sa fantaisie allait jusqu’à arborer une chainette d’or cuivré qui perçait l’arcade sourcilière et la commissure de sa bouche. Une partie de sa langue lui avait été arrachée et aux bords étincelaient une rangée de joyaux.

—Mon père ne s’en est jamais vanté. Tuer ma mère le premier jour de sa misérable existence n’aide pas à s’octroyer les faveurs d’un père.

Il lui décocha un sourire pour le moins étincelant. Par sa question, Arment indiquait que le jeu commençait. Kita avança son pion d’une case. Tâche peu glorifiante qu’un assassinat mais diablement efficace pour forger le respect.

—Je n’ai jamais entendu parler de vous non plus.

—Non, madame. Nous ne sommes que l’ombre des plus grands héros, répondit Aroa. Nous sillonnons Naarhôlia à la recherche d’exploits dignes de nous.

—C’est nous qui avons capturé la terrible panthère dévoreuse de chair humaine.

—N’était-ce pas un prince ?

—Précisément. Ce dit prince a cherché de vaillants, courageux et beaux guerriers pour la tuer et raconter que la noble main qui l’abattit fut la sienne. Il nous a payé grassement pour ce travail.

—N’allez pas divulguer nos secrets sinon nous serons obligés d’immobiliser cette jolie petite bouche, ricana Arment.

A cet éternel sourire carnassier, Kita devinait qu’il ne plaisantait pas.

—Je serais aussi muette qu’une tombe.

—Quel dommage ! Cette langue qui se tortille derrière vos lèvres promet bien des surprises.

Beaucoup d’hommes souhaitaient intimider les pucelles par quelques allusions sexuelles. Tant mieux pour eux, les frères ignoraient encore quelle anguille ils avaient pêché. Aurait-il le courage de fourrager leur propre queue le bourbier de leur sœur ?

—Je suis flattée de vos compliments.

Son bâshki redressa la tête, museau légèrement relevé. Que sentait-il ? A peine éveillée, il se blottit de nouveau contre son épaule.

—Beaucoup de seigneurs Horziens possèdent de ces bestioles, très peu au-delà de la mer de Lune.

—C’est un terrain que mon père n’a jugé exploitable.

—Alors votre paternel devrait de temps en temps sortir de son trou à rat d’écurie découvrir le Naarhôlia réel, rétorqua Xaelio, le plus jeune de ses compagnons.

—Il n’en n’aura pas le temps. Je compte le tuer sitôt notre mission terminée.

—Vous êtes déjà coupable de matricide. La Déesse ne sera pas ravie d’un parricide.

—J’ai également été jugé pour corruption. Selon eux, je ne priais pas les bons Dieux. Ma liste de crime est bien longue.

Ajoutée à cela les nombreuses nuits d’ivresses, la bagatelle avec Meorwen, un ou deux meurtres supplémentaires, penseurs pervers, elle gagnait aisément le droit de siéger à la droite Khéor dans les temples. Et je ne suis pas responsable de la moitié. Au-dessus d’eux, le ciel perdait de sa teinte mauve au profit d’une voile sombre où brillaient plus d’un millier d’étoiles et des trois lunes, l’une noire, la seconde en croissant, la troisième en gibbeuse. Les serviteurs dispersèrent des bougies à la nuit tombée. Combien de temps durera encore cette mascarade ? Elle piocha un fruit rouge dans une corbeille, perça la peau de ses ongles. Le jus éclaboussa ses doigts. Son arôme sucré piqua ses narines.

—Au moins, nous avons tous un point commun : les huit mendiants que nous sommes ont tous tué quelqu’un volontairement ou non.

Kita baissait les yeux sur son assiette. Ce sujet lui coupait l’appétit mais elle se forçait à avaler son contenu. Dans peu de temps, elle traquerait racines et baies et se maudirait de ne pas avoir pu remplir son estomac quand cela avait encore été possible. Xaelio dévia son attention sur la jeune femme. Par bonheur, il se trouvait être son voisin et lui murmura quelques mots à l’oreille.

—J’ai tué plus de personnes que je ne peux en compter. En moyenne un par jour, en espérant que ma vie soit longue.

Quelques vantardises ne la troublèrent pas. Elle soupçonnait Xaelio de compter ses victimes et inscrire le nom ou un trait dans un carnet pour connaitre le chiffre exact des mots dont il était à l’origine.

—Je n’en n’ai que deux à mon actif.

Et je souhaite ne jamais le dépasser. Deux vies ont été écourtées par ma faute.

Un mouvement attira son attention sur sa gauche. Valia se levait.

—Je suis heureuse que vous fassiez connaissance. Une entente commune sera bénéfique lors du voyage. Demain, vous vous rendrez à l’armurerie pour choisir des armes si vous le souhaitez. Dans quatre jours, je vous montrerai les cartes (elle s’adressait aux frères). Vous partirez le soir-même.

Il était convenu débuter cette mission sous la lumière de l’aube afin que la fortune leur sourisse. Il longerait la rivière Iss pour masquer leurs traces de pas. Le grondement de l’eau couvrirait leurs voix si bruits il devait y avoir. Les étapes suivantes du plan lui étaient inconnues, les autres ne quémandèrent pas d’indications supplémentaires alors elle se tut. A sa gauche, Xaelio se vouta sur son fauteuil. Les explications l’ennuyaient visiblement. Je connais ces hommes. Plus prompt à l’action qu’à l’écoute. Ce constat ne la rassurait pas. Quel genre de dangers croiserons-nous pour nous munir d’autant de guerriers ? Même leurs guides se vantaient de leurs exploits. Elle seule ignorait tout de l’art de la guerre.

—Mon domaine est vôtre, ajouta Valia.

Le dîner se termina quelques instants après qu’elle se fut rassit. Kita porta une troisième mandarine à sa bouche lorsqu’ils prirent congé. Seuls Xaelio et Valia persistèrent à affronter La nuit. A leurs manières, les lueurs du firmament éclairaient autant que le disque incandescent. Malgré leur froidure, Kita leur trouvait une certaine douceur. La Dame étouffa un bâillement derrière sa main avant de se retirer. La cavalière enchaina avec une part de tarte. La faim qui l’avait désertée l’assaillit une fois le discours de la Lady achevée. Depuis ce succédait trois, quatre desserts dans son assiette. L’homme l’observait avec amusement.

—Mangez-vous toujours une fois les invités partis ?

—Vous êtes encore là. Je mangeais généralement avec les palefreniers de mon père.

Elle préférait taire les nombreux petits déjeuners silencieux partagés avec son géniteur.

—Mon cour séjour dans un cachot m’a rappelé l’importance de la nourriture. Je préfère partir le ventre plein.

Elle se resservit un verre de vin.

—Vous allez finir par devenir ivre.

—Je suis déjà une ivrogne. Une nuit de plus n’y changera rien.

—Je n’ai pas eu l’honneur de me présenter : Xaelio, le plus beau, humble et modeste tueur à gage.

—Kita Undoriel, cavalière de l’écurie des trois Epées d’Or, ivrogne à temps complet, borgne et meurtrière involontaire.

—Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer beaucoup de femmes qui aimaient boire. Il y avait bien cette Reine mais je n’ai jamais pu l’approcher.

—Vous n’êtes pas nés dans les pays de l’Hiver.

Elle énonçait cette remarque comme un constat. Ceux qui habitaient par-delà la mer possédaient des peaux aussi blanches que les trois lunes, la sienne était dorée, presque tannée.

—Je suis bien né là-bas mais j’ai voyagé sur les deux continents.

—Pas sur le troisième ?

Une terre de roches où rien ne poussait selon les mythes, ou rien ne vivait mais c’était cette île qu’avait choisi le dragon pour résidence. Un continent désert ou la bête emprisonnait des victimes pour les violer. Cette terre, peur l’avaient visité et encore moins avaient vu le dragon mais tous s’accordaient sur un point : une créature y vivait.

—Peut-être un jour. Puis-je toucher votre animal ?

—Ce n’est pas à moi de décider.

Son index glissa sous les griffes du bâshki pour le décrocher de sa robe. Une main sous le poitrail, elle le tint en l’air alors que s’entendit ses ailes. D’un ou deux battements énergiques, il voleta vers la viande de sanglier, la renifla et couina. Xaelio lui présenta sa main. Sceptique, le petit dragon inclina la tête plus curieux qu’effrayé de l’odeur inconnue.

—As-tu faim, petit ?

Ses lèvres s’entrouvrirent, dévoilant une fine langue rouge serpentant hors de sa bouche. Ses écailles luisaient à la lueur de la lune. Le mercenaire, d’un mouvement incroyablement lent, frotta la pulpe de son index contre ses épines. Le bâshki s’immobilisa, gronda devant cette caresse maladroite. Toutefois, à la surprise de la dresseuse, Tâches de Myosotis ne se soustrayait pas aux doigts étrangers. Xaelio effleura les épines le long de son échine, prolongement des vertèbres de l’animal.

—Il ne vous connait pas. Si c’était le cas, il se montrerait plus amical.

Si un lien privilégié liait le dresseur son animal, il supportait la présence d’autres humains comme les palefreniers de son père, en acceptait même la compagnie de certains et dans de rares cas les appréciaient même à leurs maîtres.

—Charmant bête, ricanait le tueur à gage.

Il s’affaissa dans son fauteuil, une cheville posée sur son genou, la tête reposant sur ses mains croisées. Les ailes du bâshki claquèrent, il émit un piaillement strident avant de se nicher dans le giron de Kita.

—Comment Valia vous a-t-elle trouvée ?

—J’ai secouru un homme qui voulait se suicider. Ils m’ont enfermée dans un cachot jusqu’à ce que Valia les achète.

—L’or régit le monde. C’est pour ça que nous sommes là.

Combien de sacs lui avaient promis la dame ? Suffisamment pour l’encourager à prendre part à une chasse au dragon imaginaire.

—Pas pour l’argent. Pour la mort.

—La mort de votre père et vous deviendrez maîtresse de cette écurie. Et riche par la même occasion.

—Ce n’est pas l’or qui m’a amené. C’est la vengeance.

Oui, songea-t-elle, oui. C’est exactement le mot qui me pousse à avancer. Pour les silences répétées, les phrases blessantes, la considération d’un sexe faible, une femme stupide. Ce n’était plus les preuves de sa force qu’elle traquait mais une manière de lui voler tout ce qui lui était cher. Néanmoins, une petite voix traîtresse ne pouvait s’empêcher de lui murmurer : Il l’a laissé de l’argent, il t’a laissé le gîte et le couvert. L’unique chose qu’il ne t’a pas donné c’est : de l’amour paternel.

Il m’a reniée, traitée de monstre, maudit le jour de ma naissance. Le peu qu’il a fait, c’est par égard pour le sang de ma mère versé inutilement lors de l’accouchement. Voudrais-tu que je m’incline ? Avait-elle envie de cracher ?

—La vengeance n’est pas toujours salutaire.

—Non, elle est nécessaire.

Utile pour recommence une nouvelle vie. Une nouvelle vie ? Répliqua cette voix stupide. Tu reprendras celle de ton père.

Et je jouirai de ma position. Oui. Je jouirai de mon rôle de chef.

Sans une salutation supplémentaire, Kita se rendit dans sa chambre, la queue du bâshki oscillant entre ses seins. Elle prêta l’oreille à l’obscurité, chercha à entendre les murmures de la nuit, du vent, le bruissement d’une étoffe, le raclement étouffé de chausses embrassant le sol. Hormis les grincements des planches des ponts, le silence régnait en maître dans le château. La jeune femme abandonna sa robe volumineuse dans sa chambre contre ses vêtements de cuir.

Les rayons de lune imbibaient la tour d’une lueur d’argent, fantomatique presque irréelle. Les ponts entre les tours gémissaient à son passage. Le bâshki ouvrit son corps aux bras du vent, déploya des ailes et engloba son crâne d’une couronne membraneuse. Kita s’agrippa fermement aux cordes longeant les planches de bois, si bien que ses ongles s’enfonçaient dans sa chair. Le corps de Tâches de Myosotis se lova contre sa nuque, ses épines égratignant la peau qui recouvrait sa trachée. La tiédeur de la pièce irradia dans ses doigts. La terre crissa sous ses bottes. Sept tours l’encerclaient, avalaient le ciel de leurs fenêtres ouvertes. Les flammes papillotantes des bougies projetaient les ombres des amants enlacés sur les vitres.

Personne ne se promenait au clair des trois lunes, sa respiration et ses chaussures martyrisant le sol et les gargouillements de troublaient l’inquiétant silence. Enfin, elle se pencha au-dessus du précipice. L’oued creusait son lit dans les courbes de la roche, grattait la vase de longs ongles recourbées afin de s’accroitre. Sa douce voix attirait la dresseuse qui s’empressa de répondre à son appel. Des briques serpentaient le long de la falaise et permettaient aux domestiques de Cerralion de remplir leur sceau. Devant une eau si limpide, qui semblait pétiller d’étoiles, Kita se réservait un autre dessin.

Elle se débarrassa de ses vêtements et avant de se laisser rebuter par la bise, s’immergea. Une fois ses borborygmes estompées, elle entendit le chant de la rivière bourdonner à ses oreilles, l’envelopper. Sa peau se réchauffa sous ses délicieuses caresses. La cavalière s’abandonna à son étreinte, oublia la tension qui crispait ses membres. Des spectres portaient son corps, effaçaient les tourments imprimés dans son cerveau. Même la lourdeur dans sa poitrine s’allégea. Son cœur, lui, battait en rythme en cœur avec une chanson que lui seul écoutait. Peut-être celle du sans frappant ses artères.

Remonte à la surface, lui murmuraient les esprits leur bouche collée à ses oreilles. Pourquoi remonter ? Qu’y avait-il là-haut de si intriguant ? Elle souhaitait se morfondre dans cette rivière turquoise, en épouser le seigneur, devenir sa Reine et peut-être même, oui, pourquoi pas régner ? Des mains fourmillaient sur son corps, la pressaient de fendre les flots de son nez. Les ailes de ses narines se gonflèrent, l’air se précipitait dans ses cloisons nasales et sa bouche, dans sa gorge pour nourrir ses poumons. Un contraste entre la chaleur de l’eau, le froid et l’air. Elle soupçonna l’existence de sources chaudes dans la terre. De nombreuses légendes, pour expliquer ces phénomènes, contaient que les dragons, pour échapper à la barbarie des hommes, se cachèrent dans les souterrains pour hiberner rêvant des jours heureux où ils volaient dans les cieux. Le moindre de leurs soubresauts déclenchait un séisme, leur souffle brûlant réchauffait la terre. Si elle croyait à ces histoires, un dragon dormait sous ses pieds.

Des gouttes s’écrasèrent sur son visage tandis que le bâshki plongea, tête la première. Au bon volant que nageur, les créatures ailées raffolaient autant de poissons que de souris. Une perche aux écailles irisées dans la gueule mais la pressions de la mâchoire du serpent se resserra sur sa victime. Portée par des mains visibles, Kita s’allongea sur le dos, les bras tendus, dans l’équilibre le plus parfait.

Entre le voile obscur parsemé de milliers d’étoiles et la rivière grondante, pour la première fois depuis des années, Kita se sentait bien.

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