chapitre 18

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Cela faisait douze jours. Ce fut la première pensée de Never lorsqu’il se réveilla. Il observa son plafond, loin au-dessus de sa tête, l’un des plus hauts des quartiers qu’il avait pu visiter. Il se redressa dans son lit immense et observa par sa fenêtre dont la vue était sans doute la meilleure que l’on puisse trouver. Habituellement, il faisait abstraction de tous ces détails. Il ne les avait ni souhaité, ni demandé et c’était le décor dans lequel il évoluait tous les jours. Pourtant ce jour-là, il observa les draps doux et épais à la fois qui habillaient son lit et les caressa doucement, terriblement amer.

Cela faisait douze jours que plus personne n’avait vu Nashran, mais cela faisait treize jours que lui ne l’avait pas vu. Le réceptacle s’escrimait à trouver toutes les méthodes possibles et imaginables pour qu’Ogma le laisse en paix. Ca l’avait amené à passer un peu de temps loin de leur groupe d’amis, chez les réceptacles. Il venait les voir régulièrement, mais le reste du temps, il travaillait littéralement en ouvrant les panneaux de la zone de reproduction et en modifiant ce qu’il pouvait pour améliorer les quartiers des uns et des autres. En réalité, ce qu’il avait fait aller plus loin que ça. Il avait offert une forme de vœux aux autres réceptacles. Des petites choses anecdotiques mais qu’ils pouvaient obtenir par eux-mêmes sans passer par les reproducteurs. Never adorait l’idée. En faites, il adorait le voir faire, le voir chercher une solution, voir sa volonté et son inventivité pour y arriver. C’était un vent de fraicheur dans son quotidien.

Cela faisait douze jours que ce vent s’était arrêté. Oh, un autre s’était levé comme la plus violente des tempêtes. Les réceptacles se battaient pour lui. Visu était passé à l’accueil deux fois et il en était revenu surpris par le monde présent. Beaucoup de réceptacles, beaucoup de reproducteurs exaspérés également par la situation. Personne n’avait rien obtenu. Personne n’obtiendrait rien sans vœu et personne n’était prêt à gaspiller un vœu pour le faire sortir de là car il était devenu évident qu’Ogma ferait des vœux contraires.

Il se redressa complètement, tira les draps loin de son corps nu et marcha au milieu de ses quartiers pour aller chercher de quoi s’habiller. Un boxer noir, moulant, un pantalon noir ajusté sur son corps fin, une paire de chaussette tout aussi sombre et un tee-shirt gris qu’il recouvrit d’un pull noir. Il était presque prêt. Il se retourna pour enfiler une paire de chaussure, tout aussi noir que le reste. Ton sur ton. Il s’arrêta devant sa propre porte, immobile. Ses doigts tremblaient un peu. Il cligna des yeux et observa la situation le plus froidement possible.

Nashran n’était plus un inconnu. Ce n’était pas juste une belle gueule ou un joli petit cul. Oh il lui plaisait, Nashran était très mignon et ses yeux… Ses yeux qui n’avaient rien d’identiques étaient comme un doigt d’honneur au système, lui rappelant que la beauté venait aussi des choses les moins communes, les moins prévues. Nashran était la seule personne qui avait sincèrement réussi à l’intéresser ces dernières semaines.

Il abaissa la poignée de sa porte et sortit. Derrière lui, elle se referma tranquillement et un « clac » de verrouillage se fit entendre. Un énième cadeau qu’il n’avait pas demandé. Cette fois-ci, il allait réclamer. Sur son passage, les réceptacles se retournaient, certains tentaient de l’aborder, encore et encore, d’autres ne faisaient que le regarder. Il détestait ça. Non, il haïssait l’impression d’être le premier prix d’un immense jeu comme s’il n’était qu’un morceau de viande. Il valait mieux que ça. Il valait mieux que ce rôle-là. On ne pouvait pas le résumer à une paire de testicules sur pattes !

Il habitait assez loin de la zone d’accueil, derrière les quartiers les plus chics, à deux pas des zones proposant milles produits qu’il ne pourrait jamais s’acheter car il était un intrus ici. Un riche sans argent. Un reproducteur sans vœux. Ce n’était que son choix, bien-entendu, mais aujourd’hui pour la première fois depuis longtemps, il se sentait fort. C’était Nashran qui lui avait montré une voie possible. C’était Nashran qui lui avait montré que tout ne s’arrêtait pas à des vœux. Et s’il devait vraiment le faire, alors il le ferait. Il prononcerait un vœu. Un vœu immense. Une aigreur d’estomac le prit si violement qu’il eut envie de vomir, mais il déglutit la salive qui avait envahi sa bouche et continua d’avancer.

Il y avait effectivement beaucoup de monde à l’accueil. Graan attendait contre un mur, les sourcils froncés et l’air fermé. Devant l’un des travailleurs de l’accueil, Crazer parlait d’une voix forte qui résonnait.

- …. Ce n’est pas possible ! Vous ne pouvez pas tolérer ça !

Il semblait furieux et ses cheveux un peu trop longs s’agitaient autour de sa tête en suivant ses mouvements. A son bras, un petit réceptacle dont Never avait oublié le nom semblait au bord du désespoir. A l’autre guichet, c’était un réceptacle qui parlait, beaucoup plus doucement, d’une voix mesurée. Derrière lui, un groupe attendait pour la même raison.

Never avança un peu et s’arrêta, en plein milieu de la zone. Ils étaient si nombreux, qu’il passait presque inaperçu au milieu de la petite foule. Son cœur battait la chamade. Un premier réceptacle le remarqua et tira sèchement sur la manche d’un second. Ce fut comme si le silence se répandait. Il envahit tout jusqu’à atteindre Crazer qui se retourna, les sourcils froncés. Ils s’observèrent un instant et puis, Crazer s’approcha, l’air complètement fou, il le pointa d’un doigt furieux et cracha :

- Dis-moi que tu vas faire un vœu Never !
- Pourquoi n’en fais-tu pas un toi ?

Crazer recula, marmonna qu’il n’en avait plus, sinon, il l’aurait déjà fait. Cela prenait des proportions inacceptables. Une personne de l’accueil s’approcha. Ce n’était pas Maerwin. C’était Anatola.

- Never ?
- Je suis venu faire une déclaration.

Elle l’observa un moment, acquiesça, puis lui proposa de venir dans un bureau privé pour le recevoir. Immédiatement, elle sortit des petits biscuits qu’il savait délicieux et lui proposa du thé qu’il refusa mais qu’elle posa devant lui malgré tout. Douze jours. Il n’avait pas le temps pour les frivolités.

- Dites-moi tout.

Il respira profondément, saisit la tasse de thé, huma la vapeur qui s’en échappait. Ce n’était qu’une représentation après tout. Il devait soigner la forme.

- Un réceptacle m’intéresse, je suppose que le système sera ravi de cette information.
- En… en effet. C’est la première fois je crois ?
- Oui. Je désire avoir accès à ce réceptacle, je suppose que cela vous arrangerait également.
- Et bien, oui, bien-sûr.
- Parfait. Je vais donc aller le chercher. Merci bien.

Il reposa la tasse sans tremper les lèvres dedans et fit demi-tour.

- Never ? Never ! De qui s’agit-il ?
- Quelle importance pour le système ?
- Oh mais ça peut être très importants. Je préfèrerai ne pas voir une guerre de vœux se déclarer entre vous et Creyn ou vous et Sixtar. Vous devez au moins me dire à quoi je dois m’attendre.

Il s’arrêta au niveau de l’encadrement de la porte et lui jeta un coup d’œil si noir qu’elle se tut.

- Je vais voler le réceptacle préféré de Creyn et lui interdire de l’approcher. Est-ce que cela convient au système ?
- Je. Je… Non, s’il-vous-plait, Never.
- En échange je vous offrirai une prise de sang. Rien de plus. Mais j’aurais un réceptacle tentateur à mes côtés. Est-ce que cela convient ?
- Creyn fera des vœux si vous prenez Lovoan. Ils s’aiment !
- Est-ce que cela convient au système, j’ai posé une question, je veux ma réponse.

Elle hésita. Les ordres étaient clairs, tout ce qui pouvait être fait pour encourager Never à donner de sa semence avec l’autorisation de faire naître un enfant devait être entrepris. Creyn était très important lui aussi, il avait néanmoins déjà enfanté plus de cent sept petits. Never était prioritaire.

- Oui. Je vous en supplie, il y a des centaines de réceptacles, nous pouvons en faire venir d’autres qui respecteront toutes vos demandes.
- Il n’y en a qu’un que je veux. Un seul et unique. Si vous êtes prêts à me laisser prendre Lovoan, ce ne sera vraiment qu’une formalité. Vous êtes complètement fous d’ailleurs… Je crois que Creyn serait prêt à détruire cette zone de reproduction plutôt que de vous laisser faire ça.

Elle resta immobile un instant avant de souffler, comme une évidence :

- Nashran. C’est Nashran qui vous intéresse.

Elle soupira, horriblement soulagée et le temps qu’elle se reprenne, Never était parti. Elle tremblait encore comme une feuille à l’idée d’affronter Creyn lorsqu’elle comprit qu’il allait falloir réagir vraiment très vite.

Never avait retraversé la zone d’accueil, sans un mot pour personne. Il avançait simplement d’un pas décidé. Il marcha ainsi, sans s’occuper des passants, jusqu’à l’endroit où tous les réceptacles s’étaient concentrés. La majorité était assis, en tailleur, parfois dans les bras des uns des autres. Quelques-uns étaient en train de faire l’amour dans un coin, d’autres faisaient une sieste. Ils avaient ramené avec eux de quoi camper sur place, du jamais vu. La scène était frappante, mais il ne s’y arrêta pas. Date était là, près de la porte, bien-entendu. Il se rongeait les ongles, l’air un peu paumé et franchement épuisé lorsqu’il leva la tête et le vit.

- Never ! Qu’est-ce que tu fais là ?

C’était une bonne question puisqu’il était connu pour éviter le contact avec les réceptacles. Il haussa d’une épaule, fit un sourire un peu tordu et s’approcha de la porte. Elle était en fer poli, comme toute celle du quartier. Il posa les doigts dessus et soupira.

- Je viens donner de ma personne.

Puis un peu plus fort, il prononça les mots qui allait tout changer.

- Je veux que cette porte s’ouvre.

Il y eu un grand silence derrière lui, la porte se déverrouilla et s’entrouvrit doucement, laissant échapper les bruits de l’intérieur du quartier. Les réceptacles se levèrent derrière lui, les uns après les autres mais ils ne firent pas un pas. Un vœu pouvait les renvoyer de la zone. Combattre un reproducteur, ce n’était pas une bonne idée. Ils ne pouvaient pas simplement rentrer et prendre Nashran, même si cela faisait douze jours qu’ils attendaient ce moment. Never, lui, entra et il referma derrière lui. Les quartiers étaient identiques à la dernière fois qu’il était venu, peut-être simplement un peu plus délabré ? Peut-être. Le grand gémissement paniqué qui s’éleva d’une partie un peu plus reculée de l’habitation le gela de l’intérieur et l’instant d’après, il sentit un feu bouillonnant dans son ventre. Il avança et s’arrêta alors qu’Ogma se tournait vers lui. Nashran était là, derrière lui, seulement c’était une vision d’horreur.

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