Chapitre 2

9 minutes de lecture

Syrius habitait actuellement une petite maison délaissée, située dans les montagnes à quelques kilomètres du village de Capella. Construite en pierres rouges et marron clair, la charmante maison au toit pointu se confondait dans son décor de pierres rosées.

Le memory sous le bras, la jeune femme entra par la fenêtre de la cuisine d’où elle avait aperçu Syrius et lui tendit l’objet de sa révélation. L’homme accueillit Capella et sa folie avec grand bonheur, l’embrassant chaleureusement. Comme à son habitude, démuni de tout maquillage pour la peau et de toute énergie négative, Syrius souriait sagement. Cet homme avait autrefois connu le chaos physique et psychologique le plus total, qui l’avait mené au choix d’une vie sereine et entière, loin du superficiel des civilisations dites avancées.

Capella fit chauffer de quoi préparer le rituel du maté puis rejoignit Syrius, partit attendre la jeune femme sous le doux soleil du soir. L’homme, allongé sur une couverture moelleuse posée sur la terre colorée et l’herbe sauvage que l’on pourrait appeler le jardin de la maison, affirma d’un ton grave et poétique :

– Rencontre entre la descendance cachée d’Arancha et l’histoire sacrée…

La jeune femme prit le coffret en cuivre que Syrius avait posé sur la table blanche du jardin et s’assit près de l’homme. Dans cette nature cachée par les montagnes et la végétation libre de pousser, les deux amis nageaient dans un nuage de bonheur. La nièce d’Arancha but quelques gorgées à l’aide de sa bombilla préférée, ornée d’une magnifique onyx et d’argenterie fine, puis tendit la boisson à Syrius. La voile de la nuit s’installa doucement, les oiseaux nocturnes arrivèrent peu à peu.

– Tu commences à maîtriser le maté ! Pour une fois il est buvable, la taquina Syrius en lui tapotant l’épaule.

Capella, souriante comme jamais, sortit quelques pièces de la jolie boite. L’homme, observateur habitué, les prit en main avec la plus grande attention.

– Celui là, au dos, est signé Arancha, s’exclama doucement Syrius, montrant à la jeune femme la pièce gravée du nom de sa tante.

Heureuse et fière de sa tante, Capella toucha la gravure de ses fines mains. Elle retourna le morceau de bois et y découvrit une illustration représentant une femme assise, un livre ouvert posé sur les genoux qu’elle semblait ne jamais lire. Capella ressentit la sagesse qui émanait de cette femme discrète. Des teintes bleutées, et certainement anciennement rouge, dominaient. Un rouge devenu un charmant rose vieilli, assorti à la robe portée par la jeune femme ce soir-là.

– Si on ne prend pas en considération les dessins d’Arancha mais le memory que chacun connaît, commença Capella, on est d’accord qu’il s’agit d’un jeu tout à fait banal ?

Intrigué, Syrius lui fit signe de continuer.

– Comme je t’ai raconté brièvement tout à l’heure, j’ai eu une espèce de révélation. Intégré dans l’éducation des enfants et ce dès leur plus jeune âge, ce jeu, le memory classique, pourrait être une grande aide pour l’avenir de notre civilisation ! Personnellement aussi, étant donné que chaque gros changement commence par soi-même. Les curieux s’y attelant sérieusement verront leur psychisme s’apaiser et tout un tas de rebondissements, de changements de plus en plus profonds prendront forme dans leurs vies.

L’homme laissa parler la jeune femme absorbée par son sujet.

– Tout n’est que supposition bien sûr, reprit Capella. Il faut creuser.

– Développe, dit Syrius en lui tendant le maté, agréablement surpris par cette nouvelle découverte.

– En parlant de développer, participer à une partie de ce jeu par jour pourrait développer énormément de qualités chez chacun ! Qui justement, permettraient de vivre ensemble avec une grande intelligence du cœur.

La jeune femme but quelques gorgées puis posa la calebasse vide sur l’herbe. Elle s’allongea le long de Syrius et continua.

– La curiosité, la créativité, l’imagination… La modestie, la concentration et la mémoire, la patience et le contrôle des émotions, le respect de l’autre et des règles de bien-vivre… Tout cela prendrait de l’ampleur, doucement. Et même l’envie d’autonomie !

– Rien que ça ! répondit Syrius en souriant.

– Oui oui oui, poursuivi Capella, et dans l’optique plutôt sensée où chacun n’aurait pas un memory chez lui, on pourrait envisager que chaque foyer construise son propre jeu. Créer simplement, avec des matériaux achetés ou trouvés, de récupérations, suivant les envies et moyens de chacun… Admettons que chaque mois, nous échangeons notre petite création avec un voisin. Nos jeux voyageraient, et très vite chaque parties deviendraient un moment connecté avec le monde entier.

– Le jeu pourrait créer aussi du contact social donc, affirma Syrius, non négligeable. C’est marrant qu’une nana timide comme toi ait ce genre d’idées !

– Et tu vois, dis Capella en hochant la tête, on peut commencer par la mémoire… C’est quand même le nom du jeu. Ce qui est une aide considérable pour tous les jours. Qui ne perd pas de nombreuses minutes à rechercher une clef, un briquet, ou sa mémoire ?

– C’est hier, j’ai retourné la maison pour ton collier, s’exclama Syrius. Impossible de remettre la main dessus !

– J’aimerais que tu aies une mémoire d’éléphant buveur de gincko parfois… répondit Capella en souriant.

– On se fera une partie quand le jour se lèvera, proposa Syrius.

– La fille de ma voisine, la petite Florencia, annonça Capella, a énormément de mal à retenir ce qu’on lui enseigne. Les enfants apprennent beaucoup à l’école, et ont besoin de se souvenir de ce tas d’informations… Au risque de se faire exclure du système, ce qui n’est pas plus mal si l’on considère que ce monde est complètement barge. Mais c’est un autre sujet. Chaque personne a besoin d’une mémoire efficace pour sa vie, sous peine de tourner en rond.

Capella se tut un instant, admirant un nandou venu s’approvisionner dans une coupelle posée au sol.

– Rhéa, l’oiseau dont tu m’as parlé l’autre fois ?

– C’est lui ! Mon invité régulier, affirma fièrement Syrius. Bien que je ne sache pas bien ce qu’il foute là. Je pensais qu’ils vivaient bien plus au sud, dans les plaines.

L’oiseau ressemblait à une petite autruche grise. Il rappela à Capella le jour où sa mère s’était faite chargée par un nandou furieux.

– En attendant, il raffole des graines et de tout ce qui est fruit, s’exclama Syrius. Faut rien laisser traîner, tout disparaît.

– Miam… répondit la jeune femme. Quel bec !

– Eh oui petite dame, dit l’homme d’un ton bourgeois, il faut ce qu’il faut pour assouvir ma gourmandise.

Capella rigola gentiment pendant que l’oiseau reprit son chemin avec grâce.

– Pour les enfants qui y joueraient dès leur plus jeune âge, continua la jeune femme suivie attentivement par son ami, cela leur apprendrait la modestie aussi. Ils apprendraient à accepter les défaites et à rester humbles et modestes lors de leurs réussites. Ils comprendraient aussi qu’avec la persévérance, et le travail sur eux-même, ils sont capables de réussir. La curiosité serait également augmentée. Dans le cas d’une simple partie, on se demande quelle image se trouve derrière chaque dos de pièce ; on imagine, on suppose. On se demande quelle illustration sera piochée, par notre main ou et par celles des autres… Surtout quand on sait quelle carte se trouve à tel endroit et que la personne tourne dangereusement autour. Et dans le cas où chacun, chaque foyer, créerait son jeu, nous serions intrigués et curieux des méthodes utilisées par les voisins pour fabriquer leurs memory. On se demanderait aussi quel jeu imaginé nous tomberait dans les mains bientôt. On deviendrait curieux des autres.

La jeune femme s’arrêta un instant et se pencha sur l’une des pièces d’Arancha. Il y était gravé deux humains se touchant le cœur au côté d’un magnifique soleil. Le chiffre 19 y était également inscrit.

– Magnifique pièce, dit Syrius en regardant la jeune femme avec beaucoup d’amour.

Elle embrassa son ami, et poursuivit sur sa lancée.

– Le jeu développerait aussi la concentration ; augmenter chaque jour cette qualité est une véritable aide. Associé à la curiosité, on apprend plus facilement, plus longtemps, on s’ouvre intellectuellement, on découvre. On comprend mieux et sur des sujets de plus en plus inconnus et profonds. Jusqu’au jour où un thème nous tombe dessus et nous tient, et là on se spécialise ou du moins on entre dans le cœur de ce qui nous transforme peu à peu et nous enrichit. La concentration peut nous amener loin, nous faire rêver, nous faire découvrir d’autres points de vues, d’autres horizons.

– Tu vas loin avec un simple jeu, continue, demanda Syrius curieux du raisonnement de son amie.

– La créativité. Encore une fois, qui peut mener loin. On gagnerait beaucoup de confiance en soi en appliquant tout ça. Puis louper son premier essai nous pousse à recommencer avec de nouvelles techniques et idées, on apprend encore une fois la persévérance. Tout ça n’est qu’à petite échelle, mais une marche plus une marche et encore une marche nous donne un escalier. D’autant que si tous les jours, on utilise un objet créé par nous-même ou fabriqué artisanalement par un voisin du monde, nous devenons rapidement bercés dans un nuage de créations. Des déclics, peut être, pour certaines personnes, les feront réaliser qu’elles peuvent créer tout plein de choses utiles (ou non) auxquelles elles n’auraient pas pensé. L’expérience des fabrications maisons pourrait vite prendre une tout autre tournure. Finalement l’envie d’autonomie prendrait vie… Faire travailler son imaginaire, l’imagination…

Syrius, du temps de sa jeunesse, avait participé à la création d’un éco-village. Un lieu totalement indépendant de la société où la création et la fabrication étaient indispensables pour la réussite du projet.

– Oui, on commence par petit, continua l’homme, ensuite les idées germent. On s’aperçoit que tout est réalisable.

– Exact, d’autant que se lancer dans la créativité muscle notre cerveau gauche, celui des émotions et de l’intuition.

– On en manque cruellement, approuva Syrius. Beaucoup se focalisent sur le droit, la partie de l’intellect.

– On se comprend, trop de sciences et d’esprits carrés…

– Pour revenir au mémory, patienter que la personne ait pris le temps de réfléchir, qu’elle soit prête, répondit d’un ton lent Syrius. Ou simplement patienter que la partie se termine parce qu’on a envie de faire autre

– Rha, les dieux ne t’ont donné aucune patience, l’interrompit malicieusement la jeune femme.

– Parle, femme ! rétorqua Syrius.

– On pourrait en conclure avec tout ça, que la patience et le contrôle des émotions s’amélioreraient… Pour les enfants surtout, apprendre à gérer ce qu’ils ressentent, lors d’une tricherie d’un autre joueur pour l’exemple le plus simple… Ce qui pourrait conduire finalement à calmer doucement le caractère colérique et roi de certains enfants lors de nombreuses situations quotidiennes. La compréhension des personnes qui ne leur ressemblent pas, aussi. Que ce soit face à une personne timide, handicapée, par exemple. Ils apprendraient à jouer ensemble et dans le respect le plus total, à être à l’écoute, à comprendre l’autre ; l’empathie deviendrait naturelle. Ils apprendraient aussi à accepter certaines règles, donc également des règles de sociabilités, de respect envers le monde.

Capella s’étendit sur la couverture sous l’oeil de Syrius. Un silence s’installa, la jeune femme observa le ciel s’assombrir.

– On est minuscules en Argentine, dit Capella de sa voix douce. Tout est immensément grand.

Syrius se leva et alluma quelques bougies posées sur la table puis s’allongea près de la jeune femme qui se colla à lui.

– Les parties ne se dérouleraient jamais autour d’une tension, reprit-elle. On communiquerait sur ce qui ne va pas… et on résoudrait le problème avant le jeu, en se disant que finalement nous devons tous être unis, et que nos problèmes n’en sont pas véritablement.

– Tu as foi en l’être humain tout à coup ? lui sourit Syrius.

– Il faut bien… Tiens, un petit truc aussi, on apprendrait à être ordonné : c’est plus facile lorsque les pièces sont alignées plutôt qu’en vrac. Quand les choses sont à leur place tout devient plus facile…

– Tu m’en diras tant, commenta Syrius.

– Et puis comme tu dis, le jeu créerait du contact social. On rencontrerait des voisins, des personnes qui vivent à nos côtés et qui, peut être, sont adorables et ont la main sur le cœur. Le fait de jouer avec de nouvelles personnes contribuerait à lutter contre la timidité de certains enfants d’ailleurs. Discuter entre voisins et amis sur la façon dont on a créé nos jeux, les codes utilisés, le pourquoi des couleurs, les messages cachés à déchiffrer dans le cas de memory hermétiques… Des discussions s’ouvriraient, et qui sait, pourraient mener loin dans la relation à l’autre, dans certains apprentissages, ou tout simplement dans le bonheur des liens sociaux. On apprendrait à apprécier l’autre.

– On a la réponse du mieux vivre sous nos yeux. Encore faut-il rallumer son cerveau et éteindre la télé, affirma Syrius.

– Tout à fait… Il faudrait vraiment que le memory entre dans l’éducation de chaque enfant, dans le quotidien de chaque être humain, conclut la jeune femme.

Capella se blottit contre Syrius, qui la serra dans ses bras. La jeune femme ferma les yeux et profita du silence de la nuit.

– Il serait temps que l’Homme ouvre les yeux sur ce qu’il est réellement et sur les aides qui lui ont été données, chuchota la jeune femme à l’oreille de Syrius. Ce jeu ouvrira doucement leur cœur…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Pythna DS ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0