La statue de bronze

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J'ai du plomb dans le cœur. Du plomb bouillant; comme si on venait d'y loger une série de balles, violemment expulsées d'un revolver chargé à bloc. Je n'ai pas vu venir le coup. Le flingue était pointé sur moi depuis le début, quelqu'un avait le doigt posé sur la gâchette. Il n'y avait plus qu'à presser la détente. Mais moi, j'étais aveugle. Je n'ai rien vu venir. Et le pire, c'est que même maintenant, je ne vois rien. Même avec une douzaine de balles chaudes grouillant dans ma poitrine, même avec le métal qui projette en moi de douloureux frissons, je suis incapable d'ouvrir les yeux. Ou plutôt, si : ils sont grand ouverts, mais c'est comme si on les avaient baignés dans l'acide. Et me voilà, plongée dans une nuit sans lune, avec ce cœur chargé de plomb qui m'entraîne vers le fond.

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Vous me direz, ce qui s'est produit aurait dû me porter le coup fatal. Ça aurait été trop facile, néanmoins. Je ne suis pas morte, et pourtant je ne suis plus en vie. Je suis plongée dans une sorte de coma artificiel, rattachée à ce monde par des liens qui refusent de se briser, des sentiments qui refusent de s'estomper. Je suis cloîtrée dans le noir. J'ai les oreilles bouchées. Les seuls sons qui acceptent de sortir de ma bouche sont de faibles plaintes. Et, même si j'ai conscience que le monde continue de s'agiter autour de moi, j'ai perdu tout contact avec la réalité. Je suis telle une statue de bronze, debout face au monde : une statue que tout le monde voit, mais dont personne ne suppose l'existence d'un cœur qui vibre et s'embrase. Une statue de bronze avec un cœur de plomb ! Qui pourrait y penser ? Comme la figure taillée dans le métal, je demeure impassible et ne suis pas en mesure d'établir le moindre contact avec le monde qui m'entoure. Nul n'ose même me frôler, parce que j'intimide, parce que j'inspire quelque chose qui en aucun cas ne relève de l'humain. Ma carapace métallique me prive de tout échange avec le monde extérieur. Je suis captive de ma propre enveloppe corporelle, stockant tout à l'intérieur d'un cœur qui gonfle et s'embourbe, un cœur prêt à exploser.

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Étant coincée dans l'entre-deux, dans l'impossibilité de choisir entre la vie et la mort, dans l'incapacité d'aller de l'avant ou de regarder en arrière, prisonnière, paralysée, mon regard de bronze toujours fixé sur le même point, sans néanmoins pouvoir espérer l'atteindre, j'attends que le monde bouge autour de moi. J'attends que le point que je vise vienne à moi. Mais mes espoirs sont vains. Continuellement, je le vois s'éloigner, et emporter avec lui mes maigres espoirs de retrouver mon souffle et de briser, par la même occasion, la coque de métal qui a fait de moi un être si rigide.

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