Le Crâne élégant

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Il habitait seul, dans une cabane au bord d'un marécage. Les gens du coin l’appelaient “Le Crâne”. Son allure bizarre, effrayante même, ne faisait pas justice à son caractère paisible. Il ressemblait à un squelette vivant. Il était jeune, en bonne santé et, malgré son air cadavérique, ne risquait pas de tomber en morceaux. Il se contentait de peu: un poisson, des plantes sauvages, quelques grenouilles. Ses habits étaient des loques échangées, il y a plusieurs années, contre des panniers de jonc tressés. Peu de visiteurs passaient par sa pauvre cabane. Tous s'étaient perdus en route. Et Ils fuyaient tous son aimable hospitalité. 

Une nuit de terrible tempête, il entendit des coups à sa porte. Lorsqu'il l'ouvrit, il vit une ravissante jeune fille, tremblante de froid dans ses habits luxueux. Lorsqu'elle l’aperçut, elle poussa un cri d'effroi. "N'aie pas peur! Je ne te ferai pas de mal ! ”. La douceur de sa voix la calma. Elle décida de lui faire confiance. Il l'aida à se sécher, se réchauffer, lui donna à manger, à boire et il l'écouta. Les longues heures de solitude avaient fait de lui un très bon public. 

Elle s’appelait Almanoga. Elle avait fui sa famille, qui voulait la marier à un homme vieux. Elle pensait chercher refuge chez une tante qui vivait dans une ville voisine. Mais son éducation ne l’avait pas préparée aux dangers du voyage. Poursuivie par des brigands, elle avait cherché son salut dans la forêt et s’était perdue.

“Je regrette ma conduite stupide. Je voudrais tant être de retour à la maison!”

“Demain, nous prendrons la route. Je t’accompagnerai et je te protègerai.”

Le voyage fut paisible. Il lui raconta des anecdotes sur la vie des animaux, sur les plantes et les fleurs qu’ils voyaient en chemin. Elle lui parla de sa vie de jeune fille privilégiée. Et lorsqu’ils arrivèrent à leur but, Le Crâne était éperdument amoureux. Il n’avait jamais rien vu d’aussi charmant que cette jeune fille. 

Ebloui par sa beauté, il lui proposa immédiatement de rester vivre avec lui.

“Épouse-moi. Il y a de la place pour deux dans cette maison. Tu ne manqueras de rien.”

Elle se tut quelques instants puis lui dit: “Je suis très heureuse et flattée mais avant de prendre une decision, je veux revoir mon père.”

Sa maison était une belle demeure en pierre grise. La servante qui ouvra la porte lui sauta au cou. Ils furent vite entourés par la maisonnée toute entière. Ou plus exactement, Almanoga fut très entourée, sa mère accrochée à son cou, pleurant des larmes de joie, son père s’exclamant à tue tête: Elle est vivante, je vous l’avait bien dit qu’elle reviendrait! Tu as bonne mine, ma petite! Les frères et les soeurs essayaient eux aussi de l’embrasser, mais la mère ne lâchait pas prise facilement. Le crâne les observait, plutôt embarrassé. Lorsque les effusions se furent calmées, le père interpela Le Crâne: 

  • Voilà mon brave pour ton dérangement: une pièce d’or! ” cria-t’il à tue tête, visiblement satisfait de sa prodigalité. Interloqué, Le Crâne lui répondit:
  • Merci, Monsieur, mais je ne peux accepter. C’était un plaisir d’aider Almanoga.
  • Ah, bon, très bien, dit le père en rempochant rapidement la pièce. “Allez donc prendre un repas dans la cuisine. “

-  C’est à dire, Monsieur, je voudrais vous parler…

  • Ah oui? dit le père du bout des dents, redoutant une demande de récompense.
  • J’aime Almanoga plus que tout au monde et je voudrais l’épouser. 

Hélas, protégée par les murs de sa demeure et la présence de sa famille à ses côtés, Almanoga montra son vrai visage: 

- Quel imbécile tu es ! Je préfère encore épouser un vieillard plutôt que passer ma vie dans une cabane insalubre au bord d’un marais nauséabond! Tu t’es regardé ! Tu es vraiment laid ! Je ne voudrais pas avoir d’ enfants qui te ressemblent ! ”

Toute la famille éclata d’un rire moqueur. Les exclamations fusaient. “Il ne s’est pas regardé!” “Tu as vu ses habits? Des serpillères plutôt.” “C’est vrai qu’il a l’air malsain…” “J’espère qu'il ne l’a pas violenté!

Les sourires s’étaient transformés en regards agressifs et il fut promptement expulsé.

Mortifié, il erra dans les rues de la ville, le cœur lourd. Mais il se rendit vite compte que Almanoga n’était pas aussi unique qu’il le pensait. Les rues frétillaient de jeunes filles. Il y en avait de plus jolies qu’elle. Et aussi de plus intelligentes, de plus drôles, de plus courageuses, de plus aimables, de plus généreuses…

Il resta vivre quelques mois dans cette ville. Il observa ses habitants. Lorsqu’il croisait Almanoga, elle tournait la tête d’un air dédaigneux, ou bien elle ricanait avec ses amies en lui jetant des regards en coin.

Lorsqu’il rentra chez lui, il avait un plan. Il commença par chasser des animaux à la fourrure brillante et des oiseaux aux plumes colorées. Il apprêta la fourrure et les plumes et les vendit au marché. Il amassa rapidement un capital avec lequel il put employer des ouvriers expérimentés. Puis il engagea des tailleurs et des chapeliers. Il devint riche.

Pour améliorer son aspect, il mit des anneaux d’or à ses oreilles, revêtit des habits luxueux, cacha sa calvitie à l’aide d’un chapeau mutin. Heureusement, la minceur et la souplesse de son corps lui conféraient une élégance qui compensait la laideur de son visage repoussant. Les femmes et les jeunes filles commencèrent à le suivre du regard.

Il acheta une belle maison et attendit patiemment. Et un jour, Almanoga, accompagnée de sa famille, sonna une nouvelle fois à sa porte. Elle lui dit:

“Je me suis trompée sur ton compte. J’ai changé d’avis et je suis prête à t’épouser.”

Le Crâne resta un moment silencieux, puis répondit: 

“Je suis heureux et flatté de ta proposition mais je refuse. Je cherche une femme qui m’aime pour mes qualités et pas uniquement pour mon argent.”

Il mit toute la famille à la porte, revêtit des habits de voyage et prit la route. L’air de la ville ne lui valait rien. Il regrettait le marais et pensait apporter quelques améliorations à la cabane.

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