Océan

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Je suis debout au bord d'une falaise, une brise encore douce me caresse de ses longs doigts frais, soulevant mes longs cheveux roux et les faisant voleter doucement. Le ciel est sombre et empli de nuages d'orage, prémices d'une tempête à venir.

Une douce odeur iodée me parvient, titillant mes sens. Elle fait remonter à la surface des souvenirs d'enfance. Ils sont doux-amers, joyeux, violents, parfois tristes mais tous ont un point commun : l'océan. C'est au bord de cette immense étendue salée que j'ai passé la majeure partie de ma vie. C'est près de lui que j'ai vécu mes plus beaux moments, c'est auprès de lui que j'ai versé les larmes de mon corps jusqu'à m'endormir d'épuisement. C'est lui qui m'a consolée quand je pensais que tout était fini et que l'espoir m'avait fui. Je lui dois tout, jusqu'à mon nom qui signifie, si l'on remonte jusqu'à ses origines lointaines, "née de la mer".

Je ferme les yeux et écoute le fracas des vagues furieuses contre les rocs de l'à-pic. Cette musique est pour moi l'une des plus douces et des plus sauvages. Un roulement de tonnerre ou un clapotement délicat tels sont les chants changeant de l'océan. À la fois différents et semblables, ils appellent pourtant à la même chose : le rêve et l'évasion. Car l'océan est un autre monde. Un monde où l'homme n'est rien de plus qu'un fétu de paille à la merci de la nature. Les vagues en sont le début. Elles en sont les gardiennes, celles qu'il faut à la fois dompter et séduire pour que s'ouvre l'accès à cet autre univers. Lorsque l'on se tient au bord de l'eau et que les rouleaux éclatent à nos pieds pour venir ensuite les lécher et creuser dessous de petits trous qui nous déstabilisent, nous nous retrouvons en communion avec la terre et avec les flots.

Une goutte tombe du ciel et roule sur ma joue. Elle est suivie par une autre et encore une autre, puis bientôt c'est tout un fleuve qui s'écoule. La tempête approche. La houle grossit et les vagues se fracassent de plus en plus violemment, leurs éclaboussures m'atteignent, maintenant. Une perle salée gicle sur moi et se mêle à l'eau douce. J'ouvre la bouche, écarte les bras et ris sous cette averse venant de la terre et de la mer. Aussitôt, un goût de sel se dépose sur ma langue. Je ferme la bouche et le savoure. Il s'agit là de ma saveur favorite. Petite déjà, je prenais plaisir à sentir le parfum marin des lames sur mes papilles. Ce plaisir est toujours présent et rendu chaque fois plus intense.

Je suis désormais trempée par les embruns et par la pluie. Je pousse mes cheveux dégoulinant de devant mon visage et m'assois délicatement sur le rebord de la falaise. À la moindre erreur, je ferai une chute mortelle qui me précipitera dans les bras de père océan. Ses longs doigts aqueux se saisiront alors de moi et m'emporteront dans leur funeste étreinte. Ils me secoueront et me pousseront dans tous les sens pour finir par me relâcher sur la rive ou m'entraîner dans les sombres abysses. L'embrassade habituelle de l'onde, ferme et douce, se transforme en cas de tempête en un étau mortel qui broie et malmène ceux qui ne sont pas fait pour l'affronter. De fraternelle, elle devient assassine et ne désire rien de plus qu'obtenir son offrande.

La tempête est au-dessus de moi désormais. Il n'est plus temps de la fuir ou de chercher un abri. Il va falloir la subir. L'océan est gros, prêt à exploser d'une rage mal contenue. Fini le temps de l'affabilité ! Voilà le monstre sanguinaire qui s'éveille. Le dévoreur de navires, le faiseur de veuves, voici celui qu'il est vraiment. Ne vous y trompez pas, sa beauté paisible, celle qui nous est coutumière, n'est qu'un masque qu'il enfile pour mieux nous tromper. Ses eaux que nous admirons et qui sont tantôt bleues, tantôt vertes ou brunes, renferment en réalité bien des cadavres. Ses fonds recouverts de coraux ne sont qu'une illusion de plus destinée à nous attirer pour mieux nous dévorer ensuite. Il n'est que tromperie. Il veut nous faire croire qu'il est doux et calme mais dès que possible, il s'éveille et entreprend de submerger le monde entier. Ses flots grossissent alors et enflent. Des creux et des crêtes de plusieurs mètres naissent et il prend la couleur du ciel orageux. Sa limpidité se trouble et il exhale une impression de danger quasi palpable.

C'est à ce moment que je le préfère. Il semble alors si libre, si farouche, si indomptable ! On pourrait croire qu'il n'appartient qu'à lui-même dans ces moments où il est plus féroce que le plus féroce des prédateurs.


Assise sur ma falaise, j'admire la tempête qui passe. Je jouis sans retenue de la vue de mon superbe ami dans son instant de liberté. Sans m'en rendre compte, je finis par m'endormir. Je me réveille le lendemain, couchée le long du précipice, l'océan à mes pieds et son odeur plein les narines. Le ciel est de nouveau clair et les eaux limpides, il est temps de rentrer jusqu'à ce que se lève la prochaine tempête, à ce moment je reviendrai sur le bord de ma falaise, pour contempler la rage de mon père océan.

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