Le toit de la prison de Boudécar est un terrain vague. Non, une terre laissée à l'abandon. Au moment où je vous parle, l'horizon est déjà éclairé par le rose crasseux d'un soleil levant sous les nuages. Pas d'arbre, mais une immensité herbacée, parcourue par des talus. Quelques oiseaux matinaux saluent la lumière blafarde. L'herbe s'interrompt avec les premiers bâtiments encore gris et les premières rues étroites de Boudécar. Des lampadaires éclairent la lisière de la ville. Il fait froid. Entre les herbes, çà et là, des objets manufacturés pointent leur nez. On aperçoit une bétonneuse rouillée entourée de parpaings. Il fait trop sombre pour identifier le reste. Du talus le plus proche, fermé par une grille en métal, sort soudain un chuchotement ténu, qui s'arrête bientôt. Il n'y a que moi qui peut l'entendre, parce que je vous raconte l'histoire. La grille s'ouvre après un cliquetis, grince brièvement. Deux jeunes hommes vêtus de ponchos gris sortent sans un bruit, suivis par une dizaine de personnes. Leurs yeux brillent. Déjà poussiéreux, ils soulèvent le sable sec sous leurs chaussures souples. Ludmilla, une grande femme dont la robe argentée attire la lumière, ferme la marche. Ils ont tous le rythme décidé des aventuriers et la ruse des prisonniers. Ludmilla vérifie si tout va bien, puis, soulagée, s'aventure dehors. Le plan semble fonctionner. Le groupe est incroyablement silencieux. Il est trop tard lorsqu'elle entend les premiers claquements de porte : à l'entrée de la ruelle, en faction au rez-de-chaussée de la petite tour, les gardes cueillent un à un les évadés. Ludmilla hésite. Au-delà de la lisière, personne n'a rien entendu. Mettons que les gardes réputés de Boudécar ne l'aient pas encore vue. Où aller ?