chapitre 10

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Les quartiers dédiés aux réceptacles étaient magnifiques, bien plus que Nashran ne l’aurait envisagé. Tout en hauteur, comme une immense tour creuse, son plafond laissait voir l’espace. Pour la première fois depuis qu’il était arrivé, il eut l’impression d’être libre. Date semblait heureux de l’emmener ici, heureux de lui montrer les quartiers, heureux de lui faire rencontrer les autres. Visiblement ils étaient nombreux à s’être fait du souci pour lui. Régulièrement, l’un d’entre eux s’approchait pour se présenter. Un jeune homme magnifique vint délicatement, presque sur la pointe des pieds pour glisser :

- Date ?
- Hum ?
- C’est le réceptacle ?
- Oui.
- Oh… Je suis tellement soulagé. Bienvenu parmi nous.

Nashran acquiesçait gentiment mais à chaque fois, il se souvenait des vœux qu’Ogma avait fait. Ça ne durerait pas. Il allait le ramener dans leurs quartiers et l’y enfermer à nouveau. Toutes ces merveilles, tout ce luxe, il n’y aurait jamais pleinement accès. Date semblait suivre le fil de ses pensées car il le conduisit dans un petit salon où d’autres réceptacles étaient déjà réunis.

- Bonjour tout le monde !

Les autres le saluèrent tranquillement.

- On a besoin de vous. Dites-moi… Des idées pour faire chier un reproducteur abusif ?

Un instant de silence se fit, puis un petit blond éclata de rire et annonça :

- Un bon coup de déhanché ! Ils détestent jouir trop tôt.
- Ou au contraire, un mauvais déhanché, leur interdire de jouir le plus longtemps possible… jusqu’à ce que leur petite queue devienne toute sensible et qu’ils n’aient plus du tout envie de la remuer.
- Ou juste attendre que ça passe… beaucoup détestent ça !

Certains commencèrent à discuter entre eux des meilleures manières pour obtenir ça.

- Ou alors jouer avec leurs égos… Oh oui, c’était pas mal… pas mal…

Nashran les observa, un peu surpris, un peu choqué aussi. Il avait toujours cru que les reproducteurs étaient tout puissants ici, mais l’idée de déranger, de perturber ou d’empêcher un reproducteur de jouir ne semblait pas du tout les embêter.

- Et ils ne peuvent rien faire contre… contre ça ?
- Tu voudrais qu’ils fassent quoi ? On est libre d’être qui on est.
- Mais ils ont les vœux…
- Très peu de vœux en faites. Y’a pas beaucoup de reproducteur qui aurait envie de les gâcher comme ça.
- Mais ça arrive ?

Ils observèrent Nashran, blême, qui glissait nerveusement la pointe de sa langue sur sa lèvre dans un geste aussi charmant qu’inconscient. Le plus vieux du groupe, Graan, finit par répondre dans un haussement d’épaules :

- Ca arrive parfois, jusqu’à ce que le reproducteur se lasse… Ou qu’il craque. Ce n’est pas bien vu de faire ce genre de choses. Il serait vu comme un genre de monstre.
- Je ne crois pas que ça l’arrêterait. Murmura-t-il défait.

Et malheureusement, c’était vrai, car à ce moment-là Nashran était en train de se plaindre au service administratif. Ils étaient dans des petits locaux fades, ceux qui y travaillaient n’étaient ni des réceptacles, ni des reproducteurs, simplement des chanceux qui avaient le droit de profiter du faste des lieux en échange d’un travail peu intéressant. Maerwin faisait partie de ceux-là et à cet instant, elle détestait son boulot. En tant que femme non fertile, elle n’avait pas eu beaucoup de mal à trouver cette place, mais faire face aux caprices de reproducteurs fraichement arrivés, persuadés d’être dans leurs bons droits étaient des plus fatigants.

Elle remit son chignon en place pour la troisième fois, les paupières à moitié closes dans une attitude faussement soumise pour calmer l’égo qui lui faisait face, elle demanda une nouvelle fois :

- Lequel de vos vœux n’a pas été comblé ?
- J’ai demandé une seule clé !
- Une seule clé a été édité.
- Mais il est sorti ! Je ne veux pas qu’il sorte !
- C’est son droit.
- Il est sorti alors que la porte était close, j’en suis sûr ! Comment a-t-il fait ?

Elle vérifia rapidement puis tranquillement expliqua :

- Il a ouvert la porte sans la clé.
- Sans la clé ? Oh. Il l’a piraté alors… Il ne faut plus que ce soit possible ! Je vous l’ai dit, je veux qu’on me le ramène, il m’est réservé, et je ne veux plus qu’il sorte.

Maerwin lui offrit son plus beau sourire avant de lui offrir une bribe de ce qu’il désirait.

- Vous avez effectivement fait le vœu pour qu’il vous soit réservé à la reproduction. Votre prochain don sera dans deux jours. A ce moment-là, nous l’emmènerons où vous le désirez.
- Chez moi. Et faites en sortes qu’il ne puisse plus ouvrir.
- Cela ne sera malheureusement pas possible à moins que vous n’usiez d’un vœu pour augmenter la sécurité de votre logement.
- Je n’ai plus de vœux et j’ai déjà fait la demande pour qu’il reste chez moi uniquement, cela devrait être compris dedans.
- Son absence de consentement est évident monsieur. Je suis désolée mais il faudra faire bien plus pour l’empêcher d’être libre et c’est un choix particulièrement déconseillé.

Ogma recula comme si elle l’avait giflé, pinça ses lèvres et réavança plus décidé que jamais.

- Je me fous de vos recommandations. Vous êtes là pour assurer mon bonheur et mon bonheur ne sera assuré que lorsqu’il me sera réellement réservé. Je suis prêt à payer le prix !

Les paupières de la femme s’ouvrirent un peu plus et elle l’observa réellement. Ses muscles tremblaient sous la colère mais c’était courant que les jeunes reproducteurs fassent des caprices dans ce genre. Ils avaient l’impression d’avoir tous les droits lorsqu’ils arrivaient et ils se sentaient tellement forts. Avec le temps les choses se calmaient. Pour aider à l’intégration, le système tolérait un certain nombre de demandes abusives, elles étaient vu comme des déboires d’enfants. Elle hésitait néanmoins, car le petit réceptacle qu’il avait fait venir ne méritait pas ça et il était des plus débrouillards. Il était même parvenu à ouvrir la porte par lui-même et à intéresser Visu. Une autre forme de caprice sans doute, moins enfantine de la part de Visu, mais assez pour qu’il n’y ait pas à le prendre en compte pour le moment. Elle trancha, tristement.

- Bien. Aucun éjaculat en dehors des vôtres ne pourront être collecté en Nashran et la porte sera sécurisée pour une durée d’un mois.

Il acquiesça, abhorrant un air de victoire qu’elle trouva détestable.

- Cela vous coutera trois passes supplémentaires.
- Parfait. Je veux également que plus personne en dehors de nous deux ne puisse rentrer dans mon appartement. Que peut-on faire pour ça ?

Maerwin eut soudain pitié pour ce réceptacle qui allait devoir combattre quelqu’un d’abusif qui ne voulait pas laisser la moindre faille. Caprice des débuts, se répéta-t-elle en accédant à quelques autres demandes, un peu amère.

***

Au milieu des autres réceptacles, Nashran était heureux, pourtant il était sûr et certain que l’on viendrait le chercher. Il avait passé une nuit dans le quartier de réceptacle. Il n’avait pas de lits dédiés, mais ce n’était pas réellement un problème vu que la majorité des personnes dormaient ailleurs et on lui avait prêté, sans aucun souci, une petite place des plus douillettes.

Lorsque l’on vint le chercher, ce fut sous la forme d’une simple demande. Un message audio qui apparut près de lui.

« Le reproducteur Ogma a besoin de vos services dans ses quartiers. »

Son cœur se mit à battre plus fort et il sut que cette période de liberté était terminée. Elle avait été si douce. Date était quelqu’un d’adorable et bon nombre de réceptacles étaient tout aussi sympas. Il aurait aimé continuer parmi eux.

- Tu peux te rendre à l’accueil pour poser une réclamation si tu veux… lui rappela un autre réceptacle.
- Non… Non, pas encore. Je vais voir, peut-être que cette absence l’a fait réfléchir ?

Il se mit en route, le cœur lourd et arriva assez rapidement devant les quartiers d’Ogma. C’étaient des locaux agréables, riches d’un confort qu’il n’avait pas connu avant d’arriver dans les zones de reproduction et pourtant une partie de lui craignait d’y retourner. Ogma avait peut-être trouvé le moyen qu’il n’en ressorte plus jamais ?

Juste avant l’embranchement, il vit Date qui s’approchait d’un pas rapide, visiblement content de l’avoir intercepté à temps.

- On m’a prévenu juste à temps…
- C’est gentil d’être venu.
- Ne t’inquiètes pas trop d’accord ? Et n’oublies pas… Tu peux bien l’emmerder. Rajouta-t-il avec un sourire malicieux. Et si vraiment tu ne réapparais pas dans les prochains jours… On viendra te chercher encore une fois.
- D’accord. Merci.

Date le serra brièvement dans ses bras avant de le laisser repartir et Nashran y alla, le cœur un peu plus léger. Pourtant lorsqu’il vit l’air, si victorieux, d’Ogma, un doute le prit. Arriverait-il vraiment à repasser cette porte dans l’autre sens ? Il repassa mentalement l’ébauche de plan.

Devenir sans intérêt aux yeux d’Ogma.
Lui déplaire si ce n’était pas suffisant.
Rouvrir la porte et repartir aussi souvent qu’il le pourrait.
Trouver un autre reproducteur pour lancer une guerre de vœux si besoin.

S’il pouvait faire au minimum, ce serait une bonne chose. Il avait bien compris l’importance de ne pas rentrer dans une guerre ouverte alors il salua tranquillement Ogma comme si tout allait bien entre eux et qu’il venait simplement faire un travail. D’ailleurs, c’était ça. Ce n’était qu’un travail à ses yeux.

Ogma referma la porte derrière lui et son sourire s’agrandit un peu plus alors qu’il persiflait : « Bienvenue à la maison » comme une promesse qui fit froid dans le dos de Nashran. Il sut presque immédiatement qu’il ne ressortirait pas, mais il fit de son mieux pour contrôler sa respiration trop courte et les battements de son cœur.

- Ce n’est pas ma maison Ogma, je ne suis pas chez moi ici. Je viens simplement pour te rendre un service et je suis content de t’aider, mais je ne désire pas rester davantage.
- Hum… Peut-être bien, mais tu n’as pas le choix. Je te l’ai déjà dit. Tu dois juste t’y habituer, je suis prioritaire.

Ogma ne souriait plus. Nashran non plus.

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