-2- Darik

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Indomptable. Quand je repense notre nuit ensemble, je ne peux m'empêcher de me dire que ce tatouage ne la définit absolument pas. Un petit sourire étire mes lèvres en me rappelant nos ébats de la nuit de samedi passé. Rien ne me surprend du fait que Joana ait voulu son tatouage sur l'orée de son sein gauche et surtout que ce soit moi qui le lui fasse. Elle espère m'avoir une seconde fois dans son lit mais c'est impossible : elle est trop bruyante et je n'aime pas trop les fausses blondes plantureuses. J'étais trop ivre cette nuit-là pour me rendre de la couleur de ses cheveux.

Joana pousse un gémissement exagéré suite au contact de l'aiguille sur sa peau basanée. Nos yeux se croisent instantanément, les miens descendent sur ses lèvres. Elle se mord la lèvre inférieure en se disant que cela doit me produire un quelconque effet. Joana est une femme très attirante mais je n'en veux plus tout simplement.

Son tatouage fini, je me redresse tandis qu'elle boutonne son chemisier plongeant qui laisse entrevoir son tatouage. Les lettres sont toutes écrites avec un certain esthétique, par exemple les points sur les i sont des petites roses et le reste du texte est assez gras. Elle me dit que ça va bien avec son immense tatouage d'aigle dans le cou.

— Tu sais où payer ? dis-je en déposant le stylo sur une petite table en bois.

Je m'essuie les mains avec un chiffon que je jette négligemment.

Je me dirige ensuite vers l'entrée du magasin en poussant la porte, Joana toujours sur mes pieds. Quand je suis distrait, elle me coince contre un mur et je la regarde surpris.

— Bordel ! Qu'est-ce qui ne va pas ? me lance-t-elle agressivement.

— C'est plutôt à moi de te poser la question, dis-je sans laisser tomber mon sourire. T'as quoi là ?

— J'ai l'impression que tu ne remarques pas que je te désire.

— Détrompe-toi, dis-je en posant fermement mes mains sur ses épaules pour la décaler sur le côté, cependant ça ne m'intéresse pas.

Elle m'adresse un regard médusé tandis que je me contente de hausser les épaules et de me diriger vers deux jeunes hommes au style très punk qui semblent s'être perdus. Elle me chuchote un « connard » qui réussit à se hisser jusqu'à mes oreilles tout en allant payer à la caisse avant de quitter mon salon de tatouage en me criant que je venais de perdre une très bonne cliente.

Mince et élancés, les deux punks regardent lourdement et succinctement tous les exemples de tatouages proposés accrochés sur les murs couverts de papier peint gris feutré. À première vue ce sont des adolescents qui ne doivent même pas avoir dix-huit ans. Bryson, chargé de la caisse à l'entrée, me lance un regard ahuri comme s'il n'était pas sûr que ces deux messieurs soient réellement présents pour des tatouages.

— En quoi puis-je vous être utile ? leur demandé-je une fois à leur hauteur. C'est pour des tatouages ?

— Euh… (Le punk créole lance un regard plein de doutes à son compagnon hispanique qui a l'air légèrement apeuré.) C'est que nous sommes là pour…

L'hispanique lui prend la main et semble la tenir intimement comme pour lui donner confiance. Les deux hommes se lancent un regard bourré de sens et l'Afro, après un soupir, reprend :

— On nous a dit qu'on pouvait trouver de la bonne dope ici…

— On est pas keufs, se dépêche d'ajouter l'hispano.

— J'avais remarqué, dis-je en arquant un sourcil et en leur tournant le dos.

J'interpelle Rico, un de mes employés qui passait par là, et lui demande de conduire les deux keupons à l'arrière-boutique où est illicitement commercialisée de la drogue en détail. Les clients le suivent avec un air ravi sur le visage. J'en déduis que cela doit être leur première fois. Je soupire.

L'adolescence !

Je ne vends pas de la drogue proprement dit. Mon salon ne fait office de couverture pour un gang qui cherche à en vendre en détail à qui souhaite acheter. Avec un peu de bouche à oreille, ce petit commerce en détail se passe bien et jusque-là la police n'a jamais pensé à se mêler à nos affaires. Je ne bénéficie que de l'argent du loyer et cela me convient parfaitement. Je ne consomme pas de drogue et évite de mon mieux les emmerdes bien que cet accord m'y plonge jusqu'au cou.

— Quoi de neuf Rico ? demandé-je en m'appuyant contre son comptoir.

— Rien… La routine, répond-il nonchalamment en posant son portable. Je fais toujours le même boulot.

— Ça ne doit pas être terrible hein ? je le provoque.

— Au moins aucune de mes clientes ne m'agresse pour me réclamer du sexe.

— Hé ! Tu parles à ton patron, je te signale !

Il change soudain de sujet et reprends un air sérieux.

— Tu as eu un appel de D'Angelo, dit-il.

— Ah bon ? je fais, légèrement surpris. D'habitude il m'appelle directement sur mon portable.

— Je n'en sais rien. Il dit que tu dois te dépêcher de rentrer. Ils ont un gros problème et ont besoin de toi.

Fronçant les sourcils d'incompréhension, je récupère mes clés que Rico me tend et quitte prestement le salon de tatouage alors qu'il fait déjà noir dehors.

Je me suis déjà engagé sur la route en un client d'œil espérant sincèrement que le gros problème en question ne soit pas un grand Black qui porte des lunettes et qui s'appelle Memphis. Merde, c'est évident qu'il s'agit de Memphis. Cet idiot risque tous les jours sa vie en tenant tête à D'Angelo et son équipe lorsqu'ils passent chez moi faire quelques décomptes.

Mon frère est un véritable salopard sans égal mais il s'agit de mon frère et je tiens assez à lui pour ne pas le laisser se prendre une balle entre les deux yeux.

La route est dégagée ce soir et la chaleur de l'été se fait sentir. J'atteins rapidement l'agglomération rurale où se trouve ma maison. Dans le quartier de Tremé, celui dans lequel je vis, garde encore en lui les traces du passage de l'ouragan Katrina même si cela fait seize ans. Je ferme les yeux, prends une grande inspiration avant de couper le moteur après m'être garé devant notre maison. Les maisons détruites par le passage de cet ouragan a laissé des séquelles dans la vie de la plupart des orléanais même si plus d'une décennie s'est écoulée et dans la mienne particulièrement. J'ai tout perdu… J'y pense sans cesse…

J'entre rapidement dans ma maison et je tombe sur D'Angelo et des hommes et des femmes dans mon salon en train de compter plusieurs billets de banque. Mes yeux s'attardent sur tous ces billets vers qui envahissent la table de salon et plusieurs sacs entreposés sur des fauteuils et il m'est impossible de détourner le regard pendant un certain temps jusqu'au moment où je sens une bille verte se poser sur moi. Je n'ai pas besoin de me retourner pour comprendre que c'est l'unique œil valide de D'Angelo qui me lorgne comme si j'avais la peste.

— Comment ça va Rik ? me lance-t-il avec, je devine, un sourire pervers aux lèvres.

— Ça va, dis-je en le regardant sérieusement.

Je ne m'autorise aucune fraternité avec ce mec. Il n'est pas digne de confiance et c'est le genre prêt à trahir tout le monde sans se soucier de l'ampleur des liens pour défendre ses intérêts. Cet égoïste ne me plaît pas, ce qu'il fait ne me plaît pas des masses non plus mais je suis comme obligé d'accepter de lui offrir mes services de location parce que j'ai sérieusement besoin d'argent outre les bénéfices du tatouage.

— C'était quoi le problème ? demandé-je en soupirant.

— Ton putain de frangin, je l'ai sur le cul et il me fout les boules ! se plaint-il. J'étais à ça de le fumer, ajoute-t-il en mimant le degré avec ses doigts.

— Il est compliqué à gérer D'Angelo mais je doute qu'il se soit énervé comme ça, pour un rien.

— Tu me traites de menteur ?! s'énerve-t-il.

— C'est à toi de me le dire.

— Putain vous êtes pareils ! s'exclame-t-il en claquant des doigts.

Une femme avec de longues tresses africaines vêtue d'une petite jupe en jean et d'un top blanc qui laisse entrevoir un ventre plat dont le nombril porte un piercing s'approche de moi et me tend une liasse de billets. Je la lui prends prestement et compte rapidement.

— Tout y est. Il y a très exactement huit billets de cent, crache le chef du gang en fumant.

— J'ai l'impression que tu me prends pour un con D'Angelo, dis-je après avoir compté.

— Je ne comprends pas. Sissi a touché à quelque chose ? demande-t-il en lui lançant un regard meurtrier.

Cette dernière se liquéfie sur place et secoue rapidement la tête de gauche à droite.

— Elle n'a touché à rien. Le compte y est, dis-je durement.

— Alors c'est quoi le hic ? demande-t-il en se levant et en dégainant son revolver.

Je prends mon courage et hausse le ton.

— Tu touches des milliers de dollars tous les jours et tout ce que j'ai c'est huit cents petits dollars ? J'en veux plus !

— Ah, vraiment ? son arme vient se loger sous mon menton sous les yeux ébahis de tous les gens présents autour de nous.

Je sais ce que je fais. Je suis en train de jouer sur un terrain de mine et au moindre faux pas, tout explose. D'Angelo, le patron de ce gang, est un homme au tempérament de feu. Grand, musclé, tatoué de partout et le crâne rasé, il me fixe de son unique œil, cigarette coincé entre les lèvres.

— Répète un peu pour voir.

Tous ceux qui travaillent avec lui me fixent avec un air effrayé sur le visage mais je ne me décourage pas. Mon cœur s'affole un court moment mais je parviens à régulariser mon rythme cardiaque. Il n'y a rien de grave. J'ai besoin de cet argent pour payer les frais universitaires de Memphis et pour régler quelques dettes.

— Je ne fais pas que la location et il faut que tu t'en rendes compte, dis-je en déglutissant péniblement. Je me charge de te trouver des clients et de te faire de la pub et le nombre de recettes en provenance de mon salon ne font que doubler chaque semaine. Ma maison te sert pratiquement de repère depuis un certain temps. Tu ne crois pas que ma requête en vaut la peine ?

Il presse lentement la gâchette et mon palpitant reprend un rythme effréné. C'est la panique dans mon être. Il va me fumer bordel ! Était-ce réellement le meilleur moyen de trouver de l'argent en peu de temps ?

Cependant, rien ne s'en suit. La lumière qui éclaire le salon en ce moment donne un air suspicieux. D'Angelo range son flingue et me regarde le sourire aux lèvres.

— T'as du cran, Rik. Combien tu veux ?

— Le double de ce que je gagne.

Il hoche la tête et appelle la nana de tout à l'heure dont le prénom m'échappe. Elle compte à nouveau huit billets de cent et me les tend sans broncher. Je les remercie et après quelques familiarités qui lui sont chères ils quittent ma maison en laissant un immense désordre derrière eux.

Je soupire. Un sourire étire mes lèvres alors que je tiens ces billets. Ce sera suffisant pour rattraper le retard qu'accumule Memphis avec ses frais d'université. D'ailleurs en parlant de lui…

Je me dirige vers sa chambre en montant les marches d'escaliers deux par deux. Debout devant la porte de sa chambre, je ne prends pas la porte de toquer et la défonce presque. Tout est, comme d'habitude bien rangé. Hormis une photo de nos parents posée sur la table de chevet près de son lit, il n'y a rien pour décorer sa chambre au teint sobre.

Mes yeux se posent sur mon frère qui étudie à son bureau. Une petite étagère pleine de livre prône à côté de lui.

Je m'avance rageusement vers lui après avoir rangé les billets dans ma poche et lui lance d'une voix passablement énervé :

— C'est quoi ton problème Memphis ? Tu ne peux pas les laisser bosser en paix ?

Il redresse rageusement pour me faire face.

— Je suis chez moi, je te signale, et j'ai le droit de leur demander de me foutre la paix ! s'emporte-t-il.

— Ils finiront par te buter un de ces jours, lâché-je, fatigué.

— Je n'en ai strictement rien à foutre. Moi au moins je n'ai pas peur d'eux.

Memphis est irrécupérable. Je décide de ne pas plus le suivre et lui tourne le dos. Je passerai tout seul régler ses frais universitaires demain matin.

— T'as vraiment le chic pour te retrouver dans la merde Darik, me provoque mon petit frère. D'abord tu fais des affaires avec un gang et puis tu t'amouraches d'une vraie pute.

C'est le mot de trop. Mon sang ne fait qu'un tour dans mes veines et je bondis sur lui en ni une ni deux. Mes mains agrippent le col de son t-shirt Lacoste noir à rayures et il fait tomber ses lunettes que j'écrase exprès. Nos regards s'affrontent. Il peut dire tout ce qu'il veut me concernant mais il n'a pas le droit de me parler d'elle comme il vient de le faire.

— Ne t'avise plus jamais de la traiter de pute, je préviens dans un murmure sombre.

Mes yeux s'accrochent encore aux siens pendant un laps de temps avant que je ne le laisse s'écrouler sur le sol. Comment se fait-il qu'il puisse être mon frère ? Nous ne nous ressemblons pas et j'ai de plus en plus de mal à le supporter.

Je regagne ma chambre et me laisse tomber sur mon lit pour essayer de me sortir de la tête cette soirée merdique. Il n'est même pas vingt heures mais je suis tellement fatigué. Après avoir rangé tout l'argent avec soin, je me débarrasse de mon t-shirt pour rester torse nu. Une main passe sur mon torse recouvert de tatouage alors que je consulte mes derniers sms. Celui de Sister tombe sous mes yeux le premier alors je lis directement.

N'OUBLIE PAS POUR LA FÊTE DE DEMAIN SOIR.

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