Mystérieux inconnu

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Des volutes épaisses de fumée s'élevaient parcourant un long chemin avant de s'évaporer au-dessus du brouhaha incessant. Les tintements frénétiques de verres sonnaient, orchestrés par les allées et venues des serveurs se frayant un passage parmi les danses endiablées des visiteurs, venus de tous les horizons pour un soir, pour un instant, pour une vie. Le bar tout droit sortie du monde de Gatsby, était bondé, la musique battait son plein. Les clients chantaient et dansaient au rythme de la musique, se lançant dans des chorégraphies minutieusement calculées, où chaque pas entrainant un autre dans un mouvement fluide et glamour. Les rires cristallins des jeunes filles se mêlaient à la musique des années Fifties.

L'ambiance joyeuse et folklorique était comme un pansement à mes plaies. Cet endroit était exactement le lieu que je recherchais, j'étais bercée par les musiques teintées de Blues et de voix suaves. Toute la salle était en transe au son du piano, du saxo et des paroles chantées par Dinah Washington. J'étais en phase, totalement transportée par le monde qui m'entourait. Le sol semblait bouger sous mes pieds et les décors tourner autour de moi. L'alcool y était surement pour quelque chose. Je fixais mon reflet dans le verre que je tenais. Mes cheveux blonds soigneusement coiffées, je m'étais attardée sur cette coupe des plus sophistiquées, j'avais appliqué mon rouge à lèvre rouge sur mes lèvres charnues et avait rechercher une des robes les plus chic et tendance du moment. Ma robe noir ceintrée portefeuille a eu son moment de gloire et j'en étais plutôt satisfaite. Elle mettait en évidence mes forme sans être trop osée. Accompagné d'un grand et long chapeau noir me couvrant de part et d'autre, les mains égantées, j'arborais une tenue sophistiquée et classe pour un jour très particulier. Mais je ne m'étais pas apprêtée pour venir dans ce lieu. Les traces de maquillage sur mes joues que je venais de remaquiller précipitamment trahissaient le flot de larmes qui avaient coulées une heure auparavant. Je ressassais les dernières heures chaotiques de ma vie qui s'étaient déroulées et ce que je n'ai pu empêcher, en essayant de déceler à quel moment le fil des événements m'a échappé.

- C'est la première fois que vous venez au Paradise?

Je fus extirpée de ma contemplation. Le jeune homme accoudé au bar qui s'adressait à moi semblait tout aussi intrigué que moi. Je le regardais d'un œil, commandant une nouvelle bière au barman. D'une allure frêle mais assurée, il arborait un sourire qui a dû en faire fondre plus d'une. Mais je n'étais pas intéressée par les plus jeunes que moi. Et je n'avais vraiment pas envie d'être accostée.

Me retournant pour lui faire face, j'expulsais l'air de mes poumons en recrachant la fumée de ma cigarette et répondis dans un souffle.

- Eh bien.. oui.

Le jeune homme toussota, me fixa intensément. Il sembla hésiter un instant et s'apprêtait à dire quelque mot lorsque son regard se perdit derrière moi. En un instant son visage s'assombrit, il se décomposa, puis s'éloigna d'un pas rapide et précipité. Je le regardais s'éloigner, bousculant les personnes sur son passage.

- Madame.

Une voix puissante, profonde et masculine me fit sursauter.

- Excusez-moi, je n'ai pas voulu vous effrayer.

- Ce n'est visiblement pas moi que vous avez effrayé.

Je tentais de rallumer une nouvelle cigarette, l'homme me tendit un briquet et alluma le feu. Je pris une longue inspiration et relevait les yeux en direction de cet étranger. J'en eut le souffle coupé. Une épaisse et grande carrure me fit face, la lumière dans son dos accentuait ses traits et lui donnait un air sérieux et sombre. Il me surplombait de toute sa hauteur et je sentais la puissance émaner de son corps. Sous son costume les muscles se mouvaient et roulaient lorsqu'il s'approcha de moi. Je failli presque laisser tomber ma cigarette. Le temps sembla se suspendre un instant. J'extirpais la fumée, en le fixant intensément dans ses yeux noirs et profond dans lesquels je pouvais me noyer.

- Il devait certainement avoir une raison.

- De vous craindre? Vous êtes quoi au juste, un tueur?

J'avais envie de le destabiliser, peut-être de m'amuser un peu. Après tout, c'était une journée pleine de rebondissements.

- Je suis ce que l'on veut que je sois.

Je fut prise dans un torrent d'émotion. Comme si je n'en avais pas eu assez. Je perdis à mon propre jeu et détournais avec effroi les yeux de son regard. Quelque chose de primitif, de fou et d'intense s'en échappait. Comme si ses paroles m'atteignaient personnellement et qu'il voulait me faire comprendre le sens caché.

- Je peux? Il désigna un tabouret à côté de moi.

J'opinais de la tête. Je le toisais et décortiquais minutieusement l'individu à mes côtés. Ses cheveux de jais noirs taillés de près, avec une barbe naissante sur sa peau bronzée. Il avait un regard sombre et profond avec un faible sourire fatigué cachant des dents étonnamment blanches. Il portait un trois pièce sombre et taillé sur mesure. Des petits détails sur son costume prouvait son appartenance à une haute caste. Pourtant son allure donnait l'impression d'avoir à faire à la pire espèce de voyous. Un drôle de mélange dans un corps si à l'étroit. Son imposante carrure envahissait tout l'espace et saturait l'air que je tentais de respirer.

Je constatais en regardant autour que je n'étais pas la seule à ressentir ces émotions. Tous les regards étaient fixés sur l'Inconnu, tantôt des regards énamourés des femmes, tantôt des regards jaloux et même certains apeurés des hommes. Je me sentais épiée et jalousée et cela me mettais mal à l'aise.

- Il me semble vous avoir déjà vu, me dit-il calmement.

- Cela m'étonnerait que l'on se soit croisés. Je restais sur la défensive.

- Voyons, un regard comme le vôtre, on ne peut l'oublier.

Je sentis mes joues rougir. Mais que m'arrivait-il? Je ne le connaissais même pas.

- Plus sérieusement, d'où venez-vous très chère ... ?

- Je n'ai pas l'habitude de décliner mon identité à un inconnu. Encore moins d'un homme capable d'effrayer à ce point les clients.

La musique changea, se faisant plus douce et sensuelle. Il me semblait entendre Roy Milton, ce devait être sa magnifique musique Best Wishes qui faisait tabac. La lumière se colora de bleu et les clients se mouvaient dans des danses énamourées, le slow étant de rigueur.

L'inconnu laissa glisser son regard sur moi et me sourit. Il fallait que je romps le contact car j'allais perdre tous mes moyens. Je pouvais totalement m'abandonner à lui. Je perdais toute mon assurance.

- Voyons, ne dites pas de sottises. Je suis un homme tout à fait respectable. Il s'en alla d'un grand éclat de rire. Pas vrai Tonny?

Le serveur fit un sourire crispé et s'approcha pour tendre le verre de Whiskey à son client.

Je remarquais les doigts pleins d'égratignures de mon accompagnateur. Visiblement quelqu'un venait de ramasser quelques coups. Un frisson me parcourra mais je décidais de reprendre la conversation à mon avantage.

- Vous n'en êtes pas à votre premier coup d'essai apparemment.

Il suivi mon regard vers ses poings et d'un rapide mouvement attrapa mes mains. Je fus surprise et poussait un hoquet de stupeur. Il était étonnamment doux, même si ses mains étaient rugueuses, sa poigne puissante me saisit.

- Ne vous fiez pas aux apparences ma Belle, vous pourriez être surprise.

Il sourit et je perçu une étincelle dans son regard pétillant. Il y'avait quelque chose de sincère. Le contact de sa peau sur la mienne me fit l'effet d'une décharge. Ce n'était pas désagréable quoiqu’imprévisible et déconcertant. Il me fit une caresse du bout des pouces, j'étais saisie et ne pouvait détourner le regard de cet homme que je ne connaissais pas. Mais à qui je pouvais tout confier, tout donner, j'en étais intimement convaincue.

- J'ai la sensation que ce n'est pas la dernière fois que nous nous voyons ma très chère Dame.

Il me lâcha la main, but d'un coup sec son Whiskey, se leva et quitta le bar me laissant ainsi incrédule, pantelante, seule à ce bar. Seule en proie au Chaos.

Et plus déterminée que jamais à connaître cet inconnu, quoi qu'il m'en coûte.

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