Chapitre 4 : Forêt sanglante

9 minutes de lecture

— Ce livre ne devait pas être tombé par hasard, fut ma première pensée.

La deuxième était persuadée que l’ouvrage m’était adressé. Il avait même comme titre Le cercle de la vie. Je ne pouvais plus croire aux coïncidences. Je m’assis par terre pour relire ces quelques pages. La première m’indiquait sûrement une démarche à suivre. Il s’agissait de planter une graine que je n’avais pas encore. Or, j’avais déjà le pot de terre et l’eau, j’étais donc sur la bonne voie. Ensuite, la page suivante faisait sans nul doute référence aux trois premières transformations ; celle du cœur, du poisson et du lézard. De plus, les trois triangles devaient correspondre aux trois parties de la clé triangulaire nécessaire pour ouvrir le coffre de l’horloge comtoise. Ainsi, il me vint à l’esprit qu’il y avait peut-être une clé dans chacun des trois mondes. Et j’en avais déjà une. La troisième page visait également l’horloge, il se passerait à coup sûr un évènement lorsque je mettrai les aiguilles en face de huit heures vingt-cinq. Enfin, la dernière page, je ne la comprenais pas. Tout ce qui me venait à l’esprit était que ma prochaine transformation serait celle du ver. Je continuai pendant quelques minutes à feuilleter l’ouvrage, en quête d’un indice que je n’aurai pas vu, mais je fis chou blanc. De toute manière, j’avais déjà assez de preuves pour poursuivre mes recherches et un objet était clairement visé : l’horloge.

Ses deux aiguilles étaient de nouveau en face du douze, si bien que je dus me mettre sur la pointe des pieds pour les faire tourner. Dès lors que la grande aiguille fut sur le cinq et la petite sur le huit, le cadrant s’ouvrit encore une fois sur une deuxième partie de la clé triangulaire. Il ne m’en restait plus qu’une à trouver, et si je suivais les conseils du livre, elle se trouvait dans le monde du poisson. L’espoir me gagnant, je m’élançai à toute allure vers l’autel et disparu à travers le néant bleu.

Lorsque j’apparus face au miroir, un mouvement au-dessus de ma tête m’attira. C’était un autre livre qui flottait. Celui-ci s’appelait Samsara et je n’eus pas besoin de l’ouvrir pour trouver ce que je cherchais. Sur la couverture était dessinée une montre indiquant deux heures quinze. Je lâchai brusquement le livre qui se remit à divaguer dans l’eau et fonça devant la comtoise. Lorsque les aiguilles furent alignées en face du deux et du trois, le compartiment en haut de l’horloge s’ouvrit encore une fois sur une clé triangulaire. J’avais maintenant les trois parties de la clé. Cependant, j’hésitai quelques instants avant d’ouvrir le coffre. Je me doutais de ce qu’il contenait et je n’étais pas sûr de vouloir en savoir davantage. En effet, le seul aperçu que j’en avais eu était un bras, qui m’avait donné un cœur. Mais un regard sur mes mains palmées suffit à me convaincre. Peu importe les horreurs que j’allais voir, si je voulais retrouver ma vie, mon apparence et mes souvenirs, je n’avais pas d’autres choix que d’y faire face. Alors, prenant une grande inspiration, je déverrouillai le coffre.

Lorsque je tournai la clé, une forte pression s’exerça sur la porte, comme si un objet lourd s’appuyait dessus. Les bras parcourus de frissons, je lâchai d’un coup la poignée et un corps coula jusque devant mes pieds. C’était le cadavre d’un vieil homme, au ventre imposant et à la peau bleutée. Lorsque je touchai son bras pour vérifier qu’il était bien mort, sa peau gelée entra en spasmes et la main du vieillard laissa échapper une graine. Je la récupérai, pensant à ce qui était écrit dans le livre. Il fallait maintenant que je la plante dans le pot. Non malheureux de quitter cette pièce à l’odeur fétide de mort, je retournai dans le monde du cœur. Lorsque je plantai la graine et ajoutai l’eau, une haute tige se mit à grandir. Tellement, qu'en réalité, je ne pouvais plus voir sa cime. Heureusement, le monde du lézard me permit d’observer une magnifique fleur violette. Mais alors que je la saisis entre mes pattes, un pétale tomba, puis deux, trois, jusqu’à ce que tous soient à terre. La seule chose qui restait, un ver. Je pris doucement la relique sur une de mes griffes avant de la poser sur le socle de l’autel. J’allais découvrir un nouveau monde.

La psyché me paraissait immensément grande. Réellement. Je voyais à peine le haut de ma tête, et de ce que je contemplais, je comprenais cette impression de miroir géant. À proprement parler, c’était plutôt ma taille qui avait diminuée. J’étais bien entendu devenu un ver de terre. Heureusement, ma peau était très collante, ce qui m’aiderait bien à transporter les objets trouvés, maintenant que je n’avais plus de bras. Chose plutôt étrange, étant donné que j’avais encore mes jambes, bien que terriblement plus courtes. Sans languir davantage devant ce reflet peu reluisant, je n’eus pas à chercher longtemps l’éclat d’une nouvelle rune. En effet, celle-ci, une sorte d’enveloppe tracée de sang, se dressait juste à droite de ma tête. Après avoir noté son apparence dans mon esprit, je me tournai vers le reste de la pièce. Je n’arrivais même pas à atteindre le téléphone à cadran posé sur la table. Mais à force de coups d’épaules contre l’un de ses pieds, le meuble laissa tomber le combiné par terre. Je fus surpris de constater deux petites vis qui fermaient l’endroit par où arrivait le son, chose que je n’avais jamais remarqué alors que j’avais déjà utilisé ce mobile. Je me promis de trouver un tournevis ou un quelconque objet qui me permettrait d’ouvrir l’appareil. Le reste de la pièce demeurait inchangé. Aussi, je me mis en marche vers la porte de droite. Cependant, je fis à peine un pas dans ce nouvel endroit, que ma vue fut brutalement obstruée. Un voile violet m’aveugla quelques instants avant que je ne me rende compte qu’il s’agissait en réalité d’un pétale. Exactement le même que ceux de la fleur que j’avais déjà dépecée. Mais n’était-ce pas censé être un autre monde ? Malheureusement, je n’avais, encore une fois, aucune réponse à mes pensées. Je secouai donc la tête pour me débarrasser de la feuille, mais celle-ci demeurait négligemment collée à ma peau visqueuse. À force d’acharnement, je finis par perdre patience et la laissai pendouiller à l’arrière de mon crâne. Le meuble, lui, n’eut rien de nouveau à m’offrir et c’est sur cette déception que j’entrai dans la pièce qui suivait. Soudain, j’eus un sursaut de peur en voyant le vieil homme affalé par terre. Ce dernier était totalement sorti de ma conscience et le voir si grand et imposant m’avait flanqué une peur bleue. De plus, à mon grand désarroi, mon corps devint brusquement tétanisé de terreur. Je ne contrôlai plus aucun de mes mouvements et ce fut à ce moment que la mystérieuse force, déjà entraperçue lorsque j’avais donné un couteau à la main qui sortait de l’horloge, se manifesta. Essayant de toutes mes forces de me maîtriser, je ne parvins pas à arrêter mes jambes qui avancèrent jusqu’au visage du vieillard. Le haut de ma tête lui arrivait à peine au nez alors qu’il était allongé et moi, debout. Alors que je me stoppai, je pus de nouveau respirer normalement, heureux de ne pas être allé plus loin. Mais subitement, la bouche de l’homme s’ouvrit en grand dans un claquement obscur. Mon cœur bondit dans ma poitrine et mon sang se figea. Alors que je croyais m’évanouir de terreur, mes pieds se décidèrent encore une fois à avancer sans que je ne puisse les contraindre. Ils enjambèrent rapidement les dents noirâtres et pourries de l’humain avant de pénétrer dans sa bouche. Mon dégoût était palpable et l’unique chose positive était que ma tête de ver sans nez m’empêchait de sentir l’odeur de charogne qui régnait sûrement en ces lieux. Je marchai ainsi pendant de longues minutes avant de déboucher dans une forêt. Un hoquet de surprise m’échappa et se répandit en écho face aux arbres morts et sinistres qui grimpaient vers un ciel rose foncé. Où étais-je donc ? Comment la bouche d’un homme pouvait-elle m’amener dans un lieu aussi étrange ? D’ailleurs, étais-je toujours dans le corps de l’homme ? Pendant que je continuais à me poser toutes ces questions étranges, mes pas me guidaient toujours vers un chemin sinueux au cœur de cette jungle. En passant entre deux bouleaux, facilement reconnaissables entre tous ces arbres aux troncs noirs, un point lumineux et orangé voleta doucement autours de moi avant de disparaitre. Je croisai encore six bouleaux avant d’atterrir dans une clairière. En son centre se tenait une stèle. Il y avait devant elle, posés, quatre bocaux, chacun numéroté de un à quatre en chiffre romain. Alors que les deux premiers récipients étaient vides, les deux derniers contenaient un lézard et un ver ainsi que deux petites lumières orangées qui volaient frénétiquement, enfermées dans les bocaux. Le cri d’un corbeau me fit sursauter et presque machinalement, sans même comprendre pourquoi, je déposai, en me secouant pour les décoller, dans le premier bocal le cœur et dans le second, le poisson. Deux lumières vinrent s’y mêler et un compartiment secret s’ouvrit à gauche sur une crevette. Je la récupérai sans savoir où ça me mènerait. Au même moment, un deuxième compartiment s’ouvrit en plein milieu de la stèle. Il s’agissait d’une horloge, mais bien étrange. En effet, les chiffres avaient été remplacés par des runes et il y avait quatre aiguilles, toutes surmontées d’un chiffre romain un, deux, trois ou quatre. Je compris instantanément que les aiguilles représentaient les bocaux et donc leur contenu. Je mis ainsi la première aiguille en face du S, la seconde face au carré barré, la troisième avec le triangle barré, et enfin la dernière en lien avec le symbole qui ressemblait à une lettre. À peine eus-je assemblé le tout, qu’une autre cellule s’ouvrit. Il y avait dedans, posé, un œuf. Ma nouvelle relique. Au moment où je le collai à ma peau, la force qui s’abattait sur moi s’évanouie. Voyant qu’il n’y avait rien de plus à tirer de cette jungle ténébreuse, je repris le sentier dans l’autre sens pour sortir de cette bouche.

L’éclairage vif de la pièce m’aveugla quelques instants à mon retour. J’avais presque oublié que j’étais enfermé dans ce lieu morne. Avant de quitter cette salle, je vérifiai qu’il n’y avait plus rien dans le coffre ouvert de l’horloge. Or, entre quelques morceaux de bois se trouvait un pétale ainsi qu’un couteau. Je les collai, avec la satisfaction d’avoir fait une découverte, à ma tête et ouvrit la dernière porte. Mais avant de me diriger vers l’autel, un livre posé par terre attira mon attention. Trop petit, je ne pouvais lire son titre mais je remarquai un espace entre deux pages, quelque chose y était coincé. Avec mon crâne, je séparai les deux feuilles et aperçus un autre pétale. Or, il m’était impossible d’ouvrir l’ouvrage et de récupérer le pétale en même temps. Alors, je coinçai le paquet d’allumettes entre les feuillets et récupérai l’extrait de fleur. Heureusement que j’avais gardé les deux premiers pétales sur moi, c’était sûrement ce qui devait être déposé sur l’autel.

Ensuite, je mis le couteau dans ma bouche et entrepris d’enlever les vis du combiné. La tâche fut ardue, mais lorsque la plaque de silicone se détacha, elle donna lieu sur une quatrième feuille violette, qui me fit prendre espoir.

Je me dépêchai de retourner devant l’autel, y déposai les quatre pétales et hésitai. J’avais deux reliques avec moi, laquelle choisir. L’œuf ? Ou bien la crevette ? Je me remémorai le cercle de la vie. Si je suivais l’ordre, la prochaine étape était l’œuf. Alors, agissant sur un coup de tête, je le posai soigneusement dans le socle.

— Et c’est reparti…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Sombre Poète ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0