De l'ombre à la lumière

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L’heure est à la célébration. Les collègues sont rassemblés dans ce bar à proximité de mon antre pour célébrer ma récente promotion sociale. La soirée bat son plein. Les plaisanteries s’accumulent, les rires fusent, les verres s’enchainent. La plupart sont devenus au fil des années, sinon des amis, au moins d’excellentes relations. D’autres profitent de ce moment de convivialité pour raffermir les liens qui les unissent aux autres. Petit à petit, alors que l’heure avance et le temps se gâte, le bar se vide, ne laissant qu’une poignée de fidèles adeptes de ce genre d’afterworks bienvenus. Le regard dérivant lentement de l’un à l’autre des convives restants, elle est accoudée au comptoir, un verre de vin à la main. Elle dénote un peu dans tout ce fatras de blagues graveleuses, de gloussements, d’accolades franches et alcoolisées. Comme à son habitude, elle fait preuve de distance, de discrétion et de détachement, mais n’en reste pas moins fidèle au poste. Elle écoute patiemment les autres, participe parfois aux conversations, laisse échapper quelques traits d’esprit qui en laissent certains pantois, d’autres admiratifs. Je lève mon verre à sa santé en lui adressant un petit hochement de tête auquel elle répond par courtoisie. On pourrait croire qu’elle serait des premiers à partir, mais non, elle survit à la plupart des autres. Farouchement au garde-à-vous, elle tient la barre. Lorsque la soirée touche à son terme et que les embrassades se font plus prononcées, elle se retrouve à proximité de moi, guettant le signal approprié pour partir. Les trentenaires font la paire.


Ses cheveux sont châtains, coupés au carré, lisses. Ses sourcils sont fins. Elle a les yeux noisette, le regard parfois dur, froid, inexpressif. Son teint mi pâle mi basané achève de lui donner un air de poupée. Lorsqu’elle sourit à pleine dents, son visage s’illumine. Mais c’est trop rare. Elle se contente le plus souvent d’un sourire poli, les lèvres pincées, la commissure des lèvres à peine retroussée. Dans ces cas-là, une fossette apparaît sur l’une de ses joues. Assortis à son regard énigmatique, ses sourires donnent l’impression de réagir à une plaisanterie qu’elle seule aurait compris et sûrement pas son interlocuteur, qui pourrait se sentir moqué à la vue de ce sourire un tant soit peu ironique. C’est parfois ce que je ressens lorsque l’on parle. Ses sourires sont mesurés, son regard distant. Elle semble déployer une grande énergie à élever une barrière transparente entre nous.

Il est pourtant deux heures du matin et la voilà chez moi. Perdue dans ses pensées, les bras croisés, elle contemple la vue depuis la fenêtre du premier étage. Son visage s’éclaire par intermittence au rythme des grondements de l’orage. Les lumières sont éteintes dans l’appartement. Seule une petite veilleuse laisse échapper un semblant de clarté. L’ambiance est tamisée. Pas de musique, aucun son, hormis le tonnerre et le martèlement de la pluie sur la fenêtre. En sortant d’une douche éclair, je me suis rhabillé en vitesse avec un tee-shirt qui trainait, un caleçon et un bermuda. Je m’approche timidement de la fenêtre pour lui signaler ma présence. Je lui ai galamment proposé de prendre une douche la première pour se réchauffer, après la saucée dont nous avons été victimes sur la route, devenue impraticable. Elle a poliment décliné la proposition et s’est rabattue sur quelques serviettes sèches qui trainaient. Ses vêtements mouillés sont suspendus à l’étendoir qui trône dans le salon, près d’un chauffage. Elle penche légèrement la tête d’un côté, une façon discrète et silencieuse d’indiquer qu’elle a repéré ma présence, mais garde le visage rivé sur la fenêtre et le monde extérieur. Je jette un coup d’œil à cette silhouette féminine qui se dessine à chaque fois qu’un éclair illumine la pièce, fait inhabituel dans cette forteresse de solitude que je me suis aménagé à la suite de mon divorce. Je sens mon sang bouillonner dans mon corps alors que mon regard s’attarde sur le sien. Faute de vêtements de rechange, elle s’est servie des moyens du bord. Une chemise un peu trop grande pour elle, débusquée dans ma penderie, qui lui couvre le corps des épaules jusqu’au haut des cuisses. En dehors des sous-vêtements qu’elle a dû conserver, elle ne porte rien d’autre. Je m’attarde un court instant sur ses jambes fines et musclées et sur ses petits pieds. De son côté, elle ne dit rien et reste obstinément concentrée sur le monde extérieur, ou dans cette forteresse de solitude qu’elle s’est bâtie à l’intérieur de sa tête depuis son veuvage. Elle pourrait rester des heures comme ça. Aussi, déglutissant avec peine, je me force à rompre le silence.

« Je … Hum, je vais prendre le canapé », laissé-je échapper dans un souffle.


« Pas la peine », répond-elle avant de se diriger vers le lit, sans m’accorder un regard. Elle se hisse sur le matelas à quatre pattes, me laissant entrapercevoir, l’espace d’un – trop – court instant, une petite culotte noire, agrippe la couette et se glisse d’un côté du lit. Une petite pirouette plus tard et la voilà étendue, les jambes à demi-dissimulées sous la couette, à guetter une réaction de ma part. La chemise qu’elle m’a empruntée, déboutonnée à moitié, laisse entrevoir le creux situé entre ses putain elle a enlevé son soutien-gorge. Un ange passe. Un autre est dans mon lit. Les secondes me donnent une impression d’éternité. Qu’est-ce que je dois faire ? Le canapé ? Le lit ?


Les voix se bousculent dans ma tête. Je mets fin à ce brouhaha démentiel en m’imaginant, l’espace d’un instant, ce qu’a dû ressentir Neil Armstrong en posant le pied sur la Lune. J’approche silencieusement du lit à pas feutrés et m’allonge à côté d’elle. Son visage est délicatement posé sur l’un des coussins. Elle est étendue sur le côté et je sens son regard braqué sur moi. À cet instant, je me sens paralysé. Je regarde fixement le plafond, les bras le long du corps, cherchant quelque chose à dire, histoire de détendre l’atmosphère. Rien ne me vient. Prenant une grande inspiration, je me tourne sur le côté d’un geste vif à mon tour et nous nous faisons désormais face. Je plonge mon regard dans le sien. Elle me regarde, je la regarde, on se regarde. J’essaie de ne pas trop laisser le mien se balader sur son corps. Elle devine ma lutte intestine. Son visage s’éclaire de ce petit sourire dont elle a le secret.


Dans la plupart des films à l’eau de rose, ce serait sans doute le moment où nous nous jetterions dans les bras l’un de l’autre pour nous embrasser fougueusement et passer aux choses sérieuses. Mais nous ne sommes pas dans un film et la réalité est tout autre. Une parcelle de mon esprit s’imagine encore que la situation n’est pas réelle et que si je tente quoique ce soit, elle se braquera, me remettra à ma place, partira sans mot dire, une fois de plus déçue par la gente masculine. Une autre partie de moi m’invite à la prudence et aux risques de se laisser aller, à perdre le contrôle, à toutes les souffrances et amers désappointements qui pourraient suivre, une fois de plus.

Nous restons donc là, les yeux dans les yeux, en silence.

Dehors, la pluie diminue d’intensité. Les détonations se font de plus en plus rares. L’orage touche à sa fin. Et si elle décidait de repartir et de regagner elle aussi son cocon salvateur ? De m’abandonner à mon sort ? Elle jetterait un œil à la fenêtre, hocherait la tête, se lèverait en silence, récupérerait ses vêtements, se rhabillerait et sortirait sans bruit. Ce serait tout elle. Peut-être un petit « À plus… » murmuré dans un souffle et lancé dans la pièce, alors qu’elle partirait sans un regard en arrière. Ce n’est pas tant que mon orgueil en souffrirait, loin de là. Il ne s’agit pas de ça. C’est une question de tranquillité, d’isolement salutaire. La liberté pleine et entière. Pas d’attachement, pas d’engagement. Elle me laisserait là et chacun continuerait à vivre sa vie de son côté, comme avant. De cette soirée, pas un mot, pas une allusion et à terme, aucun souvenir. La liberté pleine et entière.


Complètement perdu dans mes pensés, je ne la vois pas tendre la main vers moi. Obnubilé par mon désir irrationnel de solitude, je ne m’aperçois pas non plus que mon corps – qui en a ras le bol de mes atermoiements – a repris le dessus sur mon esprit. Au même instant, je tends également la mienne vers elle. Nos mains se posent l’une contre l’autre, s’effleurent, se caressent. Nos doigts s’entrelacent. Nos regards se croisent. Le temps s’arrête. Son sourire s’élargit, révélant une petite fossette sur sa joue droite. Le drap se froisse lorsqu’en émerge l’une de ses jambes qu’elle colle contre moi. Son pied commence à me caresser lentement le mollet pour remonter jusqu’au genou. Je trésaille. Ma seconde main se pose délicatement sur cette cuisse qui s’offre à moi. Je l’effleure du bout des doigts, je fais des spirales, des serpentins et tout un éventail de formes géométriques dont je n’avais conscience jusqu’à lors. Petit à petit, je me rapproche progressivement du fruit défendu mais je veille toutefois scrupuleusement à respecter le barrage de la petite culotte. Sa peau est si douce que je pourrais me livrer à cette pratique pendant des heures. Nos mains qui jusque-là n’avaient cessé se toucher s’éloignent l’une de l’autre. Elle pose la sienne sur mon visage et me caresse la joue. Je fais de même, profitant au passage pour rabattre l’une de ses mèches rebelles derrière son oreille. Puis je descends jusqu’à la naissance du cou, le lobe de l’oreille, l’épaule, en passant par-dessous la chemise. Elle ne s’en offusque pas. J’en profite au passage pour élargir le décolleté puis reprends mon exploration. Je descends encore, et m’octroie le droit d’effleurer la petite culotte pour passer la main sous la chemise. Je caresse le creux de ses reins. Elle frissonne et passe la main sous mon tee-shirt, pour la poser sur mon ventre. D’instinct, je me contracte. Elle sourit. Sans un mot, elle s’approche et me grimpe dessus. Ses genoux viennent se poser à hauteur de mes hanches. Ses orteils me chatouillent le bas des cuisses. Mes mains ont accompagné le mouvement. Je poursuis mes caresses frénétiques sur sa cuisse et sa taille. Elle me regarde de haut, juchée sur moi et lentement, s’abaisse. Nos fronts s’effleurent. Je me noie dans l’abime de son regard. Nos nez se touchent. Elle me caresse les cheveux. Je suis à sa merci. Le martèlement de la pluie a laissé place à celui de nos cœurs. Je sens le sien battre contre ma poitrine et rivaliser d’ardeur avec le mien. Le concert va crescendo, puis soudainement, s’arrête.


Elle pose ses lèvres sur les miennes et m’offre un baiser. Très tendre, si doux, trop court. Elle se retire et revient à la charge pour un deuxième. Un troisième. Le quatrième est plus long, plus intense. Nous reprenons chacun notre souffle pour la cinquième manche. Ma langue lui caresse les lèvres et se cherche un chemin à la recherche de son homologue. Elles se trouvent, se touchent, s’entrelacent. Elles bataillent ferme, cédant et reprenant du terrain, se retirant pour mieux revenir à la charge et s’abandonnent, victorieuses l’une l’autre.


Elle recule légèrement la tête pour reprendre son souffle, prend appui sur moi, front contre front, plonge son regard dans le mien. Elle me sourit à pleine dents en laissant échapper un soupir de satisfaction. À la vue de son sourire, je fonds.


Les carapaces se fissurent. Les masques tombent,
les barrières volent en éclats, les murs s’effondrent.


Le baiser qui s’ensuit est plus langoureux, l’étreinte plus fougueuse. Mes mains raffermissent leur emprise sur sa taille tandis qu’elle me dévisse la tête. Elle se frotte le bas ventre contre le mien et sent la turgescence poindre. Je pique un fard.


« Tu ne me laisses pas indifférent », dis-je le plus stoïquement du monde entre deux baisers. Elle laisse échapper un pouffement de rire et se frotte de plus belle. Je me relève d’un bond et la serre contre moi, avant de passer à nouveau mes mains sous cette pièce de tissu qui me semble bien superflue. Ma raison est ensevelie sous l’avalanche de baisers. Guidé par mon seul instinct, j’explore chaque centimètre carré de sa peau, ses hanches, son ventre. Mon pouce effleure son petit nombril. De l’autre main, mon index parcourt le creux de ses seins. Elle abandonne l’espace d’un instant son étreinte le temps de déboutonner sa chemise de nuit qui n’est, en dépit de l’heure tardive, plus adaptée au temps qui court. Je lui apporte une assistance non désintéressée pour la débarrasser de ce fardeau encombrant. Sans un regard, elle l’envoie valser dans la pièce et se recule un peu, comme pour se présenter à moi sous un nouveau jour, sans artifice. Mais c’est un feu d’artifice qui accueille la vision de ce corps splendide. L’espace d’un instant, j’hésite, je tâtonne, je n’ose me lancer à la conquête de ces trésors de la nature. Toutefois, cette dernière reprend rapidement le dessus. Je passe l’une de mes mains derrière sa nuque et l’embrasse fougueusement, tandis que l’autre se referme délicatement sur l’un de ses seins et semble en épouser parfaitement la forme ; à tel point que je songe à l’y laisser définitivement. Mon pouce effleure l’excroissance qui se durcit à son contact. Elle pousse un soupir, raffermit son étreinte, puis recule et repousse mes mains. Elle agrippe mon tee-shirt et le fait remonter d’un coup vif pour le faire passer par-dessus ma tête. Je bénis silencieusement les derniers jours passés à faire du renforcement musculaire lorsque son regard s’attarde sur ma musculature. Elle se serre contre moi. Nos corps se touchent, se pressent l’un contre l’autre. Au contact de sa poitrine sur la mienne, je ressens la chaleur qui s’en dégage et m’y blottit encore plus. On s’enlace, on se regarde, on s’embrasse, une fois, deux fois, je délaisse ses lèvres pour l’embrasser dans le cou, sur l’épaule, sous le menton. Elle lève la tête et s’abandonne à mes baisers, raffermit son emprise sur mes épaules, mes omoplates, mes côtes. D’un geste, elle me repousse et je me retrouve à nouveau allongé sur le lit. Ses doigts parcourent ma peau, le contour de mes abdominaux et s’attardent sur mon petit ventre que je peine à rentrer. D’une main experte, elle fait sauter les deux boutons de mon bermuda qui ne demande qu’à s’enfuir sans demander son reste. A l’aide de mes talons, je me relève de quelques centimètres. Sur les genoux, elle fait de même. Le bermuda n’est bientôt plus qu’un lointain souvenir à l’autre bout de la pièce. Lorsqu’elle se rassoit sur moi, deux infimes (infâmes !) couches de tissu moite séparent encore notre intimité. Quand elle me sourit et fait mine de se frotter à nouveau, je ne tiens plus. Une seconde plus tard, c’est elle qui se retrouve sur le dos, la tête reposant sur l’un de mes avants bras enfoncé dans le coussin. De l’autre main, je lui caresse le visage, m’attarde sur ses courbes généreuses, descends jusqu’à l’entrejambe. Nos baisers se font plus fougueux lorsque je pose la main sur l’objet du désir et la fais disparaître dans la petite culotte. À l’intérieur, c’est la fournaise. Elle raffermit son emprise, pousse de longs soupirs. Par je ne sais quel prodige, elle parvient à baisser mon caleçon jusqu’à mes genoux par l’entremise des siens et de ses pieds. Je tortille comme un ver pour le faire glisser jusqu’en bas. Enfin libre !


Pas pour longtemps. L’une de ses mains se referme sur mon sexe et entame un mouvement de va-et-vient. Mes phalanges se crispent. Chacun pousse son petit râle, se regarde, s’esclaffe, sourit, s’en retourne à ses caresses tandis que l’on s’embrasse à pleine bouche. Elle relève la tête, j’accompagne le mouvement, me dresse sur l’avant-bras en position de gainage. Elle s’appuie sur les talons et retire en moins de deux sa culotte complètement trempée. Elle se repose sur le lit, me regarde, passe sa main derrière ma tête, me caresse les cheveux, plonge son regard dans le mien et sans un mot, me repousse sur le côté. Elle me grimpe dessus, me bloque entre ses cuisses, m’embrasse, encore et encore et encore, tandis que je pose les mains sur ses fesses. Les frottements se font de plus en plus prononcés. Ses mains pressent contre mon visage, mes tempes, mes cheveux. Les miennes s’égarent vers les parties les plus intimes de son anatomie. J’attrape la mienne qui se dresse comme un mât vers les cimes de la victoire et la guide jusqu’à l’entrée. J’accomplis une petite percée, lentement, délicatement, recule, reviens à la charge. Petit à petit, je m’enfonce plus profondément, jusqu’au petit à-coup final que je donne d’un coup vif, par surprise.


Elle laisse échapper un petit cri. La température semble monter de dix degrés en l’espace d’un dixième de seconde. Elle enfourne sa langue dans ma bouche. J’étouffe presque mais résiste à l’impulsion sur mes pauvres cervicales. Plus bas, je poursuis mon petit manège, lentement d’abord, puis j’accélère un peu la cadence. Elle se laisse aller à des petits gémissements que je tente de moduler au gré de mes accélérations désordonnées. Au bout d’un moment, elle reprend les rênes. En position assise, elle pose les mains sur mon corps et reprend un mouvement de va-et-vient. Mes mains se referment sur ses seins, que je caresse du bout des doigts. Elle ferme les yeux, déglutit avec peine, poursuit frénétiquement sa course, laisse échapper des soupirs et des râles. Nos halètements se font de plus en plus frénétiques. Lorsque je sens que le bât blesse, ma main se crispe sur sa peau douce. Mon regard se fait pressant, suppliant, interrogatif, presque soumis. Elle me regarde intensément. La fossette sur sa joue apparaît. Elle accélère la cadence. Je trésaille. Au fond ? Pourquoi pas. L’une de mes mains se cramponne à ses fesses pour impulser un mouvement plus rapide. Quelques instants plus tard, l’autre se referme derrière sa tête. Je la ramène vers moi, colle sa poitrine contre la mienne, mon front contre le sien, la regarde dans les yeux et l’embrasse. Les mouvements de va-et-vient gagnent en intensité. Je ferme les yeux alors qu’une onde de jouissance me parcourt le corps pour rejoindre le sien. A cet instant précis, je pousse un râle, elle pousse un cri. Je la presse contre moi alors que j’éjacule le temps d’une poignée d’allers-retours. Ses poings se resserrent sur mes cheveux ébouriffés. Elle se laisse aller à quelques petits gémissements et ralentit petit à petit le mouvement de balancier. Nos lèvres sont subitement sèches. Elle s’arrête finalement, se repose contre moi, pose son front contre le mien et me regarde.


« Je crois qu’on peut se tutoyer » est la seule chose que j’arrive à dire. Elle laisse échapper un petit gloussement, me donne une petite tape sur l’épaule et m’embrasse langoureusement. Nous restons quelques minutes ainsi, sans mot dire. Nos respirations retrouvent un rythme régulier. La température se refroidit. Elle me donne un dernier baiser, me serre fort contre elle et s’éclipse dans la salle de bains. Je reste là, allongé sur le lit, à poil, à me demander si ce qui vient de se passer est vrai. Elle revient dans le lit à pas précipité et se glisse sous la couette, pour se blottir contre moi, la tête posée sur mon épaule. Elle entortille ses doigts sur les poils de mon torse. Je lui caresse les cheveux tout en regardant le plafond. Les pensées se bousculent à nouveau dans ma tête. Qu’est-ce qui vient de se passer ? Un cadeau d’adieu ? Un fantasme assouvi ? Une déclaration d’amour ? Un coup d’un soir ? Et demain ? Je fais quoi au réveil ? J’ai de quoi faire le petit-déj’ ? Je l’appelle comment ? On officialise ? Et les autres, ils vont dire quoi ? Le maelström s’interrompt lorsqu’elle rompt le silence, en posant la seule question qui s’impose.

« Bonne nuit ? » Le sous-entendu m’arrache une risette.

« Ouais… », parviens-je à prononcer. Elle sourit, soupire, m’embrasse le torse et s’endort. Je la serre contre moi et finis par en faire autant.


Lorsque j’émerge le lendemain, le lit est vide. Rhabillée, elle se tient dans l’encadrement de la porte, prête à partir. Alors que je me redresse, elle se retourne. Tandis que la porte se referme doucement, elle murmure dans un souffle un « À plus… »... en m’accordant un dernier sourire.


L’appartement retrouve sa tranquillité coutumière. Elle n’a laissé aucune trace de son passage dans ce cocon empreint de solitude familière et d’isolement salutaire. Pas d’engagement. Pas d’attachement ? Je me redresse et m’approche de la fenêtre. Dehors, le monde a continué sa route. Elle doit être en train de poursuivre la sienne. Qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Courir dehors et la rattraper ? Solliciter une ultime étreinte ? Lui demander de rester ? Elle n’était pas partie pour rien et n’avait pas l’air de s’être absentée pour aller chercher les croissants. Une fois encore, je me retrouve seul. Libre.


« J’ai l’impression que je viens de me faire baiser… ». Quelques secondes plus tard, mon regard s’illumine. « Je viens de me faire baiser… » Libre. Un grand sourire illumine mon visage. « Je viens de me faire baiser ! ». J’éclate de rire et parcours la pièce à la recherche de l’essentiel. En premier lieu, un caleçon propre, parce qu’il commence à faire frais et que je viens d’apparaître nu comme un ver à la fenêtre. Dans la poche de mon manteau, j’attrape mon paquet de clopes et m’en glisse une au coin des lèvres. J’attrape mon briquet et l’approche de mon visage. La flamme qu’il produit m’inonde d’une chaleur salutaire et d’une lumière bienvenue. La chaleur, la lumière, la liberté. La libération. Après tout ce temps passé à éviter l’attachement, l’ouverture aux autres, à renoncer à offrir ma petite fleur et m’exposer à des souffrances inutiles, j’étais de nouveau passé à l’acte. Et quoi ? J’avais survécu. Et puis au fond, c’était pas mal du tout. J’inhale une longue bouffée et l’expire longuement par le nez et la bouche. La fumée envahit la pièce et se répand dans l’atmosphère, à l’image des perspectives qui s’offrent à moi.


Le champ des possibles est ouvert. Il n’y aurait peut-être pas un mot à venir sur cette nuit. Chacun continuerait à vivre sa vie de son côté, comme avant. Nos trajectoires allaient de toute manière suivre une voie bien différente dans les semaines à venir. Il n’y aurait aucune remarque, aucune allusion, mais bel et bien un souvenir vivace.

J’enclenche une nouvelle fois mon briquet et attarde un moment mon regard sur cette flamme, source de lumière et porteuse de promesses.

« Merci, Lucie ». Me voilà sorti de l’ombre et prêt à revenir sur le devant de la scène. La renaissance d’un homme neuf. Moi.

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