Ebauche

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"Nath, grouilles-toi, on va encore rater le bus !". Isabelle me fît émerger de mes pensées. Au loin, le bus avalait les quelques adolescents qui fanfaronnaient et ne nous prêtaient aucune attention.

M'accrochant à ma besace comme si elle avait de la valeur, je m'engageais dans un sprint matinal... comme tous les jours.

L'avantage du sprint les matins d'hiver, c'est que l'on oublie vite la morsure du froid, enfin, au moins le temps de la course. Biologiquement, il est impossible d'être frigorifié à plusieurs endroits en même temps, le corps à comme un court-circuit à ce moment-la. Si l'on est entraîné, on peut même commander la partie du corps ressentie comme la plus glacée. Nous n'étions pas seulement entraînées, nous étions des athlètes, dressées par le plus diabolique des mentors.

"Nath, merde ! Il démarre! On va le rater !"

Derniers 50 mètres. Savez-vous ce que Usain Bolt à ressenti en gagnant son 200 mètres ? Nous oui !

Haletantes et encore engourdies par le froid, nous avions réussi à attraper ce bus. Le paysage défilait derrière la vitre embuée et dégoulinante, partiellement recouverte de rideaux oranges datant certainement du siècle dernier. Le givre avait pris place sur les branches nues des arbres qui se ressemblaient tous en cette saison. Les premières lueurs du soleil donnaient une magnifique couleur rose au ciel matinal, en contradiction avec la grisaille des sous-bois (et de mon humeur). Il faisait froid, très froid ce matin, nous en savions quelque chose !

Les fourmillements que je ressentais dans mon corps indiquaient que j'étais en train de me réchauffer, enfin.

Je regardais les mains écarlates d'Isa, assise à côté de moi, elle aussi se réchauffait et s'apaisait en fermant les yeux, malgré le brouhaha normal d'adolescents prépubères.

Non pas qu'elle ait oublié ses gants, même si elle avait la réputation d'être tête en l'air. Elle n'en avait tout simplement pas, moi non plus d'ailleurs. Pas même qu'un manteau chaud, mais une simple veste en jean déjà trop portée qu'on s'échangeait en comptant les jours pairs et impairs.

Nous n'étions que rarement conviées à ces conversations normales de gens normaux, notre apparence et notre dégaine tout droit sorties du fameux "Remi sans famille" ne faisaient pas envie et donnaient aux gens l'impression que notre condition était contagieuse. Bien qu'objectivement nos parents n'étaient pas pauvres. A chaque fois que l'on regardait autour de nous, nous étions en contraste avec les autres enfants. On était ce genre d'adolescentes sur qui les autres se retournaient dès que l'on franchissait le portail de l'école. Ayant déménagé de nombreuses fois, on a souvent et pendant longtemps eu le surnoms "les nouvelles", ou les "pinzutu" comme disent les Corses.

Les seuls amis que nous avions étaient décalés, comme nous. Il faut dire que du plus loin que je me souvienne, nous avons toujours fait "tâche".

En effet, alors que dans leur chaumes, tous les écoliers buvaient leur chocolat chaud et prenaient leur tartines soigneusement préparées par une maman attentionnée, douce et aimante. Tandis qu'ils sentaient la chaleur rassurante de l'écharpe bien chaude sur leur cou, et alors qu'ils étaient ennuyés par le baiser envoyé par leur parents à la dépose du bus et qui aurait pu corrompre leur réputation de gros dur, nous, nous faisions du stop. Du stop pour arriver à l'heure à notre arrêt de bus. Dans le noir et dans le froid, à 6 heures du matin. D'ailleurs nous n'avions pas d'écharpe non plus.

Les quelques kilomètres qui séparaient notre maison du centre du village nous paraissaient interminables.

L'avantage d'être exposé à des situations stressantes dès le plus jeune âge, c'est que l'on développe un sens de l'humour et de l'autodérision hors-pair.

Il faisait nuit noire, nous étions sur le bord de la route, en pleine forêt. C'est incroyable comme les autres sens se développent lorsque l'on en est privé d'un.

"Isa, c'est quoi les ombres là-bas ?" demandais-je. "J'en sais rien ! Tends ton pouce y'a une voiture !" me répondait Isa d'un ton blasé. "S'il a une tête bizarre on monte pas, hein ?" dis-je en essayant d'avancer à reculons sans tomber dans le fossé attenant à la route. Isabelle ne répondit même pas, j'ai pensé sur le moment qu'elle ne savait pas quoi répondre à ce moment la, et qu'elle avait peur, elle aussi. Une voiture passa en nous klaxonnant. La route était très sinueuse et en pente. Elle faisait se rejoindre deux petits villages par les sous bois.

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