La thèse du docteur Cario (début)

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Il y a quatre ans, je commençais la plus terrible quête de mon existence, celle de percer le secret de la conscience. Naturellement, rien ne me laissait présager ce que j’allais découvrir. Cependant, parmi tous les mystères peuplant notre univers, celui-ci me paraissait le plus intriguant, le plus obscur, le plus métaphysique oserai-je même affirmer.

Le plus déroutant pour un scientifique n’est pas d’ignorer l’explication d’un phénomène donné, mais bien d’être confronté à une idée qui contredit notre logique la plus élémentaire, notre bon sens le plus primaire, nos certitudes les plus sûres. Un peu comme si les axiomes sur lesquels se basaient toute notre perception du monde s’avéraient finalement faux. Aujourd’hui, j’envie les croyants. Leur naïveté et leur bêtise les protègent mieux que des siècles d’avancées scientifiques ne sauraient le faire. Vivre avec la certitude d’accéder au paradis est sans doute la plus grande joie qui puisse être donnée à l’homme en ce bas monde. Hélas, un esprit un peu trop raisonnable, un besoin de preuves tangibles et une curiosité maladive me privèrent de cet Eden terrestre qu’est la promesse du Salut à venir.

C’est pourtant rempli d’excitation que j’entamai la thèse qui devait être le couronnement de ma carrière, une thèse sobrement intitulée : « La nature de la conscience ou du lien qui relie matière inerte et sensations individuelles ». Depuis mes premiers pas en faculté de neuroscience je rêvais de ce moment, de l’instant où j’entamerai mes recherches visant à comprendre comment de simples particules élémentaires, inanimées et mues par les seules lois physiques, pouvaient, en s’assemblant, accoucher d’un esprit capable de penser, de vouloir et de ressentir. Lorsqu’on y réfléchit, il s’agit d’une absurdité. On aurait beau assembler toutes les roches du monde de toutes les façons possibles et imaginables, jamais nous ne pourrions créer un golem doué de sensibilité. Et pourtant, les protons, neutrons et électrons y parviennent. Qu’ils s’agencent d’une certaine façon et ils forment un grain de sable inerte, qu’ils s’agencent autrement et voilà un insecte capable, à sa petite échelle, d’avoir conscience du monde qui l’entoure. Que d’une somme d’objets inanimés naisse notre esprit et donc notre existence demeurait, à mon sens, la chose la plus contre intuitive qui soit. Ni la relativité générale, ni le principe d’incertitude d’Heisenberg ni même l’apparition de la vie n’avait en moi créé pareil malaise. Que le temps s’écoule différemment sous certaines conditions, que le monde s’avère en parti régi par le hasard ou que l’agencement d’atomes puisse créer des cellules biologiques avec pour principale propriété la mitose ne me paraissait ni absurde ni inconcevable. En revanche, notre perpétuelle expérience du cogito ergo sum défie les lois de la nature. Un œil extérieur qui observerait notre univers devrait conclure, de la façon la plus raisonnable qui soit, que nous ne sommes que des automates, plus ou moins complexes selon notre espèce. Pourtant ce n’est pas le cas. Je me vois en train d’écrire ces lignes, j’entends le tapotement de mes doigts sur le clavier et, selon toutes vraisemblances, vous êtes également doués de la même conscience qui m’anime.

Aussitôt mon sujet de thèse accepté, je commençai à étudier. Je vous épargnerai les inévitables détours que je fus contraint d’accomplir chez le recteur, les va et vient entre bureau et labo, les soucis administratifs et autres gestes de coulisses hélas nécessaires à tout travail scientifique. L’essentiel est, lorsque j’obtins enfin les autorisations adéquates, qu’on me confia une tripotée d’oisillons, tout juste sortis du nid, sur lesquels je pus expérimenter à ma guise. Je choisissais ces animaux car leur sensibilité et leur conscience, quoique moins développées que les nôtres, ne faisaient pour moi aucun doute. En quoi les signaux électriques de leurs cerveaux différenciaient-ils de n’importe quel courant pour ainsi créer l’esprit ? Je les soumis à un nombre extraordinaire de stimuli afin de mieux comprendre l’architecture de leur psyché et je fis même à cette occasion quelque découvertes mineures sur le cervelet des moineaux. Cependant, l’essentiel restait hors de ma portée. J’avais beau les caresser, les nourrir, les frapper ou les brûler, rien dans leurs électroencéphalogrammes ne laissait deviner ou même supposer où et sous quelle forme se cachait leur conscience. Je parvins à cartographier chaque zone de leur cerveau mais rien ne différenciait fondamentalement ce dernier d’un ordinateur très avancé. Je suis persuadé que nous pourrons un jour reproduire à l’identique le comportement du chien sur une carte mère à ceci près que le support ne sera pas biologique. Pourtant je suis tout aussi persuadé que cette puce, qui réagira comme le matériau d’origine, n’abritera nulle âme.

Or c’était bien cette âme que je recherchais et qui m’échappait. Je réitérai alors mes expériences sur des animaux un peu plus évolués. Plus leur intellect serait développé plus leur conscience devrait être aisée à repérer, me disais-je. Je passai donc des oiseaux aux chats, des chats aux chiens et des chiens aux singes. Parallèlement, j’augmentai également l’intensité des stimuli. Un peu de nourriture ou quelques caresses ne suffiraient jamais. Pour leur plus grand malheur, il s’avérait que c’était bien la douleur qui excitait le plus leur cerveau. J’ébouillantai alors mes cobayes, les écorchaient, les émasculaient. Je poussais sans cesse un cran au-dessus le curseur de la souffrance mais je n’obtins rien de plus que des chocs électriques toujours plus violents et plus intenses. Les aboiements de douleurs, les hurlements de souffrances et les cris des autres animaux qui devaient, par instinct, deviner que le sort de leur congénère ne différait pas du leur à venir, me crispaient les tympans et heurtaient mon cœur dans toute son empathie. Je résistai cependant à la volonté de tout arrêter. Mes assistants n’eurent pas mon courage et finirent par m’abandonner. On me surnomma « le professeur fou ». Mais je n’étais pas fou ! Que valait la souffrance de ces bêtes comparées à la trouvaille que pourrait constituer la nature de l’âme ? Parfois, il faut que le cœur abdique face aux impératifs de la raison. L’horreur de tout cela sautait aux yeux de quiconque mais elle s’avérait indubitablement nécessaire ! Je dus me battre avec ma hiérarchie pour continuer à mener mes études. La nature même de mes expériences m’attirait quantité de difficultés dont je me serai bien passé. Heureusement, je travaillai ici depuis de nombreuses années et ma chaire universitaire me protégeait de la plupart des attaques de mes détracteurs. On m’ordonna simplement d’être plus discret et de travailler seul, pour sauvegarder la réputation de l’académie. J’emménageai donc dans un laboratoire abandonné du sous-sol. Un cloitre délabré et mal entretenu où grouillaient cafards et araignées mais où l’on m’autorisa à poursuivre mes recherches. D’ici, nul n’entendrait les hurlements des animaux et ces imbéciles pourraient dormir l’esprit tranquille. Qu’importe, ça ne changeait que peu de choses pour moi. Je continuais mes investigations. À chaque fois que je trouvais une façon d’intensifier le signal électrique, je me prenais à espérer. À chaque fois, je ressortais déçu.

Pas découragé pour autant, je conclus que les spécimens qu’on m’accordait n’étaient toujours pas assez intelligents. De vulgaires ouistitis n’avaient pas encore une conscience assez développée pour qu’on en décèle la trace, même en leur infligeant tout ce que je leur faisais subir. Heureusement, un bon ami à moi œuvrait en Afrique. Enfin, un ami… disons plutôt un mercenaire avec qui j’avais eu la chance de faire connaissance lors d’une conférence au Sénégal. Une tête brûlée avide d’aventure et aux activités pas franchement légales. Jamais je ne m’étais autant félicité d’avoir gardé contacte avec un de mes contemporains. Il me promit de m’apporter une dizaine de grands singes en échange d’une poignée de billets. J’acceptai sans même marchander. Je regrettai quelque peu. Cette poignée de billets, comme il disait, me couta tout de même horriblement cher ; au point que je dus emprunter des sommes colossales pour couvrir mes frais, mais le jeu en valait la chandelle. Le plus difficile fut ensuite de berner la direction. Jamais ils n’auraient toléré que je me livre à des expériences sur des espèces protégées. L’impératif de discrétion fit encore grimper la facture mais, au point où j’en étais, cela ne faisait plus une si grande différence. La livraison s’effectua de nuit, dans le plus grand secret, et l’on mit bien huit heures à porter toutes ces cages pour les entreposer au sous-sol. L’avantage de ce local isolé consistait bien en ce qu’on ne me dérangeait jamais. Je pouvais agir comme je le désirais sans risque. Je n’ai aucune idée de comment il parvint à capturer et transporter ces grands singes mais, à vrai dire, cela m’était complétement égal. Les plus éminents représentants du règne animal étaient à moi, tout disposés à livrer leurs secrets.

Je leur infligeai à leur tour ce que j’avais infligé à leurs devanciers. À force de pratique, j’avais fini par devenir particulièrement doué dans les domaines de l’énucléation, de la trépanation et de la castration. Leurs hurlements simiesques ne s’arrêtaient jamais et ils me déconcentraient dans mes recherches. Je leur cousu donc les lèvres. Je n’eus ensuite plus qu’à supporter leurs visages distordus par la souffrance. Je travaillais nuit et jour. L’écran de l’ordinateur s’illuminait de leur activité cérébrale mais, une fois encore, rien d’autre n’apparaissait. Je déployai pourtant des trésors d’inventivité pour exciter leur conscience, je les bichonnais pour qu’ils ne meurent sous aucun prétexte, j’enchainais les séances mais rien n’y fit. Je ne parvenais qu’à créer d’innombrables courants électriques en rien différents de ceux servant à m’éclairer. Lorsque mon dernier spécimen rendit l’âme je crus devenir réellement fou. Cela faisait un mois que je l’étudiais sans arrêt, je n’étais pas sorti depuis autant de temps. Ce gorille était robuste mais pas moins sensible que les autres, je l’avais soumis à des tests préliminaires et je l’avais catégorisé comme le plus intelligent du lot. S’il existait un individu chez qui j’aurai dû trouver ce que je cherchais, il s’agissait bien de lui et, pourtant, il s’éteint comme les autres, tout aussi inutile. J’enrageais ! Tout cela n’avait servi à rien !

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