62/ Denier carnage

5 minutes de lecture

 L'armée quitta l'abri prodigué par la forêt et pénétra la vallée. Une dizaine de bâtiments étaient hissés autour des geôles qui se reconnaissaient de loin, ainsi que quelques tas de pierre et plusieurs arbres suspects. Sur cette plaine éclairée par cinq larges poudroiements lumineux, près de deux cents factionnaires montaient la garde, jouaient ou se reposaient. Ils ne réagirent pas immédiatement en voyant les cinquante soldats les rejoindre. Après tout, ils n'attendaient aucun ennemi, ils étaient sûrement des leurs. Puis, une des effraies remarqua une présence cachée. La déesse Karathris avançait en tête de queue, dissimulée par sa magie. Le guetteur ne voyait aucune raison pour laquelle elle agirait ainsi, si ce n'est pour de belliqueuses intentions. Dès que la colonne de soldats fut trop proche, l'une des sentinelles prit la parole :

 — Halte ! Que faites-vous ici ?

 Personne ne répondit, la caravane continua son approche silencieuse.

 — Hey ! Répondez-moi ou nous serons forcés d'user de la violence !

 — On vient prendre la relève, tenta l'ancien soldat de Kros.

 — On sait que la déesse rebelle est avec vous ! Pourquoi ne se montre-t-elle pas ?

 — Je dois accéder aux geôles de l'infini, fini par révéler Karathris.

 — Certainement pas ! On sait très bien que vous désirez libérer l'humain ! Vous étiez contre la volonté du Gardien.

 — Non, ce n'est pas cela, imagina-t-elle. J'en ai un autre à enfermer.

 Elle désigna Malgati.

 — D'accord, pardonnez-moi, je vous en prie, avanc... Hey, mais pourquoi est-il armé ?

 — Ah, marmonna la déesse. J'aurais dû y penser avant.

 — Comment ? Je n'ai pas entendu, qu'avez-vous dit ?

 — Chargez !!

 L'armée déferla sur l'ennemi en courant. Quatre déchaîna toute sa puissance, se forant une route au travers des veilleurs. Perr s'occupa de maintenir à distance et de déstabiliser les adversaires là où ils formaient des groupes compacts. Les archers déblayèrent le terrain de loin, et les fantassins se mirent en formation couloir, déchiquetant ceux qui s'approchaient. Quand l'un d'eux mourrait, un autre s'empressait de le remplacer.

 La troupe avançait bien.

 Après ce début en fanfare, les complications pointèrent le bout de leur nez.

 Deux arbres balançaient des rochers dans les rangs, disloquant le corridor. Trois autres végétaux animés se rapprochaient lentement. Plusieurs tas de pierre prirent vie, se regroupèrent, formant un géant rocheux dont chaque pas faisait trembler la terre.

 — Les cailloux aussi ? s'étonna Malgati en décapitant un serviteur.

 — On peut mettre des Esprits dans n'importe quoi, lui indiqua Sati, la voix tremblante.

 Ce champ de bataille la mettait dans le malaise le plus profond. Contrairement à ce qu'elle s'était imaginée, elle ne se voyait plus tuer personne une fois confrontée à la réalité. Suivant les pas de l'humain, elle agrippait son épée beaucoup trop fermement et la tenait près d'elle. Elle avait dit à Malgati qu'elle le protégerait, mais elle espérait maintenant que ce soit lui qui la sauverait une fois de plus.

 Il s'agissait désormais d'une question de temps. Karathris devait atteindre la prison spirituelle avant que les Esprits ne soient trop proches et que son corridor soit refermé. Heureusement, malgré les jets de pierre, les rebelles parvenaient à garder leur position, surtout grâce à la temporisation permise par l'homme-corbeau et les archers.

 Mais d'un coup, les flèches alliés se firent moins nombreuses...

***

 La fille aux yeux roux abattait avec précision, vitesse et efficacité les gardes de la plaine qui s'approchaient du couloir. Soudain, un bruit derrière elle attira son attention. Ororah n'eut que le temps de se retourner pour voir une silhouette se découper entre les feuillages lui tomber dessus et lui déchirer le visage, lui crevant ses globes oculaires si particuliers.

 Londock entendit le tumulte à quelques mètres de lui. Il arrêta de tirer pour comprendre ce qu'il se passait. Il remarqua le corps de l'archère, et assista à la lacération d'un autre collègue plus loin par une bête poilue et nerveuse.

 — Oh merde, c'est quoi ce bordel ?! s'étouffa-t-il.

 Il respira un coup, reprit de la contenance et tenta de maîtriser ses tremblements pour tirer sur la chose. Sa flèche manqua sa cible, se plantant quelques pas plus loin entre les brins d'herbe. L'ours humanoïde en repéra l'origine. Il délaissa le décharné dont il s'occupait et galopa vers elle. La panique enveloppa Londock, le poussant à prendre ses jambes à son cou. Unio l'interpela quand il passa à proximité.

 — Hey, où vas-tu ?

 — Aide-moi, un truc nous bute tous un par un par-là !

 Les yeux rouges de Ba scintillèrent à travers la pénombre, révélant sa position au tireur. Unio s'empressa de lui décocher un projectile qui atterrit entre les os de son épaule. Il poussa un cri mais ne ralentit par pour autant. Londock poursuivit sa fuite, laissant l'archer au crâne luisant seul face au monstre.

 — Bande de traîtres ! pestiféra Ba. Vous allier à un humain, vous n'avez pas honte ?

 — Il nous a forcé ! bredouilla Unio. Il est là-bas ! Ils vont libérer l'autre hu...

 Le plantigrade se redressa devant le sycophante. Il lui planta ses griffes sous le menton.

 — Fous-toi de ma gueule. Il t'a forcé à rien.

 — Il était avec la Réceptrice ! C'est pour ça !

 — Je m'en doutais... Dis aux autres de cesser leurs tirs s'ils veulent une chance de s'en sortir... Non, en fait, dis-leur de tirer sur les autres traîtres plutôt.

 L'ours partit au galop vers le champ de bataille. Unio eut à peine le temps de reprendre ses esprits qu'une cohorte de factionnaires sortit de la forêt.

 — Plus un geste !

 — Je suis de votre côté ! mentit Unio.

 Londock aussi croisa les forces que Sir Ba avait engrangées alors qu'il désertait.

 — Hey vous, arrêtez ! cria une voix familière en le braquant.

 Londock se stoppa net, leva ses mains en l'air.

 — Londock ? C'est bien toi ?

 — Morlan ? Qu'est-ce que tu fais ici ?

 — Enfoiré, c'est à moi de te poser cette question ! Je te croyais mort !

 — Et moi je t'ai fait passer pour mort.

 — Attends Londock, dis-moi que c'est pas ce que je crois. Dis-moi que je me trompe ! Tu t'es pas allié avec le monstre de fer quand même ?

 — Écoute, ce n'est pas comme tu le penses. Je pourrais tout t'expliquer dans des circonstances un peu plus calmes.

 — Putain, j'en reviens pas ! T'as déjà oublié ce que cette pourriture a fait à tous nos collègues ?

 — Non, mais...

 — On en reparlera quand tout ça sera fini. T'as intérêt à avoir une sacrée excuse !

 — Laisse-moi partir, le supplia Londock. Sinon ça va mal finir pour moi.

 — Tous les autres t'ont vu. Tu sais très bien que je peux pas faire ça.

 — Je t'en prie.

***

 Quatre attrapait les épées s'abattant sur son flanc avec les mains de la déesse et exécutait les sentinelles en face grâce à la gueule de Pollah. Elle se fraya avec une certaine facilité un passage jusqu'aux geôles, suivie assez laborieusement par son escorte.

 C'était maintenant qu'ils se heurteraient à la véritable difficulté.

 Quatre se dispersa. Karathris observa la prison de Quinquati, un bâtiment de trois mètres de haut parfaitement cubique à l'aspect irréel, d'une blancheur uniforme, semblant émettre lui-même une lumière ténue, insensible aux lueurs extérieures.

 Karathris prit une profonde inspiration.

 Elle posa ses paumes contre la paroi parfaitement lisse.

 Le monde s'évanouit autour d'elle dans un flamboiement aveuglant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Yanyan ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0